Artur Klinau, Editions signes et balises, 219 p.
Mois de l’Europe de l’Est
Artur Klinau, qui est né et a grandi à Minsk, en Biélorussie, n’avait pas vingt-cinq ans lorsque le mur de Berlin est tombé. Son enfance, il l’a passée dans ce qui était alors le Pays du Bonheur – l’Union soviétique – avec la retransmission télévisée des défilés sur la Place Rouge conduits par le Métaphysicien et ses ministres, Amour, Sagesse et Droiture, les jeux dans les recoins mystérieux des parcs de la ville, et les nombreuses occasions de boire et de festoyer.
Minsk, ou la cité du Soleil et des Rêves: c’est l’idée qu’en avaient ses habitants quand ils pensaient qu’elle incarnait l’utopie. Aujourd’hui Artur Klinau sait que l’utopie était une illusion, mais sa tendresse pour sa ville est intacte et il nous la fait partager, avec humour et gravité à la fois.
Synopsis issu de l’édition
En mars, je participe au mois de l’Europe de l’Est organisé par Eva, Patrice et Goran (respectivement: Evabouquine.wordpress, blog tenu à quatre mains par Eva et Patrice ainsi que Deslivresetdesfilms, blog tenu par Goran) qui consiste à lire et faire la chronique d’un livre dont l’auteur est d’origine d’Europe centrale/de l’est. Vous pouvez consulter cette liste sur les deux blogs si le challenge vous plaît.
J’ai une affection particulière pour la littérature slave, et russe en particulier, et j’avoue que j’ai trouvé l’idée de ce challenge plutôt plaisante: autant par le fait de faire découvrir ses propres lectures que de découvrir d’autres auteurs et titres, que je n’aurais pas eu l’idée de lire sans cela! J’ai choisi Minsk cité de rêve, venant de recevoir ce livre dans le cadre de l’opération Masse Critique de Babelio, je me suis dit que ce serait une bonne idée de faire découvrir le témoignage d’un artiste biélorusse sur une ville qui est loin d’être la plus connue ici en France. Moi-même j’ai été très intriguée par ce titre ne sachant pas du tout ce qui m’attendait à sa lecture. A noter que le traducteur, Jacques Duvernet, faisait partie des traducteurs séléctionnés pour recevoir le Prix Russophonie 2016, qui récompense les meilleures traductions littéraires du russe vers le français.

Quelques mots concernant l’auteur, Artur Klinau, Артур Клінаў, artiste et auteur biélorusse. Diplômé d’architecture, il a participé à nombres expositions à l’étranger et fut l’un des leader du mouvement artistique non-conformiste de son pays. Fondateur de l’un des premiers groupes artistiques d’art informel en 1987 « Association BLO ». Il a représenté la Biélorussie à la 54ème biennale de Venise avec le projet « The last Supper » (La Cène). Depuis 2009 il travaille pour le cinéma en tant que directeur artistique du thriller mystique Massacre (Belarusfilm, 2010). C’est en 2006 qu’il a écrit Minsk, cité de rêve (Sonnenstadt der Traüme) et il est également l’auteur de romans Salom.War novel (non traduit en français) et Sklatara.
Pas question de fiction, donc. C’est un récit, plutôt succinct, d’un homme qui a grandi au sein d’un pays très mal connu par l’Europe dite occidentale, élevé par sa mère et sa grand-mère dans une capitale toute jeune et ville infiniment chérie. Il n’y a pas vraiment de construction présupposée à son récit, qu’il a choisi de découper en 54 parties, qui sont seulement numérotées. Ces parties mêlent à la fois le récit purement objectif incluant paragraphes descriptifs sur la ville, mis en parallèle avec des anecdotes plus personnelles sur l’auteur comprenant des digressions sur son enfance et adolescence et les souvenirs de sa vie au sein de sa ville maternelle qui l’ont marqué. Il s’attarde également sur l’histoire du pays. Il nous brosse tout au long de ces deux cents pages un panorama très complet de la ville, de ses monuments, de ses particularités, de son caractère mais aussi de son quartier.

Tout au long de son récit, jamais Klinau ne désigne Minsk par son nom mais par les périphrases suivantes: la Cité du Soleil, la Ville Jaune. On ressent dès lors l’attachement de l’auteur à sa ville natale qu’il égratigne parfois. La cité du soleil représente, selon l’utopie du moine dominicain italien Tommaso Campanella, la ville idéale. Cette figure citadine apparaît pourtant contrastée car les premières impressions d’Artur évoquent un ensemble de béton froid et gris, lequel à-priori ne donne pas tellement envie. Une ville graphique qui apparaît, sous les yeux de l’artiste, constituée d’un ensemble de lignes et de points, ville « simple et énigmatique comme le carré noir de Casimir Malevitch ». Le plus troublant dans son récit c’est à la fois de voir Minsk comme ville ayant sa propre vie tout comme un territoire dépendant entièrement de l’Union Soviétique, ironiquement désignée par l’antiphrase Pays du bonheur. Ville complexe à la décoration multiforme et hétérogène qui rappelle les différentes cultures qui se sont successivement relayées, ainsi que les différents groupes religieux qui ont cohabité. En particulier celle du Dieu communiste qui a fait détruire tous les lieux de culte de ces mouvements religieux en les remplaçant par des palais, des bâtiments tous les plus imposants les uns que les autres. J’avoue qu’on ne sait jamais vraiment à quel point cette expression « Pays du bonheur » est ironique. En effet, Klinau s’avère être parfois sarcastique, notamment quand il évoque les banlieues industrielles qui cadrent plutôt mal avec la volonté du Pays du bonheur d’afficher cet idéal de vie aux étrangers qui pénètrent dans son territoire. Klinau dénonce cette farouche volonté soviétique d’afficher « le » bonheur en tant que ville-façade, en tant qu’utopie accomplie, qui ne fait que cacher du vide, pour montrer la toute-puissance et le bien-fondé de l’idéologie communiste. C’est une ville aux multiples visages qui fait écho à différents ressentis: du centre ville à la vieille ville historique en passant par la rivière souterraine Niamiha, c’est une Minsk composite, complexe, laquelle, entre un passé historique et religieux, est porteuse d’une histoire qui en englobe bien d’autres que la sienne.

Le regard de l’artiste sur sa ville fonctionne comme celui d’une caméra: d’une vision globale, il s’approche plus précisément du mystère de Minsk, il évoque la façon dont on pénètre dans cette ville, gare, aéroport, en quelque sorte la façon dont on fait la connaissance avec elle. Entrer à Minsk marque également l’entrée en Union Soviétique. Les descriptions en elles-mêmes sont quelquefois un peu académiques et abstraites sauf quand l’auteur y associe ses souvenirs et son vécu personnel: on ressent bien qu’enfant il était impressionnée par le gigantisme et l’immensité de cette ville, grandiose à ses yeux, par ses monuments hors normes (en cela, ses impressions me font penser à Bucarest). Un espace démesuré qui parait « angoissant » laissant l’individu seul aux prises avec la chaleur assommante du soleil, l’été, en l’absence de toute ombre. Une architecture imposante aux « colonnes corinthiennes, aux arches majestueuses et aux obélisques » pas tellement différentes de celles de la ville éternelle: Minsk, une ville-femme de caractère dont le moindre recoin dévoile un pan de sa personnalité, que l’auteur revisite après l’avoir côtoyer intimement. Un espace qui reflète le caractère de cette ville slave à l’opposé des villes européennes, que l’œil critique de l’auteur examine sous l’angle artistique, au style à la fois austère « esthétique Empire de la Cité » et aux façades constructivistes, par exemple, la place de la Sagesse et la Perspective, artère principale, et bijoux de la ville. J’aimerais également souligner l’angle historique de cet exposé, non seulement captivant mais aussi très instructif: la Biélorussie faisait partie du grand-duché de Lituanie (qui s’étendait de la mer Baltique à la mer Noire) dont Vilnius était la capitale qui devint ensuite, ensemble avec la Pologne, la Rech pospolita, République des deux nations. Le pays proclama son indépendance en 1918, année qui marque également l’apparition de sa toute nouvelle capitale.

De tout le récit, le plus remarquable et touchant pour moi restent les souvenirs et les réminiscences que Klinau fait revivre entre deux passages descriptifs: non seulement ils donnent une résonance particulière à cette objectivité dans la description même de la ville mais en plus ils donnent un peu plus de vie au récit. Une ville n’a en effet d’intérêt que par les individus qui la peuplent. Pour exemple, j’évoquerais l’anecdote portant sur les magasins d’alimentation Gastronom, où la population trouvait charcuterie, poisson, conserves et qu’Artur Klinau et ses camarades fréquentaient pour récupérer leur sirop à l’eau en échange de trois kopecks. Ou encore lorsqu’il évoque ses doutes plutôt ambiguës sur l’existence, ou non d’un Dieu, doutes plutôt mal vus, sous l’ère communiste avec une mère membre du Parti et d’un pays entièrement athées. Anecdotes sur sa vie mais aussi sur le quotidien biélorusse ou même soviétique lorsqu’il décrit l’engouement du pays et des médias télévisés pour les sorties spatiales des cosmonautes soviétiques. Ou encore d’autres particularités, qui peuvent nous paraître complètement ubuesques comme le récit évoquant les cours de démontage/remontage d’une kalachnikov (en 25 secondes!) ou le lancer de grenades faisant partie intégrante de l’éducation scolaire soviétique!
Enfin, un de mes passages préférés – mais bien trop court à mon goût – concerne la dimension culturelle, littéraire plus exactement, de son récit lorsque que .Klinau cite ces « deux géants de la littérature » biélorusse que sont Janka Kapula et Jakub Kolas, ainsi que Kim Khadeïev « maître de nombreux poètes du pays », qui passa sa vie en opposition à la dictature communiste. Klinau déplore néanmoins le fait que cette ville soit peu propice au développement des talents artistiques et qu’elle ait fait fuir tout son vivier d’artistes même si lui y demeure encore et dirige la revue PARTISAN, chef de file de la culture biélorusse contemporaine.

Minsk cité de rêve est un récit par lequel l’auteur essaie de nous transmettre l’âme de sa ville, la nostalgie d’une chimère, fantasmée ou réelle, qui s’est éteinte avec le communisme. Un récit qu’il a singularisé de ses souvenirs, des stigmates de son passé, de cette tendresse particulière qui marque la ville de son enfance. Un récit qui ne se laisse pas lire comme une fiction ordinaire, qui m’a cependant révèlé toute la force et le caractère d’une société, d’un pays, qui fut par le passé enclavé par ses voisins mais ne demande qu’à vivre par lui-même loin de la domination russe.
Au fait, saviez-vous qu’avant sa naturalisation Marc Chagall était biélorusse ?
Le fait que la Cité du Soleil se soit incarnée précisément à Minsk n’est pas dû à un caprice du hasard. Cette ville dont l’histoire avait commencé dans un cimetière – les rives sanglantes de la Nemiga – devint elle-même un tombeau d’autres villes. Sur son territoire, plusieurs Minsk naquirent et retombèrent dans le néant. A diverses époques, elle devint tantôt catholique, tantôt orthodoxe, tantôt juive, tantôt baroque, elle fut siège du gouvernement, ville soviétique, ville impériale. Après chaque mort, la ville renaissait non pas dans la prolongation de la tradition antérieure, mais comme une autre ville ou l’esthétique , le mode de vie, la religion de la population n’étaient plus les mêmes. Comme si par vagues successives, des nomades étaient arrivés en ce lieu pour s’y établir, puis disparaître au bout de quelque temps, emportant avec eux leur ville et ne laissant derrière eux que la poussière d’une strate de culture, quelques noyaux d’énergie fossilisés et les cendres de leurs ancêtres.
Ma Note: ♦♦♦◊◊
Merci pour cette contribution au mois de l’Europe de l’Est ! C’est un très beau choix de livre, original, qui permet de nous en dire plus sur la Biélorussie, un pays en effet mal connu en Europe Occidentale. Je note avec intérêt le nom des deux auteurs biélorusses ; a-t-il aussi mentionné Svetlana Alexiévitch ?
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Merci pour ta participation… Tes photos rendent très bien compte de l’immensité du lieu et oui je savais…
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De rien! Comme je l’ai écris, j’ai adoré cette idée que vous avez eue :)) Je m’en vais d’ailleurs lire vos chroniques et les autres contributions sur votre blog! Et non, il n’a pas mentionné Svetlana Alexiévitch, que je ne connais pas du tout, mais je vais aller me renseigner :))
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C’est un plaisir de participer à ce « challenge », j’ai essayé de choisir des photos qui reflétaient au mieux ma « représentation » de la ville après cette lecture!
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Merci 🙂
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Merci pour ce commentaire enthousiaste. Et je te conseille vivement Svetlana Alexiévitch – sur le blog, nous n’avons chroniqué qu’un de ces livres, mais La supplication (sur l’après Tchernobyl) est poignante aussi.
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