Les funambules

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Le narrateur a trente quatre ans, il vit seul dans un deux-pièces du IXe arrondissement de Paris. Biographe pour anonyme, il passe sa vie à recueillir et écrire la vie des autres, qu’ils soient connus ou inconnus. Il a passé son enfance en Algérie, d’où sa mère l’a amené. C’est un homme solitaire, qui fréquente encore quelques amis de la Cité Anne Franck à Ozoir où il a grandit, et qui se met à la recherche de son premier amour, Nadia, qu’il a perdu de vue. Cette recherche va l’amener à croiser le chemin de celles et ceux, qui à un moment de leur vie ont pris la décision de donner leur temps pour aider leur prochain.

Mohammed Aïssaoui

214 p.

Editions Gallimard

Ma Note

Note : 3 sur 5.

J’aime feuilleter la presse littéraire entre deux romans, je suis abonnée à Lire-Le Magazine littéraire, j’achète de temps à autres America. Le Monde et Le Figaro, et d’autres peut-être, éditent des suppléments hebdomadaires littéraires, je n’ai eu le temps que de les survoler pour l’instant même si ce n’est pas l’envie qui me manque. Mohammed Aïssaoui est journaliste au sein de la rédaction du Figaro Littéraire, il est également auteur d’essais, Son pays natale, l’Algérie, a précédemment été au centre de l’un de ses écrits Le goût d’Alger, on ne s’étonne donc pas de le voir surgir ici sous la forme romanesque du récit. Les funambules a été pressenti pour le prix Goncourt, mais n’a pas passé la dernière sélection, qui vient de tomber au moment ou j’écris ces lignes (le 27 octobre).

Nous plongeons dans l’histoire, à la fois algérienne et française, d’un narrateur d’une trentaine d’années. Un homme solitaire mais qui écrit pour et à travers les autres. Car c’est toujours à travers l’autre, sa mère, ses amis, qu’il se montre, mais son métier, et sa personnalité, l’amène davantage à jouer le porte-parole de son semblable que de lui-même. Et c’est ce qui est appréciable ici. Avec cet œil finement observateur sans jamais être inquisiteur, mais toujours juste, un esprit à l’affut de ce que son interlocuteur exprime à travers son attitude et ses gestes, ce qu’il ne dit pas. Et un fil conducteur, Nadia, sa Nadia, celle qu’il recherche, afin de clore un chapitre, le sien, peut-être le leur.

Je ne peux m’empêcher de trouver toute existence extraordinaire. Pour peu qu’on veuille bien prendre la peine de se pencher dessus, chaque vie est exceptionnelle et mérite d’être contée, avec sa part de lumière, ses zones d’ombre et ses fêlures – il y en a toujours, je sais comment les détecter. D’ailleurs, c’est mon obsession, ça, quand je rencontre quelqu’un je me demande quelle est fêlure: c’est ce qui le révèle.

Je ne sais pas vous, mais me concernant, je commence à saturer de ces romans dans lesquels les auteurs s’épanchent à longueur de temps. Et notre narrateur, est-ce seulement Mohammed Aïssaoui, quelques éléments le laissent croire, c’est surtout l’autre qui l’intéresse, sa vérité. Non rien d’époustouflant, rien de transgressif, de blasphématoire dans ce roman, et je peux comprendre celui qui est davantage habitué à lire Bernanos ou d’autres écrits très engagés, que ce roman puisse ne pas le contenter (toute ressemblance avec une personne existante ou ayant existé n’est, bien entendu, pas fortuite). Moi, j’ai été frappée par la justesse de son regard, de celui qui se préoccupe de ces gens de tout les jours, de moi, de vous peut-être, de ce que leur apparent anonymat dissimule, mais un regard toujours pertinent et bienveillant. Voilà un narrateur, un homme qui sait mettre son interlocuteur en valeur, qui décèle ses fragilités, ses faiblesses, ses « failles » comme il le dit lui-même, qui prend soin de ne pas juger – à quoi bon ? – et surtout de rendre extraordinaire l’apparente banalité de chacun. Il est de ces hommes qui lit dans l’histoire des gens. Il est plus facile de parler de l’époustouflant que de l’immensément ordinaire, la beauté n’est seulement pas dans l’éclat du subversif mais dans la banalité de l’ordinaire que la plume de Mohammed Aïssaoui dépoussière d’un clin d’œil.

Et puis, j’ai eu une approche plus personnelle à ce roman, Parce qu’à travers ce quartier de Paris où il a essayé de se recréer un foyer, lui l’exilé, j’y ai vu une réplique de ces petites ou grandes villes de province qui ont vu arriver à diverses époques, italiens, espagnols, turcs, algériens, tunisiens, portugais, marocains, et j’en oublie. Ces villes qui abritent ces bars, un peu passés, mais que son propre grand-père, frère, père fréquentait, avec les mêmes individus, un peu paumés, les mêmes piliers de comptoir. Approche personnelle aussi parce qu’il a su percevoir du premier coup d’œil les défaillances de certaines familles qui s’adressent à lui, les égos disproportionnés.

C’est un regard presque affectueux sur les gens, une douceur apaisante qui fait du bien à coté des coups de griffes continuels des uns et des autres, des critiques littéraires qui confondent un peu parfois leur stylo avec un pic à glace. Un regard qui pénètre et sonde les gens, qui parvient à capter leur personnalité profonde au-delà de toute forme de jugement péremptoire. Cette image du narrateur avec son crayon, son bloc-notes face aux personnes qu’il interroge me fait penser à une forme de psychothérapie avec tous ces individus qui s’ouvrent à lui. C’est aussi le roman d’un homme qui cherche sa place, perdu entre plusieurs mondes, celui qui était le sien, celui qui l’est devenu, celui qui fut un temps près de Nadia. Il semble être à la recherche d’un lieu qui l’adopte, qu’il adopterait, mais finalement, peu importe le lieu, il s’agira peut être de découvrir que ce sont les gens qui l’entourent, et c’est à lui d’adopter. Les Funambules parvient à décrire la précarité, l’équilibre chancelant, de ces personnes fragiles qu’il rencontre, qui se maintiennent en vie grâce au mince fil d’une raison, d’une cause, d’une passion. Grâce à Mohammed Aïssaoui, on se rend davantage compte de la fragilité de ce qui peut nous tenir en vie, et de certaines personnes dévouées aux autres.

Monique m’invite dans une salle de réunion ordinaire, impersonnelle. Mais il y a quelque chose d’immense que je ne retrouverai nulle part. Tout me semble doux chez cette femme, et son visage et ses mots. Et si, à cet instant, on m’avait demandé quelle était l’image de la sainteté, je l’aurais désignée. Le monde tourne à peu près grâce à des êtres comme elle.

J’ai lu un retour négatif sur ce roman, car il n’a pas d’intrigue à proprement parler, j’avoue que c’est le genre de roman qui peut décontenancer dès lors que l’on s’attend à une structure classique, incipit, intrigue, dénouement. Je pense qu’il faut se laisser porter par les différents récits de ces personnes dont il croise le chemin et dont il sait capter l’âme comme personne. De l’observation, de la réflexion, sur ceux qui se vouent aux autres, le contraire ne l’intéresse pas, et leur redonner une parole lui permet quelque part de trouver la sienne de voie, lui le témoin presque invisible, de ces voix que personne n’écoute plus.

Je pensais à tout ça quand Leïla, en un dixième de seconde, est passée d’une voix douce à une aggressivité démentielle. Elle me lance, avec le regard chargé, ces mots qui me chamboulent: « On sait tous que tu l’as laissée tomber, Nadia, pour voir le beau monde, à Paris. On pue, nous, c’est ça? Tu ne le sais peut-être pas, mais elle est devenue malade. Malade de chagrin. Nadia, c’était comme ma grande soeur. Tu l’as cassée, en allant avec cette blonde aux cheveux soyeux, cette Anne. Une bourge. Tu as fait du mal. Tu as trahi. Tout le monde le dit, ici. »

Anne. Je l’ai rencontrée lors de ma deuxième année à la fac de Nanterre. Cela faisait déja des mois et des mois que je n’avais pluls de nouvelles de Nadia malgré mes lettres envoyées chez ses parents – la seule adresse que j’avais d’elle. Je leur ai même laissé un message téléphonique. Aucune réponse. Aucun écho. Le vide. Je n’ai pas voulu insister. Elle a arreté ses études à la fin de la première année et m’a juste dit qu’elle voulait abandonner les lettres pour travailler dans le social, c’est ça qui l’interessait, elle se sentirait plus utile. Je pensais qu’on resterait liés. Je lui en ai un peu voulu car elle me laissait seule.

Pour aller plus loin

«Le 16 mars 2005, les archives concernant « L’affaire de l’esclave Furcy » étaient mises aux enchères, à l’hôtel Drouot. Elles relataient le plus long procès jamais intenté par un esclave à son maître, trente ans avant l’abolition de 1848. Cette centaine de documents – des lettres manuscrites, des comptes rendus d’audience, des plaidories – illustrait une période cruciale de l’Histoire.
Les archives révélaient un récit extraordinaire : celui de Furcy, un esclave âgé de trente et un ans, qui, un jour d’octobre 1817, dans l’île de la Réunion que l’on appelle alors île Bourbon, décida de se rendre au tribunal d’instance de Saint-Denis pour exiger sa liberté.
Après de multiples rebondissements, ce procès, qui a duré vingt-sept ans, a trouvé son dénouement le samedi 23 décembre 1843, à Paris.
Malgré un dossier volumineux, et des années de procédures, on ne sait presque rien de Furcy, il n’a laissé aucune trace, ou si peu. J’ai éprouvé le désir – le désir fort, impérieux – de le retrouver et de le comprendre. De l’imaginer aussi.»

«Sur les 23 000 « Justes parmi les nations », il n’y a pas un seul Arabe et pas un musulman de France ou du Maghreb. Alors, j’ai décidé de chercher. On m’a souvent répété : « Mais les témoins sont morts aujourd’hui. » J’ai exhumé des archives, écouté des souvenirs, même imprécis, et retrouvé de vraies histoires : comme celle de cette infirmière juive ou celle du père de Philippe Bouvard qui ont échappé à la déportation grâce au fondateur de la Grande Mosquée de Paris, Kaddour Benghabrit. Cet homme a sauvé d’autres vies.
Et l’action du roi Mohammed V au Maroc durant l’Occupation ne lui vaudrait-elle pas aussi le titre de Juste?

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