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Shaun Bythell est bouquiniste et l’heureux propriétaire de The Book Shop à Wigtown en Écosse depuis 2001. La boutique est l’une des plus anciennes de la ville, puisqu’elle s’est établie il y a près de cinquante ans. Le libraire compte dans son stock près de 100 000 ouvrages et tout autant d’anecdotes, comme il le précise sur son site Internet « We have about 100,000 titles in stock, but probably not the one you’re looking for. » Shaun Bythell enferme ici une année entière de sa vie de bouquiniste, bon an mal an, et toutes les rencontres plus ou moins heureuses qu’il a l’occasion de faire au fil de sa vie de vendeur et d’acheteur de livres.
Shaun Bythell
507 p.
Editions J’ai Lu
The diary of a bookseller, 2017
Ma Note

You know, your aunt gave it to you when you were a child and it had a red cover but you can’t remember the title or the author. It had a picture of a rabbit on the back. If we work out what it is and we tell you we don’t have it in stock, just keep telling us about it and we will, of course, magically make it appear from thin air. (the-bookshop.com)
Voilà un livre, qui n’est ni roman, ni essai, qui m’a procuré un très bon moment de lecture. Shaun Bythell a d’abord été lecteur, puis propriétaire d’une charmante petite bouquinerie de Wigtown, petite bourgade d’Écosse, avant d’être auteur. Originaire de Wigtown, il y est revenu il y a vingt ans cette année et a racheté le commerce, ce qui lui a permis de compulser dans cet ouvrage un an de sa vie, quotidiennement, montrant toute la difficulté de tenir une boutique, comme la sienne, de livres d’occasions à l’heure d’Internet, mais surtout d’Amazon et d’Abebooks face à une clientèle de plus en plus exigeante et difficile. En plus d’être drôle, ce livre est très instructif et j’en aurais bien lu davantage. L’échoppe de Shaun Bythell, qui a mon sens correspond davantage en français au terme bouquinerie que librairie, représente le deuxième plus grand magasin de livres d’occasion en Écosse, d’autant que la ville s’est officiellement vu décernée le titre de ville du livre.

La présentation sous forme de journal est très formelle : chaque mois est doté d’une courte introduction de Shaun Bythell, chaperonnée par une citation de George Orwell en guise de préambule, qui lui-même a occupé une place de libraire à une époque de sa vie au Booklover’s corner, extraite de son récit Quand j’étais libraire. Notre auteur-bouquiniste met son lecteur au parfum dès la première ligne, dès lors il inscrit son récit très loin des clichés un peu romanesques qui ont encore la peau dure, le métier est fastidieux, il ne le cache pas. C’est ce qu’il va s’attacher à démontrer le long de ces 365 chroniques journalières, qui font le décompte des livres vendus et de l’argent encaissé, avec un ton pince-sans-rire et une causticité particulièrement savoureux. Les occasions de rire ne manquent pas.
Toutes les problématiques du bouquiniste d’aujourd’hui sont abordées avec un sens de la formule à-propos : la principale, la complexité pour gagner sa vie face à Amazon et AbeBooks qui siphonnent toute la clientèle des marchands de livre, petits ou grands. Il avoue bien volontiers à quel point ils ont modifié le commerce du livre en général et de seconde main en particulier. Mais dans ce domaine, ce qui est intéressant, c’est que Shaun BythelL, au lieu de se braquer complètement contre le vendeur en ligne, explique effectuer avec eux une collaboration avec eux aussi rentable que possible. Même si cette dépendance vis-à-vis du géant américain, il la ressent comme une aliénation intrusive.
D’autres sujets, plus annexes, concernant la manière de traiter avec la clientèle, qui est décidément, je le dis après avoir lu ce livre, est une source inépuisable d’anecdotes, qui vont des plus sérieuses ou touchantes aux plus loufoques et invraisemblables. Je ne peux que féliciter Shaun Bythell ainsi que tous les bouquinistes, et peut-être à moindre portées les libraires, qui font preuve d’une patience incroyable, presque à toute épreuve, face au culot, au sans-gêne de certains individus ; je crois que je ne tiendrais moi et ma patience légendaire pas plus d’un mois. J’ai notamment en tête les questions ubuesques qu’il rapporte de certaines ou certains qui posent la question avec le plus grand des sérieux afin de savoir si les livres sur les étagères étaient à vendre – dans l’attente qu’il leur confirme qu’ils n’avaient qu’à se servir. Il faut le lire pour le croire ! Bien d’autres perles m’ont fait rire, au détriment de l’auteur certes, mais je crois que c’est ce qu’il voulait provoquer, plus que l’agacement de son lecteur. J’ai envie d’évoquer les avares, ceux qui marchandent un livre à deux livres sterling, ceux-là même qui prennent la bouquinerie pour une bibliothèque, les insatisfaits chroniques, les prétentieux, qui pensent détenir une première édition rare (cf Harry Potter) alors que les livres ont été imprimés par milliers, les impolis, qui ont omis d’apprendre l’usage des formules de politesse, et tellement d’autres originaux encore. En bref, les travers peu glorieux de la nature humaine. Mais il n’y a pas que cela, bien heureusement.
A 15 heures, j’étais de retour à la boutique. Un client s’est dirigé vers le comptoir d’un pas décidé et a aboyé, sans même me dire bonjour: « Marquage de l’or! ». J’ai ravalé un soupir et lui ai indiqué le rayon joaillerie.
Je ne serais pas juste si je ne parlais pas de ces clients qui apportent de bien au quotidien de Shaun Bythell parmi ses livres, de celui qui s’obstine à commander et acheter ses livres via la bouquinerie, afin de faire vivre le commerce de proximité, ceux qui ont à cœur de complimenter les commerçants pour leur formidable travail, tous les passionnés, ceux qui ne comptent pas à la dépense, etc.
Pluie torrentielle, une fois de plus. Une cliente d’un certain âge m’a complimenté pour ma devanture, s’imaginant que les casseroles et les tasses placées là à la suite des fuites d’eau étaient les composantes d’une vitrine à thématique culinaire.
Outre cette faculté à redessiner les traits de ses clients divers et variés, il y a évidemment tout cet aspect autour du livre en lui-même que j’ai aimé lire et apprendre, des réponses à des questions que je ne me suis vraiment pas posées avant cette lecture, mais que j’ai apprises avec beaucoup de plaisir : le peu de valeur du stock de bouquinerie qui contient essentiellement des ouvrages, la façon dont il parcourt monts et vallées pour aller évaluer et acquérir des lots démesurés de livres aussi bien auprès des particuliers que des professionnels dans l’espoir d’y trouver des exemplaires de valeur.
On ne peut que saluer l’ingéniosité du bouquiniste afin de trouver un moyen de vendre ses livres de façon plus ludique, à travers un abonnement annuel qui voit attribue au client un certain nombre de titres mensuel, soigneusement choisis par Shaun Bythell, qu’il nomme le club du livre aléatoire : c’est un peu le principe de la box de livres que l’on peut trouver dans le commerce en ligne aujourd’hui. Il a aussi contribué à développer cette fête du livre qui anime une fois par an la petite ville de Wigtown et qui constitue pour lui une source non négligeable de revenus.
C’est un livre qui plaira à tous les amateurs de livres, en particulier, et à tous ceux qui aiment flâner en librairie. Ce récit évidemment criant de vérité est un petit bijou de lecture même si au quotidien l’auteur est usé par les difficultés du métier, qu’il exerce davantage comme un sacerdoce d’ailleurs que comme un véritablement moyen pour gagner sa vie. Ce livre est sans doute un moyen pour lui d’évacuer un trop-plein, essayer de soulager son désabusement face aux pressions des clients peu compréhensifs et exigeants, des vampires numériques qui les poussent dans leurs ultimes retranchements. Après tout, il a probablement raison de faire profiter des aléas de sa profession, des loufoqueries des clients qui déambulent sans cesse dans sa boutique. D’ailleurs, en déambulant moi-même en librairie, j’ai remarqué qu’il vient d’être publié du même auteur un Petit traité du lecteur aux Éditions Autrement. Si le ton est aussi cocasse et railleur que Le libraire de Wigtown, je pense vraiment y faire un détour ces prochaines semaines. N’hésitez pas à aller consulter son site internet, c’est du 100% Shaun Bythell, vous aurez un premier aperçu de ce que le livre vous réserve, l’auteur y est fidèle à lui-même, pour notre plus grand plaisir !
JEUDI 6 MARS
Commandes en ligne : 7Livres trouvés : 7
J’ai passé la matinée à décharger les cartons de livres sur le golf récupérés chez Callum samedi dernier. J’ai déjà essayé par deux fois de les vendre sur eBay dans la catégorie « lot d’articles divers » – en vain. Je vais probablement devoir les mettre en vente aux enchères de Dumfries, une fois que j’aurai vérifié que ces cartons ne contiennent rien en ligne. Nicky pourra regarder ça à la fin de la semaine. Ça commence à être un peu la pagaille dans l’entrepôt. Un client arborant une énorme croix en or au bout d’une chaîne m’a lancé : « Avez-vous un rayon dédié aux bibles anciennes et aux trucs ecclésiastiques ? » Je n’étais pas certain de bien comprendre ce qu’il voulait dire par « trucs ecclésiastiques », alors je lui ai indiqué le rayon Théologie. Le fait est que nous vendons de belles bibles anciennes à un prix tout à fait modique – même si les gens qui demandent à les voir ne les achètent jamais, absolument jamais. L’homme a réussi à dénicher une bible de poche datant de 1870 dont le prix n’était pas indiqué, et m’a demandé à combien je la lui faisais. Je lui ai répondu 4 livres sterling. Il ne l’a pas prise. De toute évidence, la découverte d’un ouvrage dénué de prix déclenche quelque chose de spécial dans la tête des clients : quand on leur annonce le coût du livre en question, si modique soit-il, cela semble toujours trop cher à leurs yeux. Je ne compte plus le nombre de fois ou des gens ont déposé sur le comptoir des livres que nous n’avions pas encore étiquetés en disant : « Celui-ci n’a pas de prix. Il est gratuit, j’imagine. » La blague n’était déjà pas drôle la première fois ; quatorze ans plus tard, elle a complètement perdu le charme qu’elle n’a jamais eu. Juste avant l’heure de la fermeture, une femme avec un fort accent du Yorkshire m’a acheté un livre de cuisine en s’exclamant : « Vous, vous n’êtes pas du coin ! » Je lui ai rétorqué que j’avais grandi à Wigtown. Ça aussi, je l’ai si souvent entendu que ça finit par me rendre complètement dingue. Elle m ‘a alors expliqué que j’avais une « drôle de voix nasillarde ».
Montant dans la caisse : 47 livres sterling3 clients
Pour aller plus loin

Quand on flâne entre les rayons, on oublie souvent que le libraire est là qui nous observe. Et quand l’un d’eux épingle nos bizarreries et nos manies d’une plume malicieuse, il peut en faire un joyeux jeu des sept familles, caustique et cocasse.
Vous reconnaîtrez-vous dans un des lecteurs de ce savoureux recueil de portraits et d’anecdotes ?