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Franck, infirmier à Paris, est parti rejoindre sa fiancée Emilie sur l’île de Mirhalay, territoire des Hébrides, où sont organisées des journées d’études consacrées à l’auteur de romans policiers, Galwin Donnell. Celui-ci a vécu pendant près de vingt ans sur l’île avant de disparaître mystérieusement. Passionnée par l’auteur et son œuvre, la doctorante Emilie délaisse Franck pour se consacrer à ces journées d’études aux côtés de son maître de thèse. Désabusé, Franck part visiter l’île de son côté, il y fait la rencontre du gardien de l’île Joke, un homme sombre et peu avenant, grâce auquel il va apprendre à connaître l’île et la vie de Galwin Donnell sous un jour totalement différent.
Alice Zeniter
281 p.
Editions J’ai Lu
Ma Note

La normalienne Alice Zeniter fait partie des écrivains dont je vois les titres apparaître régulièrement sans que je ne me sois aventurée pour autant à la lire. C’est désormais chose faite avec ce roman qui n’est pas le plus célèbre de l’auteure, on penserait plus naturellement il me semble à L’art de perdre, qui a figuré sur une ribambelle de listes de prix, qui a même été primé par Le Monde. Mais Juste avant l’oubli m’a permis une lecture sans apriori. Le roman n’a certes pas reçu le même panel de récompenses que son acolyte cité juste avant, il a tout de même eu l’honneur de recevoir le prix Renaudot des lycéens en 2015. Cette année, la rentrée d’Alice Zeniter se fait en poche, chez les mêmes éditions J’ai Lu, avec la parution de Comme un empire dans un empire le 18 août dernier.

J’ai choisi ce titre peut-être le moins médiatisé, il n’empêche qu’il a croisé ma propre vie puisque comme Franck, le narrateur du récit, au moment de ma lecture, j’embarquais sur un navire de croisière qui m’a emmenée sur Belle-Île-en-mer. Notre destin commun s’arrête là, les motifs touristiques de ma visite furent nettement moins palpitants. Franck est un homme quelconque, qui part donner une dernière chance à son couple sur l’île qui a fut l’ultime lieu de vie du sujet d’étude de sa fiancée, Emilie : l’écrivain, totalement fictif, Galwin Donnell qui hanta pendant vingt ans l’île tout aussi fictive des Hébrides, Mirhalay, ainsi que l’esprit de ses plus fervents lecteurs et exégètes, qui n’en finissent plus de presser son oeuvre dans tous les sens.
J’ai d’emblée été frappée par la ressemblance d’un élément narratif capital avec l’un des romans lus au mois de mai dernier Le journal de Claire Cassidy d’Elly Griffiths, toujours chez les Éditions J’ai Lu : la création d’un auteur totalement imaginaire ainsi que celle de la mythologie qui l’entoure. Dans le fond, les deux romans n’ont rien à voir, puisque le premier lu était un roman policier alors que Juste avant l’oubli n’a rien du polar, en tout cas le fil narratif n’est pas tendu par la résolution de l’énigme de sa mort, même si le décès de l’écrivain vedette fait planer comme une ombre inquiétante sur cette île, qui apparaît comme une île décidément maudite.
Quid de l’histoire ? Evidemment, cela ne se résume pas à une simple histoire d’amour, d’un couple qui se sépare pour mieux se retrouver. La présence de ce mystérieux auteur au centre de la thèse qu’a entrepris Emilie est ce qui donne du relief à ce roman, qui pêche quelquefois par facilité. Car Franck l’infirmier est en constant décalage avec sa dulcinée, qui ne jure que par son auteur fétiche au point d’en garder près d’elle une photo. L’admiration énamourée confine à la fanatisation, et si le rapport qu’avait Emilie avec le défunt écrivain ne dépassait pas le simple engouement, la narration aurait pris une autre direction, la relation des jeunes gens également.
La curiosité née de la découverte de cette île sauvage et désertée liée intrinsèquement au culte soigneusement entretenu de ce personnage de l’écrivain maudit sont à mes yeux les deux points forts du roman qui ont marqué ma lecture : l’atmosphère irréelle et ténébreuse, énigmatique marquée par l’histoire désespérée et désespérante de cette île, qui décidément n’est pas faite pour abriter d’heureux évènements, accentue le mystère qui entoure l’auteur disparu. Si Alice Zeniter nous réserve un dénouement plutôt bien ficelé, elle a également bien joué sur le décalage entre cette fanatisation qui borde cette obsession d’un auteur disparu et la personne qu’il était réellement une fois que le filtre magnétique de la littérature ait perdu tout effet. Le côté littéraire est bien rendu à travers le décorticage méthodique des thèses de chacun des conférenciers sur l’œuvre, qu’elle a parfaitement et fictivement su composer comme si elle avait existé, la fiction dépasse le réel !
Il est étrange de penser que sur Mirhalay un mort (Galwin Donnell) ou un personnage de fiction (Adrian Dickson Carr) a tout autant de réalité d’existence, si ce n’est plus, que les vivants qui se trouvent de l’autre côté de la mer. Barack Obama, par exemple, ou la mère de Franck.
Il est difficile de déterminer laquelle des deux affirmations suivantes est la plus vraie :
-les gens de Mirhalay n’existent pas pour le reste du monde
-le reste du monde n’existe pas pour les gens de Mirhalay.
Bien sûr, les deux pourraient être vraies mais cela impliquerait deux disparitions simultanées quoique alternatives d’endroits différents, et Franck trouve cela trop compliqué.
C’est un bon roman plutôt léger, lu quasiment d’une traite, je me suis laissée tentée à ce jeu amoureux entre Emilie et Franck, galvaudé sur cette ‘île mystérieuse, et par la personnalité omniprésente, imposante de l’auteur. Même si l’histoire d’amour reste cousue de fil blanc, à mon sens, elle est le prétexte à l’exploration de ce motif de la mythologie de l’écrivain disparu et porté aux gémonies par un fanatisme aveugle un peu effrayant, qui dépasse le simple intérêt littéraire.
Franck tenta de bredouiller sa désapprobation. Il ne faisait pas partie des invités aux Journées d’études. Il était, lui aussi, un marginal. Presque un opposant. Le gardien se calma, lui tendit à nouveau la bouteille en silence. Désormais, le liquide à l’intérieur semblait avoir le goût de vomi. Franck savait que ce n’était que dans sa bouche mais il ne pouvait s’empêcher d’avoir un peu peur de cette boisson qui changeait de goût.
-J’en ai lu un ou deux, de ses bouquins, soupira Jock après un temps. C’était obligé, pour le travail.
-Moi aussi j’ai été obligé, dit Franck.
Mais il le dit en souriant. Le mantra avait fait effet sur lui. Les années passées à tenter de comprendre l’adoration d’Emilie pour Donnell (sacrifice) étaient derrière lui et désormais son attention tout entière était tournée vers la perspective d’une vie heureuse (pour toujours). Jock eut une grimace dégoûtée :
-Vous trouvez que ça a un sens, vous, de vénérer un obsédé sexuel qui baise des petites filles ? Et pourquoi ? Parce qu’il a réussi à élucider je ne sais quelle enquête de merde. Qu’est-ce que ça change aux horreurs du monde, hein ?
Franck secoua la tête avec commisération. Le whisky – ou quel que soit l’alcool contenu dans la bouteilles – commençait à le réchauffer agréablement. Il sentait de fines bulles dorées se mélanger à son sang, comme du miel. Lui et Jock en prirent à nouveau de grandes rasades, en poursuivant leurs mouvements de tête pensifs, comme pour nier que ce silence fût la fin de leur conversation. En réalité, Franck ne se souvenait même plus de ce qu’il approuvait, ou désapprouvait, de ce mouvement de tête.
-Moi je vais vous dire ce que je crois, reprit Jock, je crois qu’il y a des types qui créent des mythes comme Adrian Dickson Carr ou comme Superman pour que les gens s’extasient sur ce que ces surhommes peuvent faire à l’échelle individuelle et que tout le monde oublie que la lutte se mène sur le terrain politique et en masse.
Pour aller plus loin

Il s’appelle Antoine. Elle se fait appeler L. Il est assistant parlementaire, elle est hackeuse. Ils ont tous les deux choisi de consacrer leur vie à un engagement politique, officiellement ou clandestinement, et vont se rencontrer autour d’une question : comment continuer le combat quand l’ennemi semble trop puissant pour être défait ?
Dans ce grand roman de l’engagement, Alice Zeniter met en scène une génération face à un monde violent, qui cherche, avec une contagieuse obstination, à en redessiner les contours, et s’empare audacieusement de nos existences ultracontemporaines pour interroger ce que signifie, aujourd’hui, faire de la politique.

Une maison en bois près de la gare Nyugati, à Budapest. C’est là, au bord des rails, que les Mándy vivent de génération en génération. Le jeune Imre grandit dans un univers opaque, mélancolique, de non-dits et de secrets, où Staline est toujours tenu pour responsable des malheurs de la famille. Même après l’effondrement de l’URSS, qui fait entrer dans la vie d’Imre les sex-shops, le consumérisme, et Kerstin, une Allemande, incarnation de l’Ouest libre et heureux. Car si le régime a changé, Imre sait bien que ce bonheur-là n’est pas pour lui. Un roman à la poétique singulière, tout en dégradés de lumière et nostalgie, qui peint et révèle les êtres dans leurs contradictions et leur fragilité..