Pas dormir

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Marie Darrieussecq souffre d’insomnie depuis des années, comme beaucoup d’entre nous. Elle raconte dans ce livre l’aboutissement de vingt ans de voyage et de panique dans la littérature et dans les nuits. Vingt ans de recours désespérés et curieux, parfois très drôles, à toutes sortes de remèdes – pharmacopée, somnifères, barbituriques, méditation, exercice physique, tests, chamanisme, technologie, recettes et expédients divers… Mais ce livre est surtout hanté par une question magnifique : « Qui est-ce qui ne dort pas quand je ne dors pas ? 

Marie Darrieussecq

297 p.

P.O.L

Ma Note

Note : 3 sur 5.

Je n’ai pas souvent l’occasion, et à vrai dire ni même l’envie, de lire des documents ou essais. C’est là que le Grand Prix des Lectrices ELLE me fait sortir de ma zone de confort en m’obligeant à me confronter à des ouvrages que je n’ai pas dans l’habitude de feuilleter. Le premier d’entre eux, Pas dormir, de Marie Darrieussecq est heureusement un texte très accessible, et très agréable à lire. Vous l’aurez deviné, l’auteure traite de l’incapacité à dormir, la sienne en particulier, celle de tiers en général, et pas n’importe quels anonymes, puisqu’il s’agit de personnalités de la littérature.

Je le disais, l’ensemble est plutôt agréable à livre, L’ouvrage se divise en plusieurs chapitres, eux-mêmes composés de plusieurs sous-parties très distinctes qui chacune d’entre elle porte une thématique précise. Marie Darrieussecq part de son cas particulier : j’ai autant trouvé intéressant le récit de son expérience de l’insomnie, qu’elle décortique soigneusement au cours de ces trois cents pages. Causes, conséquences, déroulement, remèdes. C’est vraiment instructif, on y cerne la pathologie dans tous ses aspects, scientifiquement parlant, elle a également recours à toutes les anecdotes possibles sur ceux qui ont été touché par le phénomène, que ce soit ponctuellement ou occasionnellement. C’est plutôt une bonne idée quand on sait que le lecteur peut être, lui aussi, être atteint d’insomnie, d’ailleurs qui ne l’a pas été à un moment ou un autre, cette façon de l’impliquer, de l’entraîner au sein de ce cercle des insomniaques anonymes ou non, crée un lien entre l’auteure et sa lectrice, moi en l’occurrence.

Au-delà même des anecdotes, l’insomnie est une véritable souffrance qui se transforme en torture : Marie Darrieussecq n’est pas du tout dans une recherche de l’ego-trip, bien au contraire elle n’y exerce aucune forme d’auto-complaisance ou d’auto-apitoiement alors que ce chemin-là était par avance tout tracé. Au contraire, c’est une observation presque clinique qu’elle pose sur elle-même. J’ai été admirative dans ce chapitre ou abordant sa consommation excessive d’alcool, elle y avoue son alcoolisme, mais encore plus à cette capacité et cette lucidité aiguë sur elle-même. J’ai été encore plus admirative lors des passages où elle est capable de faire preuve d’autodérision, pense à ces photos avec un casque étrange sur la tête, alors même qu’on se doute bien que cette recherche douloureuse du sommeil perdu est un parcours du combattant.

Je le disais, la privation est une véritable souffrance et c’est avec une certaine pudeur qu’elle évoque son cas personnel, mais aussi ceux qui ont subi cette privation comme instrument de torture par leurs geôliers, l’interminable liste de médicaments dont la plupart restent sans effets, les conséquences physiques et morales. Outre la façon qu’a Marie Darrieussecq de ne pas verser dans un monologue abscons sur elle-même, et de ne pas faire de cet ouvrage un récit de plaintes auto-complaisantes comme on en voit plein les étagères du libraire, elle m’a régalée des récits des personnalités littéraires et de leur rapport à chacun à cette maudite insomnie. Même si dans bien des cas, les destins se terminent tragiquement, là où le sommeil est déserteur, les mal-être et dépressions ne sont pas loin. D’Atiq Rahimi qui tente de palier ses nuits éveillées avec du donormyl, de Marcel Proust à Virginia Woolf en passant malheureusement par Cesare Pavese, plus que le spleen, l’insomnie et ses fâcheuses conséquences sont désormais les maux de ces XXe et XXIe siècles. Et puisqu’il faut que d’une manière ou d’une autre, je ramène tout à ma littérature de prédilection, j’ai envie de me rappeler ce passage ou Marie Darrieussecq évoque l’auteur polonais, d’origine lituanienne, Tadeusz Konwicki et la façon dont il a perturbé le sommeil de son personnage au moyen d’une peau de serpent glissée sous son matelas dans Chronique des évènements amoureux.

J’ai été touchée par toutes les voies possibles et imaginables qu’a exploré notre écrivaine insomniaque pour retrouver des nuits ensommeillées : au-delà des médications, recours ultimes, il me semble qu’elle a poussé les tentatives de tous les côtés, j’en suis même arrivée à dire que c’est devenu pour elle une obsession aliénante à la vue des photos des chambres d’hôtel ou elle a séjourné. Et le plus empoignant reste ces mots, ces chagrins qu’elle évoque à grande peine, les pertes d’êtres chers, ce frère, cet enfant qu’elle évoque tout en gardant pour elle le secret de ses quelques mois de vie au sein de son ventre de mère, la maternité, ses exigences, qui ont pris le pas sur ce besoin impérieux de dormir.

L’insomnie est un ravin. Ceux qui cherchent le sommeil y luttent avec des ombres et déboulent dans des pierriers. L’insomniaque ressemble à ce prince ferraillant dans les ronces et demandant inlassablement son chemin vers le château de la Belle au bois dormant.

(…)

Dans le ravin de l’insomnie nous tentons de nous rassembler, en vain. Nous cherchons les morceaux qui nous manquent. C’est à Tomes que Médée commit son premier meurtre, déjà un meurtre d’enfant : « Tomes est la ville où la sœur démembrera le frère. Tomes vient du grec découper.

On peut passer à côté de cette volonté de cerner au plus près cette pathologie, ce handicap, ce manque, en revanche j’ai aimé la personne que j’ai appris à découvrir à travers ce récit à la fois personnel et général, cette pudeur, cette simplicité, cet humour mais aussi cette culture, cette ouverture vers l’autre, et surtout cette soif de lecture.

Pas dormir : errer sans ombre.

En janvier 2017, j’ai commencé des « chroniques d’insomnie » pour un hebdomadaire. J’avais même envoyé un plan pour je ne sais combien de chroniques : « les mille et une nuits de l’insomnie », avait souri un des rédacteurs. Finalement j’aurai tricoté une chronique par mois pendant deux ans, comme un motif jacquard, que je diminuais, augmentais, et improvisais souvent. Ici j’ai tout repris à zéro. Le point zéro du non-sommeil. J’avais essayé de tisser mes insomnies avec l’actualité ; mais l’insomnie file sa propre actualité. Elle se produit absolument au présent. Il n’y a que les dormeurs pour être tenus en éveil par ce qui s’est passé hier ou se passer demain. Dans « la brutalité du non-sommeil », disait Marguerite Duras, il n’y a plus de « thème » à l’insomnie. Rien ne perturbe l’insomniaque. Aucun événement. Aucune étincelle diurne ne vient illuminer son rapport à la nuit. Rien n’empêche l’insomniaque de ne pas dormir.

J’ai de quoi lire jusqu’à la fin de mes insomnies. J’ouvre les livres et tous me parlent d’insomnie. Woolf ! Gide ! Pavese ! Plath ! Sontag ! Kafka ! Dostoïevski ! Darwich ! Murakami ! Césaire ! Borges ! U Tam’si ! Et tant d’autres champions de la fatigue. Sur tous les continents, la littérature ne parle que de ça. Comme si écrire c’était ne pas dormir. Comme si la littérature était l’anagramme d’un lit raturé, d’un lit atterré, d’une lecture ratée au lit…

Pour aller plus loin

Paula Modersohn-Becker voulait peindre et c’est tout. Elle était amie avec Rilke. Elle n’aimait pas tellement être mariée. Elle aimait le riz au lait, la compote de pommes, marcher dans la lande, Gauguin, Cézanne, les bains de mer, être nue au soleil, lire plutôt que gagner sa vie, et Paris. Elle voulait peut-être un enfant – sur ce point ses journaux et ses lettres sont ambigus. Elle a existé en vrai, de 1876 à 1907

Dans ce pays où la raison et les coutumes régissent tout, les villageois les plus sensés semblent pourtant soumis à la présence de forces irrésistibles.
Si Claire avait vécu loin de la forêt – loin du pouvoir étrange des forêts – son destin aurait-il été différent, prise entre deux hommes et deux désirs ? Après Claire dans la forêt, Penthésilée, premier combat est un conte à la manière de Kleist, une rêverie sur le mythe des amazones. Claire et Penthésilée : deux contes, deux jeunes filles, pour une suite lyrique. « 

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