La carte postale

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C’était en janvier 2003. Dans notre boîte aux lettres, au milieu des traditionnelles cartes de vœux, se trouvait une carte postale étrange. Elle n’était pas signée, l’auteur avait voulu rester anonyme.
L’Opéra Garnier d’un côté, et de l’autre, les prénoms des grands-parents de ma mère, de sa tante et son oncle, morts à Auschwitz en 1942.
Vingt ans plus tard, j’ai décidé de savoir qui nous avait envoyé cette carte postale. J’ai mené l’enquête, avec l’aide de ma mère. En explorant toutes les hypothèses qui s’ouvraient à moi. Avec l’aide d’un détective privé, d’un criminologue, j’ai interrogé les habitants du village où ma famille a été arrêtée, j’ai remué ciel et terre. Et j’y suis arrivée.
Cette enquête m’a menée cent ans en arrière. J’ai retracé le destin romanesque des Rabinovitch, leur fuite de Russie, leur voyage en Lettonie puis en Palestine. Et enfin, leur arrivée à Paris, avec la guerre et son désastre.

Anne Berest

502 p.

Grasset

Ma Note

Note : 3.5 sur 5.

La sélection d’Octobre du Grand Prix des lectrices ELLE m’a donné de l’occasion de lire ce roman qui fait tant parler de lui depuis sa sortie. Si son sujet – une jeune femme qui découvre le sort réservé à sa famille juive pendant la seconde guerre mondiale – est l’un de ceux qui ne surprend plus guère, il reste tellement d’actualité en cette époque ou l’antisémitisme revient en force. Et quoi qu’on en dise, redécouvrir l’histoire
sous le regard d’une autre famille, ici les Rabinovitch, la branche maternelle de l’auteure, ne fait jamais de mal. L’histoire est un éternel recommencement, les haines sont ravivées comme si elles ne s’étaient jamais vraiment éteintes, les crises économiques entraînent inlassablement le blâme des mêmes bouc-émissaires.

Au moyen d’une carte postale qui arrive anonymement au domicile parental, notre auteure va se plonger dans le passé particulièrement chargé en tragédies de sa famille maternelle, dont la branche française a presque toute péri dans les camps de concentration. Aucune signature n’y est apposée, aucune indication si ce n’est la mention des quatre noms qui constituent cette mémoire douloureuse. J’ai apprécié lire l’histoire de cette famille juive décimée, comme j’ai pu lire d’autres histoires semblables de familles différentes. Je ne vois pas vraiment pas d’ailleurs comment on pourrait discuter de l’intérêt d’entretenir le souvenir des Rabinovitch, comment on pourrait nier ou retirer le droit aux descendants d’évoquer ce livre manquant de leur passé, de leur renier ce judaïsme qui est à la base de ce qu’ils sont devenus. La Shoah et la XXᵉ guerre mondiale sont de ces sujets inépuisables, que l’on appréhende à la lumière de la famille Rabinovitch sans pouvoir décrocher du texte avant la découverte de l’identité du mystérieux expéditeur.

Documentaire ou roman ? C’est la classification du titre dans la catégorie du roman qui me pose problème à moi. Car j’en viens à me demander dans quelle mesure sont véridiques les informations qu’elle nous assène. Cela me dérange au fond de ne pas pouvoir fixer des frontières claires entre les éléments historiques et les éléments fictionnels : ce titre est classé comme roman par la maison d’édition et donc par le prix des lectrices. Doit-on classer tous les titres et récits dans le domaine de la fiction pour que ceux-ci aient une chance d’être lus par le plus grand nombre ?

Sur la forme, je n’ai effectivement pas grand-chose à dire et d’autres âmes bienveillantes se sont chargées d’en disséquer et analyser méthodiquement le style, le fond m’a littéralement tenue en laisse jusqu’à l’ultime révélation. Cette révélation est celle qui m’a entraînée dans le récit de l’auteure, ma curiosité d’abord titillée par ce geste puis emportée par le récit de cette famille cosmopolite. S’il y a bien un trait romanesque qu’il faut souligner, c’est le talent de metteur en scène, de scénariste, de Anne Berest qui en a fait une œuvre hybride, donnant à ce documentaire des airs de roman à suspens. Anne Berest a laissé de grandes zones d’ombre, et la plus grande d’entre elle, c’est cette grand-mère mystérieuse, la seule rescapée du massacre de sa famille. Sa vie après la guerre est peu évoquée, pas vraiment assez à ma convenance, j’imagine qu’elle a laissé de côté cette personnalité pour un récit ultérieur. J’ai aussi beaucoup d’autres interrogations qui sont restés en suspens, concernant la famille élargie, dont les arrière-grand-oncles qui ont fui le régime.

Anne Berest a, à mon sens, réussit le pari de raviver les souvenirs de ces aïeux, en particulier ceux de la sœur et du frère, dont les fins de vie restent le pire passage du récit : je comprends la sensibilité qui a été la sienne – et en particulier lorsqu’on est enceinte, les hormones ont la fâcheuse tendance à nous jouer des mauvais tours – en lisant Jacques – à peine dix-sept années de vie – en lisant Noémie, qui s’est effondrée quelque temps après la mort de son frère cadet. J’ai ressenti sa colère en lisant les actes du maire des Forges, l’exquis M. Brians, sa suffisance, sa jalousie sa haine en étendard – ceux que l’on retrouve encore aujourd’hui, ils ne sont pas si loin – marqué du sceau du sourire d’un judas vil et pitoyable

En ces années 20, les rues de Lodz semblent surgir du siècle précédent mais aussi d’un livre ancien fait de contes étranges, d’un monde grouillant de personnages aussi merveilleux qu’effrayants, un monde dangereux où les voleurs rusés et les belles prostituées surgissent à chaque coin de rue armés de leur panache, où les hommes vivent avec les bêtes dans des rues labyrinthiques, où les filles de rabbins veulent étudier la médecine et leurs amoureux éconduits prendre des revanches sur la vie, où les carpes vivantes baignent dans des bassines, se mettant soudain à parler comme dans les légendes yiddish, où l’on chuchote des histoires de miroirs noirs, où l’on mange dans la rue des petits pains frais beurrés au fromage blanc.

Myriam se souviendra toute sa vie de l’odeur doucement écœurante des vendeurs de beignets au chocolat dans la chaleur de la ville en ébullition.

Le récit d’Anne Berest a la sagesse de nous rappeler ce qu’était réellement un « collabo », terme aujourd’hui galvaudé, usé, abusé, pressé, tordu dans tous les sens possibles, dès lors qu’une vérité ne convient pas. Elle a le bon sens de rappeler que l’antisémitisme n’a jamais cessé d’être et qu’il est bon que l’on s’en souvienne. C’est, à mes yeux, l’histoire d’une envergure européenne, et même mondiale, d’une famille aux racines qui se greffent un peu partout dans le monde, de cultures aussi ramifiées et diversifiées, d’une intelligence fine, d’un attachement et une confiance un peu trop entières en l’homme. C’est ce qui a perdu les Rabinovitch mais comment les blâmer pour cela ! La carte postale est l’un des genres de récit, témoignage, document, ou tout ce que vous voudrez, que j’aime lire et qui ne mérite pas les coups de ces griffes bien acérées qui volent, ici et là.

À la fin du mois d’août, Ephraïm et Emma Rabinovitch reçoivent une visite de Joseph Debord. A son retour de vacances, il a appris que les enfants Rabinovitch avaient été arrêtés au début de l’été.

-Je peux vous aider à rejoindre l’Espagne, leur dit-il.

-Nous préférons attendre le retour de nos enfants, répond Ephraïm, en raccompagnant le mari de l’institutrice à la porte de chez lui.

Ephraïm rentre dans sa maison. Il met la table, pose les couverts des enfants. Comme tous les jours depuis leur arrestation.

Le jeudi 8 octobre 1942 à seize heures, les Rabinovitch entendent des coups forts, frappés à la porte d’entrée. Ils attendent ce moment depuis longtemps. Ils ouvrent calmement aux deux gendarmes français qui sont venus les chercher. Une nouvelle opération générale contre les Juifs apatrides a été lancée.

-J’ai le nom des deux gendarmes, me dit Lélia. Tu veux les connaître ?

J’ai réfléchi, et j’ai répondu à ma mère que je ne préférais pas.

Pour aller plus loin

Septembre 1908. Gabriële Buffet, femme de 27 ans, indépendante, musicienne, féministe avant l’heure, rencontre Francis Picabia, jeune peintre à succès et à la réputation sulfureuse. Il avait besoin d’un renouveau dans son œuvre, elle est prête à briser les carcans : insuffler, faire réfléchir, théoriser. Elle devient « la femme au cerveau érotique » qui met tous les hommes à genoux, dont Marcel Duchamp et Guillaume Apollinaire. Entre Paris, New York, Berlin, Zürich, Barcelone, Étival et Saint-Tropez, Gabriële guide les précurseurs de l’art abstrait, des futuristes, des Dada, toujours à la pointe des avancées artistiques. Ce livre nous transporte au début d’un xxe siècle qui réinvente les codes de la beauté et de la société.

Trois sœurs que la vie a éloignées se retrouvent chez leur père à l’occasion d’un dîner d’anniversaire. Dans la maison d’enfance, les souvenirs affleurent. Les gestes deviennent nerveux, les langues fourchent et les rancœurs s’invitent autour de la table. Au dessert, un secret de famille est révélé. Une bombe à retardement qui va, sourdement, modifier le quotidien de chacune des filles. Un premier roman acéré, qui sonde les rapports doux-amers de trois jeunes femmes et d’un père.

2 commentaires sur “La carte postale

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