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Memorial Drive raconte deux quêtes d’indépendance. L’une, celle de Gwendolyn, la mère, échouera, se terminant dans la violence la plus inacceptable. L’autre, celle de Natasha, la fille, sera une flamboyante réussite. Elle deviendra une écrivaine reconnue, Poet Laureate à deux reprises, puis récompensée par le prestigieux prix Pulitzer.
Tout commence par un mariage interdit entre un homme blanc et une femme noire. Leur fille métisse, Natasha, apprend à vivre sous les regards réprobateurs. Sa peau est trop claire pour les uns, trop foncée pour les autres. Lorsque Gwendolyn quitte son mari, elle pense s’affranchir, trouver enfin la liberté. Mais Joel, vétéran du Vietnam épousé en secondes noces, se révèle un manipulateur né, irascible et violent. Elle parvient malgré tout à le quitter. Rien ne pourra enrayer la spirale tragique du destin de Gwendolyn : elle meurt en 1985, tuée par balle. Le meurtrier : Joel, dit « Big Joe ».
Dans un récit intime déchirant, Natasha Trethewey affronte enfin sa part d’ombre. Pour rendre à sa mère, Gwendolyn Ann Turnbough, sa voix, son histoire et sa dignité.
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Natasha Trethewey
217 p.
Editions de l’Olivier
Memorial Drive, 2020
Ma Note

Le documentaire de ce mois d’Octobre, ce deuxième mois du Grand Prix des Lectrices ELLE, prend radicalement ses distances de l’insomnie de Marie Darrieussecq : Natasha Trethewey, poète, romancière et académicienne américaine, revient sur l’assassinat de sa mère, Gwendolyn Ann Turnbough, quelques soixante années plus tôt à Atlanta. C’est un sujet traité avec toute la gravité et le recul que sa fille, désormais auteure américaine renommée, titulaire d’une multitude de prix, et à l’automne de sa vie, est désormais apte à avoir. Encore une fois, ce n’est pas forcément un titre que je me serais décidée à lire par moi-même mais que j’ai lu, sinon avec plaisir, du moins avec beaucoup d’intérêt. Cela a son importance de le préciser, Natasha Trethewey est fille d’un mariage mixte, d’un père canadien, d’une mère afro-américaine.

L’auteure reconstitue son passé, elle semble vouloir l’exorciser, exorcise la culpabilité qui est la sienne de ne pas avoir pu la sauver. Ce récit est le travail qu’une fille devenue femme mûre s’est décidée à faire pour célébrer la mémoire de cette mère sacrifiée, c’est un devoir de mémoire, presque sacré, pour celle qui a combattu jusqu’à la fin, la main trouée par cette balle tueuse : Memorial drive porte tellement bien son nom, cette longue avenue de cette ville qui s’est voulue aux prémices de l’égalité entre noirs blancs est devenue le long chemin de croix de sa mère.
Natasha Trethewey met en exergue la raison pour laquelle elle s’est décidée si tardivement à écrire, et surtout se replonger sur les circonstances de cet assassinat, elle a fait un black-out complet depuis la mort de sa mère. Natasha Trethewey, dont les parents se séparèrent, a grandi auprès de sa mère, noire, auprès d’un beau-père retors, abusif et mentalement instable, à une époque où la ségrégation raciale était encore profondément ancrée dans la loi et les mœurs. Ce documentaire est d’abord une introspection inédite et délicate pour l’auteure, on en prend peu à peu la mesure, car la plongée dans ce deuil qu’elle a constamment tenu à l’écart de sa vie signifie, entre autres choses, de devoir se confronter aux circonstances qui ont contribué à cette fin brutale et funeste, la rencontre de cette mère fraîchement divorcée avec l’homme qu’il ne fallait pas connaître, cette rencontre même qu’il ne fallait pas faire. Confrontation qu’elle a toujours refusé de faire avant cela, laissant dans un coin ces adieux qu’elle n’a jamais pu faire, la douleur de son deuil, qu’elle n’a jamais pu vraiment exorcisée. Ce récit intime est extrêmement touchant, et révoltant, pour cette fille et cette femme qui ont été les victimes de folies aussi différentes qu’absolues, celle d’un homme qui aurait mérité d’être totalement pris en charge par une unité de soins psychiatriques, celle d’une société à la dérive qui a décidé que la vie d’une femme noire maltraitée ne valait pas la peine d’être sauvée.
A l’extérieur, seule avec l’un ou l’autre, un profond sentiment de dislocation s’emparait de moi. Si j’étais avec mon père, je mesurais les réactions polies des Blancs, la façon dont ils s’adressaient à lui en l’appelant « monsieur ». Alors qu’ils appelaient ma mère « ma fille », jamais « mademoiselle » ni « madame » comme la politesse l’exigeait, comme on me l’avait appris.
Ressentiment, sensation d’injustice, colère, chagrin, tristesse, l’auteure nous fait partager le kaléidoscope des émotions qui la traversent encore, et dont seul ce récit lui permet de gérer, non pas pour avancer, mais pour clore définitivement ce chapitre. Il est bien difficile de se détacher totalement du récit, lorsqu’on apprend, par exemple, que si le garde en poste devant la porte de sa mère ne s’était pas décidé de partir plutôt que prévu -après tout, ces gens de couleur, pourquoi s’en préoccuper-, elle aurait été protégée comme il se doit et son meurtre aurait pu être évité. On admire aussi cette femme qu’elle était lorsque on relit les retranscriptions téléphoniques ou elle essaie de raisonner sans fin celui qui sera son futur meurtrier, à bout de force physiquement et mentalement. Cette sensation d’injustice nous assaille nous lecteur, comme elle a du envahir envahir la toute jeune femme qu’était l’auteure a l’époque et qui l’a probablement incité à enfouir dans son subconscient. De fait, on ne peut qu’admirer sa résilience, qui, on s’en rend compte, lui a permis de dépasser ce trou de douleurs et à ne pas se laisser ronger par un deuil infaisable. C’est un récit dont il est très difficile de se détacher tant les émotions de Natasha Trethewey sont palpables à travers cette écriture toujours à fleur de peau.
L’auteure se confie, sans fard, par le moyen de cette introspection sincère ou les anecdotes les plus légères côtoient les souvenirs les plus douloureux, s’il en faut pour exemple, on prend cette visite chez un voyant comme un espace de légèreté, se moquant de l’imposture que constitue son prétendu pouvoir de divination. La forme de ce récit polymorphe est plutôt intéressante, le récit laisse place aux rapports de police et aux retranscriptions de conversations téléphoniques, la voix de l’auteure laisse place à la froideur des ultimes documents relatant les circonstances des dernières heures de sa vie, c’est l’occasion, et c’est le plus important il me semble, de redonner la parole à cette mère défunte.
Memorial Drive est l’un de ces textes qui prend aux tripes – et ils sont pléthore, décidément, dans le Grand Prix des lectrices -, avec cette sincérité absolue, toujours un peu enfantine de cette fille en manque de sa mère, néanmoins réfléchie, des années passées, de la distance prise avec le temps, des preuves qu’elle finit par découvrir. Et ce sentiment d’injustice permanent qui ne manque pas de titiller notre esprit de lectrice à chaque page que l’on tourne, ressort de ce racisme encore très prégnant, absolument nauséabond, qui entache chaque pan de la société américaine. Cette écriture est vibrante d’émotions contrastées, on ressent la peur qui l’étreignait, cette tendresse illimitée pour sa mère, cet optimisme qui la quitte pas malgré tout, c’est une belle leçon de vie !
En CM1, je me suis à rêver régulièrement que je sentais une présence dans la pièce, peut-être penchée au-dessus de moi, en train de parler sans que je puisse crier ni bouger le moindre muscle. Je me souviens que j’essayais de toutes mes forces de remuer le petit doigt, consciente qu’il fallait que je me réveille. Les chercheurs appellent cet état situé entre deux cycles de sommeil la paralysie du sommeil. L’esprit se réveille, mais le corps est encore très détendu et il est impossible de bouger pendant plusieurs minutes. La personne est consciente, mais ne peut rien contrôler, son esprit et son corps étant temporairement dissociés. Peut-être que cette dissociation est une métaphore de la façon dont j’a vécu toutes ces années : l’esprit s’efforçant d’avancer pendant que le corps résistait. L’esprit qui oublie, le corps qui garde le souvenir du traumatisme jusque dans ses cellules.
Si le traumatisme fragmente le moi, alors que veut dire garder le contrôle de soi ? On peut essayer d’oublier. Une complète révolution peut prendre longtemps, mais le souvenir est une boucle. Quand je suis retournée à Atlanta, quinze ans après la mort de ma mère, je faisais des détours de plusieurs kilomètres pour éviter la 285. Je pensais que ça suffisait, que si je n’empruntais pas ce périphérique, je pouvais être sûre de tenir les pires souvenirs en échec. Cependant, la vérité m’attendait dans mon corps et sur la carte que je consultais pour l’esquiver : la 285 a la forme d’un cœur humain imprimé sur le paysages, une blessure à l’intersection de Memorial.
La rentrée littéraire des Editions de l’Olivier, c’est aussi

Le blizzard fait rage en Alaska.
Au coeur de la tempête, un jeune garçon disparaît. Il n’aura fallu que quelques secondes, le temps de refaire ses lacets, pour que Bess lâche la main de l’enfant et le perde de vue. Elle se lance à sa recherche, suivie de près par les rares habitants de ce bout du monde. Une course effrénée contre la mort s’engage alors, où la destinée de chacun, face aux éléments, se dévoile.
Avec ce huis clos en pleine nature, Marie Vingtras, d’une écriture incisive, s’attache à l’intimité de ses personnages et, tout en finesse, révèle les tourments de leur âme.

À New York ou dans le Michigan, à La Nouvelle-Orléans, à Paris, à Dublin, des hommes et des femmes se penchent sur leur passé. Solitaires le plus souvent, parfois malgré eux (ils sont séparés, veufs ou simplement célibataires), ils s’interrogent aussi sur leur avenir. Sans amertume, même quand la nostalgie joue en sourdine la petite musique des regrets, la ritournelle des occasions perdues et des rendez-vous manqués.
Rien d’autobiographique dans ces nouvelles, nous assure l’auteur. On est pourtant tenté d’y lire, entre les lignes, le bilan de la maison Ford. Car s’il ne dit jamais « je », il y a un peu de Richard Ford dans chacun de ces personnages, ne serait-ce qu’un certain goût pour l’ironie.
Tout en saluant au passage deux de ses modèles : James Salter, pour sa précision, sa cruauté et sa mélancolie, et Alice Munro, championne incontestée du discours indirect libre.