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Nouvelle-Orléans, 1918. Un tueur armé d’une hache terrorise la ville. Malgré eux, trois destins se retrouvent liés dans le sillage de ces meurtres : un policier traumatisé par son service durant la guerre, un jeune trompettiste talentueux et une matriarche de la mafia impliquée dans la construction de l’Industrial Canal.
Nathaniel Rich
427 p.
Editions du Seuil
King Zeno, 2018
Ma Note

C’est rare mais ça arrive, les jurées du mois de septembre pour le Grand Prix des Lectrices Elle ne sont pas arrivées à un consensus quant au choix du roman policier censé représenter le mois en question. Le deuxième titre en question est aussi différent du premier titre Pierres et sang de l’auteur canadien, André Jacques, que deux polars peuvent l’être. King Zeno. Ce roman prend racine dans La Nouvelle-Orléans, au lendemain de la première guerre mondiale, dans ce sud particulièrement ségrégationniste où sévit alors tambour battant la ségrégation raciale : blancs d’un côté, noirs de l’autre. Sauf pour la guerre ou curieusement on noirs comme blancs sont enrôlés. L’auteur Nathaniel Rich vit là-bas même, en Nouvelles-Orléans, il a notamment été rédacteur en chef de la prestigieuse revue littéraire Paris Review.

J’ai eu beaucoup de mal à rentrer dans ce roman, peut-être est-ce dû au fait que je me suis mélangée les pinceaux entre les personnages en première ligne du récit. De fait, en plus d’une carte de la ville, le roman démarre par des extraits de journaux qui relatent les assassinats sauvages d’épiciers de la communauté italienne Sauf que les premiers chapitres y font peu ou plus allusion, le temps de mettre en place les protagonistes dans leur décor et d’assimiler la dynamique que l’auteur a mis en place. Ce roman semblable à la constitution de Big Easy, surnom de la plus grande ville de Louisiane, établit des clivages nets entre les uns et les autres : chapitres sur les policiers, chapitres sur les gens de couleur qui vont de galère en galère, chapitre centré sur ces Italiens qui forment une communauté influente. Chapitres sur les noirs, chapitres sur les blancs. Rythme à trois temps, ou à deux temps, puisqu’après tout c’est encore la différence de couleurs qui posent des frontières entre les uns et les autres entre quartiers de l’Irish channel, le quartier résidentiel, le canal industriel. L’intrigue met bien du temps à démarrer, trop de temps. À un point tel que l’on en oublie les meurtres, qui passent au second plan. Les matchs de Baseball est interminable, le concert de jazz aurait pu l’être s’il ne conférait ce charme sudiste au roman. C’est surtout là ce qui m’a plu, cette atmosphère de Louisiane, carnaval et esprits, œil poché caché, la naissance de ce jass qui commence à suinter à tous les coins de la ville.
« Peut-être que c’est comme ça qu’il faut le comprendre, dit-elle. Dans cette ville, il y a plein de communautés différentes. Et chaque communauté existe isolément des autres.
-Quelles sortes de communautés ?
-La communauté des agents de police et de leurs familles, par exemple. J’imagine que c’est la raison pour laquelle vous êtes venu me rendre visite cet après-midi – pour honorer notre petite communauté ? »
La Nouvelle-Orléans est une ville spectrale, ou les vivants côtoient les revenants, ceux qui reviennent d’entre les morts, et ceux plus vivant mais pas tout à fait morts, qui errent dans les rues en quête d’un sens à leur vie, de se sortir de cette boue des chantiers des canaux et qui les attirent irrésistiblement dans les fins fonds de l’enfer. Tout est à moitié bouffé, dans ce roman bercé par une musicalité assez grave et sombre, les vies rongées par des passés douloureux, les visages par le feu des obus et des armes, la terre creusée par les dents d’aciers des machines, les êtres par un feu malfaisant qui les dévore, les meubles par les contingences des bêtes croqueuses de bois ; les meurtres dénotent finalement assez peu au milieu de cette violence du quotidien, ou tout n’est que laideur, destruction, corruption, vices, lâcheté, rancune, racisme, haine. Mais la musique est présente, tantôt au premier plan, tantôt en arrière-plan, et pose un voile de joie au milieu de cette morosité ambiante, qui a vite fait de noyer chacun des hommes et femmes qui tentent d’y survivre tant bien que mal.
Mais l’atmosphère, cette atmosphère de jazz, brumes de jazz, des cornets et contrebasses, à la sueur des musiciens, de l’alcool embrumé des clients, vous en met plein les oreilles, plein le nez, plein les yeux. Un soupçon d’Italie avec ses épiceries exhalant ses suaves odeurs de victuailles qui jonchent les rues néo-orléanaises, un soupçon de ragtime et de jazz afro-américaine, et une larme d’influence cadienne. Ce roman ne serait rien sans cette écriture très acerbe, un peu nébuleuse, sans temps mort, qui rajoute encore plus d’épaisseur à une trame narrative qui l’est déjà. L’alternance de ces focalisations internes nous entraîne encore un peu plus dans cette atmosphère ouatée, humide, rythmée, et dans le fond, assez malsaine, sur odeur de sang frais qui vient de couler, du sang coagulé des souvenirs des blessures, de la misère qui suinte par tous les pores de la ville derrière les parfums luxueux des grandes familles de la ville.
Après beaucoup d’hésitations, mon choix final se porte donc sur ce titre qui contient peut-être plus de profondeur, dans la description notamment de cette Nouvelle-Orléans divisée, de ces soldats fracassés qui doivent se reconstruire sur leurs cendres, de ces noirs qui naissent avec, par avance, un bilan déjà négatif, un compte débiteur de tout ce que leur couleur de peau les prive injustement par avance, et peut-être avant tout, une certaine justice, ou ils sont tous présomptions de culpabilité dès leur premier souffle.
Les vieux musiciens d’avant-garde avaient quitté la ville parce que les conditions étaient meilleures dans le Nord : de meilleurs salaires, une vie plus facile, des clubs noirs et métis. Mais il était également vrai que leur musique était très appréciée dans ces contrées-là. Les Blancs comme les Noirs se massaient dans toutes les salles qui proposaient du jazz de La Nouvelle-Orléans. On pouvait raisonnablement penser que cela finirait aussi par se produire à La Nouvelle-Orléans. La seule chose qui freinait l’avènement de la musique nouvelle, c’étaient les vieilles attitudes. Peut-être que la lettre de l’Homme à la hache avait réellement brisé ces attitudes. Ce n’était pas l’histoire qu’Isadore s’était toujours racontée, celle ou son jeu changeait la donne et convertissait les païens par son évangile. Mais si des gens en nombre suffisant décidaient qu’ils voulaient entendre cette musique, c’étaient là une véritable opportunité. Une ville affamée de musique nouvelle nécessiterait un vivier de musiciens qualifiés pour remplir non seulement chaque guinguette mais aussi chaque bar d’hôtel, chaque établissement de nuit et chaque salon de club privé. Il faudrait des spécialistes. Il faudrait des maestros. Il faudrait des innovateurs pour entretenir une musique florissante et surprenante.
Le champ était ouvert. King Bolden avait abdiqué lorsqu’il était devenu fou. Son successeur, King Watzke, était mort, victime de la grippe espagnole. L’héritier de Watzke, King Keppard, avait été destitué par King Oliver, et tous deux avaient fui dans le Nord. Le royaume était prenable par qui le convoitait : les remparts étaient laissés sans surveillance, les douves à sec. Si la passion durait plus d’une nuit, Isadore avait autant de chances que n’importe qui d’hériter du trône. Il avait son armée désormais, non ? Son public affamé. Une ville entière était prête à entendre son cornet gémir, mugir et fulminer. Il pouvait presque l’entendre, son cornet retentissant à travers les rues au cri de Zeno est roi, Zenoi est roi, ZENO EST ROI.
Pour aller plus loin

1979. À peu près tout ce que nous comprenons à l’heure actuelle du réchauffement climatique était compris. Et même mieux compris, sans doute. Les principaux aspects du problème étaient tranchés, sans débat possible, et les spécialistes, loin de se disputer sur l’établissement des faits, travaillaient à en affiner les conséquences. Il y a trente ans, nous aurions pu sauver la Terre. Pourtant nous n’avons rien fait. Après des années d’enquête et plus de cent interviews réalisées avec le soutien de la Fondation Pulitzer, Nathaniel Rich retrace comment la planète a raté son rendez-vous avec le climat, comment malgré les efforts de plusieurs lanceurs d’alerte, d’intérêts parfois concordants, souvent contradictoires, y compris de l’industrie pétrolière, rien n’a été fait pour stopper le changement climatique.

New York, dans un futur proche. Mitchell Zukor est engagé par FutureWorld. Son travail consiste à établir en détail les pires scénarios possibles pour les vendre aux sociétés clientes afin de les indemniser contre toute catastrophe. Mais Mitchell perd peu à peu contact avec la réalité. Quand l’un de ses scénarios catastrophes se produit à Manhattan, il est le seul à en profiter.