À la lumière de la nuit

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Atteinte d’une maladie rare et condamnée à l’obscurité, Chiara, huit ans, fait des rêves aussi étranges qu’effrayants : dans la forêt qui jouxte sa maison, elle voit un arbre couvert de mystérieuses inscriptions au pied duquel repose un cœur d’enfant.
Chiara est convaincue que son rêve fait écho à des événements réels. Terrifiés, ses parents contactent la police, lançant la commissaire Battiglia sur les traces d’un passé tourmenté.
Dans cette région d’Italie où la terre est brûlante, seuls peuvent enquêter ceux qui survivent à la lumière de la nuit…

Ilaria Tuti

228 p.

Robert Laffont

Luce della Notte, 2021

Une traduction de Johan-Frédérik Hel Guedj

Ma Note

Note : 3 sur 5.

J’ai découvert la prose d’Ilaria Tuti, publiée chez Robert Laffont, à travers son premier ouvrage traduit en français Sur le toit de l’enfer, qui a été élu meilleur polar étranger lors du Prix des nouvelles voix du polar en 2020 – il n’a pas été l’objet de mon vote. Sur le toit de l’enfer était également le premier titre de la série mettant en scène, une fois n’est pas coutume dans le monde un peu sexiste des polars, la commissaire de police sexagénaire, Teresa Battaglia. J’avoue avoir gardé peu de souvenirs de l’écriture et des grandes lignes de la narration du premier titre lu il y a deux ans. La mémoire m’est revenu au fil de ma lecture de ce titre, qui contient effectivement quelques références au premier tome, je ne crois pas que cela puisse gêner la lecture de ce titre-là. En toute honnêteté, À la lumière de la nuit m’a davantage plu que Sur le toit de l’enfer, ne serait-ce que par le contexte de la narration.

On y retrouve d’abord le fameux duo très improbable mais finalement assez réussi, celui du commissaire-inspecteur, Teresa Battaglia- Massimo Marini, qui rajoute du punch à l’histoire : aussi différents, et secrets que le jour et la nuit, ce sont leurs joutes récurrentes et leurs taquineries mutuelles qui attribuent un charme supplémentaire au roman, une touche de pince-sans-rire et de légèreté qui déleste l’histoire du poids de sa gravité et de sa solennité. Si dans Sur le toit de l’enfer, une certaine distance régissait leur rapport, ceux-ci se sont incontestablement détendus, pour notre plus grand plaisir. Dans la continuité de Sur le toit de l’enfer, Ilaria Tuti utilise ce décor d’Italie de l’Est, la province de Frioul-Vénétie, accolée à la Slovénie, qui non seulement, confère à l’histoire une atmosphère de peur et de ténèbres, qui servent parfaitement cette brume d’ésotérisme et de surnaturel dans laquelle est baignée cette première partie de roman. Plus concrètement, c’est aussi un lieu charnière, qui accueille tous les flux migratoires en provenance de la route des Balkans.

Ce lieu très particulier, presque renfermé sur lui-même et autour de cette multitudes petites énigmes laissées en suspens, confine chacun de ses habitants dans ses propres secrets, jusqu’à suffocation, et n’offre peu d’autres perspectives que les chimères d’un enfant, née dans un corps malade, ou celles de familles exilées. Ilaria Tuti emprunte la voie des rêves de ces enfants mal nés, mauvais endroit, mauvais corps, qui tournent à la tragédie : Si la région apparaît comme une embouchure salvatrice sur cette Europe, tellement imaginée et attendue pour certains, il semblerait qu’elle ne soit qu’un mirage, une impasse brute et sans issue. Tout fini entre quatre planches ou entre les quatre murs de sa maison ou de sa chambre pour l’enfant de la lune. Et le reste, la commissaire et son subordonné sont enfermés dans leur propre vie – Ilaria Tuti ouvre la voie ici à de futurs développements – et leur incapacité à en sortir ainsi qu’à sortir du rôle qui leur est attribué. Tout comme les autochtones.

En continuité de cette vision, Ilaria Tuti a choisi d’inscrire son enquête dans cette problématique qui semble insoluble : la fuite en masse de femmes et hommes de pays ou la guerre et l’indigence ont tout ravagé en direction de pays qui ne veulent clairement pas d’eux et font tout pour les renvoyer n’importe où. Cette dimension politique, que son premier roman ne possédait pas, donne à cette fiction une hauteur plutôt estimable. Si le retour à une réalité froide et cruelle dans la seconde partie du roman peut causer une sorte de désenchantement, il semblerait que ce soit globalement la situation de tous ces chacun et chacune chez l’auteure italienne.

– Les migrations par cette route ont-elles repris ? s’informa Marini, brisant ce moment ou affleuraient trop de sentiments intimes.

Magris se redressa contre le dossier de son fauteuil, en jouant avec le stylo qu’il tenait entre les doigts.

– Elles n’ont jamais cessé et les données dont nous disposons attestent de ces chiffres en hausse. Au début, ces réfugiés fuyaient les guerres balkaniques, et maintenant ils viennent de beaucoup plus loin : cette route est désormais la seule pour rejoindre l’Europe du Nord, la destination finale de leur périple, mais le parcours devient chaque jour de plus en plus périlleux.

Dans ce troisième roman traduit et publié chez nous, Ilaria Tuti empreinte encore une fois, et douloureusement, le thème des enfants ; il en était déjà question dans Sur le toit de l’enfer. Les souffrances sont toujours plus amplifiées et affûtées lorsque c’est l’enfance qui se trouve touchée. Et je dois bien concéder, pour ma part, un grand moment d’amertume et de tristesse au dénouement de ce thriller, qui touche à nos racines et à ces enjeux terriblement d’actualité qui ont fini par nous dépasser et qui n’épargne même plus ces enfants.

Teresa referma son journal et se redressa contre le dossier du canapé, les yeux fermés. Marini observait chacun de ses gestes. Sa crainte que le voile soit le vé sur les difficultés dans lesquelles s’empêtrait son esprit lui donnait le sentiment d’être traquée à chaque regard trop attentif. En serait-il ainsi pour le restant de ses jours, jusqu’à la maison de repos ? Ou jusqu’à sa retraite. Deux échéances relativement proches.

– J’ai dit quelque chose qui ne va pas ?

– Rien, Marini.

– Vous avez changé de tête.

Teresa rouvrit un œil.

– C’est que tout ce que tu dis s’avère extrêmement chargé de sens, inspecteur. Comment fais-tu ?

– Je m’efforce d’avoir une attitude réfléchie.

– Ah. Ca se voit.

– Quoi ?

– Que tu t’efforces.

Un miaulement prolongé s’acheva dans un sifflement rageur.

Marini tressaillit et se leva d’un bond.

– Nom de Dieu, c’était quoi, ça ?

– Je n’en ai aucune idée. (Elle tappota le divan du plat de la main.) Assieds-toi.

– Il y a un truc qui ne va pas. Nous sommes ici depuis combient de temps ? Et nous n’avons pas encore vu la fillette. Si ça se trouve, elle n’existe pas. Je n’en serais pas si surpris.

Teresa consulta sa montre.

– Nous sommes ici depuis dix minutes à peine.

– J’ai la sensation que nous perdons juste notre temps.

– Je te rappelle que c’est toi qui disais n’avoir rien à faire.

– C’est peut-être son compagnon qui a réalisé toutes ces décorations… Vous ne voyez pas ? Moi, si. Ce type est étrange.

Teresa soupira.

– La fillette, nous ne la rencontrerons jamais, si nous ne nous soumettons pas à cet examen, dit-elle en baissant la voix. Et toi, ton attitude n’aide pas.

– Qu’est-ce que je devrais faire ?

Elle le fixa du regard.

– Te démariniser. Tu crois que ce serait possible ?

Pour aller plus loin avec Ilaria Tuti

Dans les montagnes sauvages du Frioul, en Italie, le commissaire Teresa Battaglia, la soixantaine, la langue acérée et le cœur tendre, est appelée sur les lieux d’un crime pour le moins singulier : un homme a été retrouvé mort, les yeux arrachés. À côté de lui, un épouvantail fabriqué avec du cuivre, de la corde, des branchages… et ses vêtements ensanglantés.
Pour Teresa, spécialiste du profilage, cela ne fait aucun doute : le tueur frappera à nouveau. Elle va devoir rassembler toute son énergie et s’en remettre à son expérience pour traquer cette bête humaine qui rôde dans les bois. Si tant est que sa mémoire ne commence pas à lui faire défaut…

Derrière la beauté bouleversante du tableau La Nymphe endormie se cache l’horreur : au lieu de peinture, l’artiste a utilisé du sang. Voilà ce qui lance la commissaire Teresa Battaglia sur la piste d’un meurtre commis soixante-dix ans plus tôt, dans les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale. Une enquête ne comportant ni corps ni scène de crime, ni suspect ni témoin. Rien qu’une trace génétique que Teresa remonte jusqu’à une vallée isolée et mystérieuse du nord de l’Italie, le Val Resia, protégée depuis des siècles par un isolement presque absolu, et dont les habitants partagent des croyances étranges et ancestrales. Un mystère qui plonge au cœur des mémoires, d’autant plus épais quand celles-ci défaillent…

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