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Les Jours de Saveli est un petit traité de survie, écrit de manière très originale de la perspective d’un chat. Ce bijou de roman est un mélange de tendresse, d’humour, de tristesse et de résignation, véritable métaphore de la vie humaine.
Le chat Saveli nait dans une cour d’immeuble délabré et ouvre les yeux dès l’instant où il vient au monde. Doté d’une curiosité insatiable, Saveli met son museau dans chaque recoin, attentif à tout et attiré par des lieux inconnus. Du jour où Vitia le prend chez lui, les aventures s’enchaînent: il devient notamment colocataire d’un perroquet fou, employé officiel de la galerie Tretiakov, protégé d’une bande d’émigrés kirghizes, leader d’une commune de chats et pensionnaire d’un bar à chats.
En même temps qu’une pseudo-biographie écrite le sourire en coin, Les Jours de Saveli est une fresque de Moscou d’hier et d’aujourd’hui, élégante, pleine de charme et libre d’esprit, autant que de ses habitants innombrables.
Grigori Sloujitel
296 p.
Editions des Syrtes
Дни Савелия, 2018
Une traduction de Maud Mabillard
Ma Note

« Le chien pense : l’homme s’occupe de moi, me nourrit, prend soin de moi. Il doit être un dieu. Le chat pense : l’homme s’occupe de moi, me nourrit, prend soin de moi. Je dois être un dieu. »
La rentrée littéraire des Editions des Syrtes a été féline : de cette rentrée entre deux romans sur les drames de chacun, des faits divers, de relations toxiques en tous genres, et je ne critique pas, je suis la première à aimer lire ce type de textes, ce roman accorde une bouffée d’air, de douceur et d’humour, bienvenus. C’est le premier roman de Grigori Sloujitel – Григорий Служитель – diplômé et comédien sur la scène aussi bien que devant la caméra, il exerce également ses talents en tant que chanteur. L’auteur russe Evgeny Vodolazkin a eu un coup de cœur pour ce roman et l’excellente idée de le préfacer : il y confie son étonnement face à la maturité de l’écriture d’un titre qui est la toute première œuvre de l’auteur.

Effectivement, j’ai d’emblée été surprise par le langage très châtié de ce minou, de la vivacité de sa pensée, de la sensibilité et l’intelligence qui le caractérisent. Aux premiers abords, Savali à tout l’air d’un chat de gouttière, pedigree inconnu, et qui passe les premiers mois de sa vie entre sa mère et ses sœurs dans un vulgaire carton de bananes. Notre narrateur félin n’a rien à envier aux hommes qu’il côtoie en matière de capacités cognitives et en matière de goûts, qui le portent vers l’amour de l’art, c’est un mélomane averti, il ne jure que par L’Amoroso de Vivaldi et la dégustation de fromage blanc à troi pour cent de matière grasse, dont il tient le nom. C’est avec plaisir que l’on suit le récit focalisé sous la paire d’yeux de notre bête à quatre pattes auxquelles il arrivera toutes les choses qui peuvent arriver à un chat : adoptions, bagarres de rue, visites chez le vétérinaire. Et pour rajouter un peu de piment à cette histoire déjà bien facétieuse, le chat de Grigori Sloujitel est moscovite et dans son errance, entre deux foyers, il nous amène dans tous les recoins de la capitale russe depuis son lieu de naissance, la rue Chelapoutine. Dans une interview donnée à Novaya Gazeta, Grigori Sloujitel concède que Moscou fait partie intégrante de l’histoire, la vie de Saveli est une sorte de visite guidée de la capitale, et de sa transformation au fil des années, qui, comme chaque métropole, a vu l’apparition de commerces propres à notre modernité tels que les bars à chats.
Notre matou russe se prénomme Saveli. Mais aussi Termijan, Auguste, au gré de la volonté de ses maîtres successifs. Car avec tout le caractère de chat qui est le sien, il s’empresse de fuguer, tôt ou tard, à chaque fois que l’un de ses maîtres voudrait bien le garder à ses côtés. Saveli est davantage un chat trois-étoiles, doté d’un flegme et d’un sens de l’humour assez savoureux. Il est difficile, par exemple, de se retenir de sourire à cette description du chat du chef de l’état à l’occasion des vœux télévisés : l’auteur sait, nous savons, mais dans cette vision féline pleine de cette innocence tellement pure qui ne s’attarde que sur la calvitie du dictateur russe, est à pleurer de rire « Un homme sérieux, un peu chauve et vêtu de noir, occupa tout l’écran. Il nous regardait avec compassion et compréhension ». Je l’ai relu plusieurs fois avec le même plaisir à chaque fois. Ou l’art d’utiliser un chat pour amorcer une esquisse de satire. L’auteur russe évoque son roman comme une série de de séparations et de pertes, Saveli a effectivement un peu la guigne, de foyer en foyer, il trimbale avec lui le doux et mélancolique souvenir de sa jeunesse de chaton auprès de sa mère et ses sœurs, mais il finit toujours par retomber sur ses pattes avec toute ses ressources de félidé.
– Comprenez…euh…
– Termijan
– Non, pas Termijan.
– Auguste.
– Et pas Auguste.
– Bon, Minou.
– Toujours pas.
– Saveli.
– Oh ! Ca y ressemble plus.
– Comment avez-vous compris ?
Olivier, prenant des airs de chasseur, renifla comiquement à droite et à gauche :
– Le flair. Oui, vous avez autant de noms qu’une infante espagnole. Mais le plus intéressant est que cette liste permet d’esquisser assez précisément votre biographie. Une biographie magnifique, en fait. Vous avez été battu, bien sûr, et fort battu, mais cela arrive à tout le monde. Vous avez eu une mère aimante, il semble. Elle vous a nommé en l’honneur de votre père ?
– Non.
J’étais content qu’il se fût trompé.
Une plume riche que l’on goûte avec plaisir, un sens de l’ironie et de l’humour qui tapent juste à chaque fois, une biographie parfaitement échafaudée, j’ai beaucoup aimé cet interlude félin et littéraire, et j’attends avec impatience les titres à venir. Sur son site internet, Grigori Sloujitel affiche les différentes couvertures de son livre, j’ai un faible pour la couverture de la version hongroise qui montre une Moscou depuis les yeux du chat, la couverture italienne met l’accent sur le côté chat de gouttière, la version estonienne montre le chat du foyer, ( je n’ai pas compris la version serbe), chacune mettant en relief l’un des aspects de notre héros à moustaches. L’anthropomorphisme de notre Saveli fonctionne totalement dans ce rôle de chat distingué et de bonne éducation, on a tous et toutes besoin d’un Saveli à lire.
Bien que Mitia Pliasskine, Abdoulloh et la vendeuse Zina m’eussent souvent pris dans leur bras, ce n’est qu’à ce moment, en sentant sur moi cette menotte d’enfant, que je ressentis, ou plutôt, pressentis, ce que pourrait être, dans mon avenir, l’étrange accord entre chat et homme. Quand on cesse de s’appartenir ; quand on soumet sa volonté à cet être bizarre. Quand le besoin d’affection de l’homme rencontre l’instinct de survie du chat. Quand, finalement, le chat se résout à lui faire confiance, et que l’homme, comme je l’ai entendu dire, le pare de capacités mystiques, d’une aptitude à guérir, à voir les mauvais esprits dans la maison. Quand le maître tire plaisir des soins qu’il prodigue, donnant à boire et à manger au chat, et que le chat, infiniment reconnaissant, désirer de montrer son dévouement, s’applique de toutes ses forces à ne rien faire. Il dort, ronronne, et fait rouler paresseusement une pelote de laine entre ses pattes. Cela aurait-il lieu dans ma vie?
Pour aller plus loin

Comme Doubar (éditions des Syrtes, 2021), ce recueil de cinq récits est consacré aux camps staliniens où l’auteur a passé quatorze ans de sa vie (1938-1952). Rescapé de la Kolyma, Demidov en a expérimenté et observé le fonctionnement dans ses infimes détails en tant qu’acteur et victime. Son expérience est divisée en séquences peuplées de personnages dont les situations illustrent toutes les facettes de la vie des camps. Il donne ainsi un tableau extrêmement précis de cet univers concentrationnaire. En tant que témoin fiable et impartial Demidov apporte ce qui n’est documenté par aucune archive historique : les sentiments, les émotions, les stratégies de survie…
Le Journal d’Anna Dostoïevski constitue, par sa constante véracité, un document unique sur la vie d’un couple. Torturé, malade, inquiet, puéril dans ses entêtements, haïssable dans ses mesquineries, Dostoïevski est là, extraordinairement vivant et proche. À travers cette bouleversante confidence à soi-même il apparaît plus simple, plus vrai, à la fois pitoyable et fascinant.
Témoin chaleureux, toujours discret, jamais dupe, Anna Grigorievna renouvelle le genre impossible du journal intime avec un grand homme de mari à la clef. Ce n’est pas la moindre surprise qu’apporte le Journal : la très jeune secrétaire est, elle aussi, un écrivain.
Paul Kalin
