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Après douze ans sans nouvelles, Sara, une Bosnienne installée à Dublin, reçoit un appel de son amie d’enfance, Lejla. Cette dernière lui demande de venir la chercher au pays pour la conduire à Vienne, où se trouverait son frère disparu pendant la guerre, deux décennies plus tôt. Malgré la distance et les années de silence hostile, Sara accepte de l’aider. Ensemble, elles se lancent dans un road-trip au cœur des ténèbres de l’Europe et plongent dans le “terrier” de leur passé commun.
Lana Bastašić
256 p.
Gaïa
Ухвати зеца, 2018
Une traduction de Aleksandar Grujicic et Isabelle Libar
Ma Note

Comme des fiancées en fuite, les vers s’étaient affranchis d’Alvaro de Campos – qui, tant qu’on y est, n’a jamais existé, pas plus que les fraises, qu’on n’a jamais plantées dans cette cour -, de Lejla et de moi, de ce petit amas de terre froide avec deux yeux de pierre, affranchis même de l’existence momentanée et de la disparition qui va avec.
Attraper le lapin est l’un des romans de la rentrée qui nous amène en ex-Yougoslavie, entre Croatie et Bosnie, mais aussi à Dublin et à Vienne. Il est le premier roman de l’auteure Lana Bastašić, pour lequel elle a reçu le prix de littérature de l’Union Européenne en 2020 en tant que représentante de la Bosnie-Herzégovine. Elle a contribué un projet dont le but est de promouvoir les auteures des Balkans. Sa renommée est telle qu’elle lui vaut d’être considérée comme l’équivalent serbe d’Elena Ferrante. Comme le rapporte le site Balkandiskurs.com, des études menées par Grupa Pobunjene čitateljke, des critiques littéraires originaires de la région, ont montré que les femmes constituent une très petite minorité du monde littéraire de Bosnie-Herzégovine. C’est avec plaisir que nous retrouvons l’une d’elles grâce à Gaïa Editions.

Nous voilà avec Sara, la narratrice, expatriée loin de sa ville natale en Bosnie, à Dublin alors qu’elle reçoit l’appel d’une amie, Lejla, dont elle n’a plus reçu de nouvelles depuis quelques années : alors que celle-ci exige d’elle qu’elle vienne l’emmène à Vienne depuis leur Bosnie originelle, Sara est naturellement réfractaire jusqu’à ce que son ancienne amie lui annonce brusquement qu’un certain Armin se trouve dans la capitale autrichienne. C’est l’annonce de ce prénom qui déclenchera son envie formelle de mettre de la distance avec sa vie quotidienne irlandaise pour un retour dans le passé, sur les routes brisées du souvenir du pays éclaté qui fut le sien, et un retour sur une amitié qui a brusquement cessé d’être un été douze ans auparavant.
Dès ce premier coup de fil, on comprend que cette amitié, éteinte depuis presque douze ans ne fut pas sans heurts entre Sara et Lejla. Que Lejla est à l’origine de cette rupture soudaine et inexpliquée et que pour Sara, la pilule n’a jamais vraiment été avalée. Si elle se décide à retourner dans un pays qui n’est plus le sien, c’est pour redécouvrir le sort d’Armin, qui n’est autre que le frère de son ancienne amie, disparu soudainement. Ce road-trip commencera pour elle à Zagreb et finira à Vienne, de l’ex-Yougoslavie à un pays d’Europe. C’est un road-trip vers le passé, le récit est entrecoupé de retours en arrière dans leur amitié et leur vie respective, qui retrace leur histoire, avec en second plan, la guerre de Yougoslavie. Toujours esquissée, toujours là à coups de rappels ponctuels des heurts et conflits interethniques : on y apprend peu à peu que Sara est serbe, Lejla bosnienne, et musulmane, et que dans la Serbie de cette époque la vie n’était pas aussi facile pour l’une que pour l’autre à Banja Luka, capitale de l’entité serbe de Bosnie. Lejla, et Armin, qui doit modifier l’orthographe de son prénom, devenant Lejla et Marko,
Cette différence fondamentale entre les deux filles a creusé un fossé que Sara a toujours semblé ignorer et qui motive probablement le voyage de Lejla vers ce frère mystérieusement disparu : alors que Sara ne cesse d’explorer sa mémoire, sa propre réceptivité des choses, Lejla au contraire tente de secouer la conscience de son amie par tous les moyens possibles. Et en fil conducteur ce lapin, autrefois l’animal de compagnie de Lejla, qui ravive leurs souvenirs, à la manière d’une madeleine de Proust, compagnon invisible et inconsistant de ce road-trip vers les temps révolus. Comme un fil que l’on tire pour ramener à elles cette expérience à la fois commune et si dissemblable. Armin est effectivement l’objectif du voyage, le prétexte au cheminement que Lejla veut faire emprunter à celle qui s’est retranchée en Irlande, ses certitudes en poche. Un cheminement hors de ses certitudes afin que Sarah la serbe puisse appréhender la réalité de Lejla et Armin les bosniaques de Serbie, la détestation latente qui les entoure, l’air de rien, de la bouche même du père de Sara, des moqueries de leurs camarades. Une ostracisation qui les sépare, que Sara se refuse à voir et qui blesse Lejla.
Sara est réfugiée sur son île irlandaise comme elle était en autarcie son territoire d’où rien ne la touchait, ni les problèmes de Lejla et d’Armin, ni les effets de cette guerre fratricide sur ses proches. Attraper le lapin est un ultime essai, de cette Lejla abattue par les coups, pour mettre son ancienne amie face à une réalité qu’elle se refuse obstinément à voir et à entendre, alors même qu’elle a le nez dessus. Le récit est mené entièrement sous focalisation de Sara, et c’est selon sa façon de réagir que l’on découvre leur passé, et il nous faudra passer par les mêmes épreuves qu’elle pour comprendre ce qu’il en est d’Armin. L’écriture de Lana Bastašić passe beaucoup par l’utilisation successives d’images et de métaphores, elle suggère bien plus qu’elle ne dit, elle montre bien plus qu’elle n’avoue. Car la langue, spécialement serbo-croate, est particulièrement abhorrée pour Sara, dont on la prive, dont elle se prive, préférant une plus conventionnelle et anonyme langue anglaise. Lejla le souligne d’ailleurs à un point, soulignant ainsi la superficialité de leur amitié, leur incapacité à communiquer et celle de Sara à la comprendre, comme si toutes les deux parlaient une langue différente. Ce qui n’est pas loin d’être le cas, Sara a besoin d’un road-trip – la pleine traversée de l’ex-Yougoslavie – pour assimiler ce que son amie a tenté de lui dire depuis des années. Une fois mise devant le fait accompli.
« Il faut que je rentre chez moi », ai-je finir par lui dire. Home. On vivait ensemble depuis six ans, il ne fallait pas le dire comme ça. Home, c’était notre appartement, nos livres, notre lit avec ses oreillers ergonomiques, notre douche en panne, le petit canard sur le carreau de la salle de bains, les entailles dans le parquet. Même ce type nu à notre fenêtre. Home, ce n’était pas la Bosnie. La Bosnie, c’était autre chose. Une ancre rouillée dans une mer de pisse. Même après des années, on se fait régulièrement vacciner contre le tétanos.
On a bien saisi que le but de ce road-trip n’est pas de rattraper une personne elle-même, mais de davantage dissiper les illusions de l’une, d’une amitié, somme toute artificielle, d’un silence de douze ans, de l’incapacité de Lejla à s’intégrer à ce nouveau pays, dont les frontières se sont rétrécies, et pas seulement géographiques. Attraper le lapin, ramener Sarah devant l’horreur du vide, d’une guerre, d’un passé qu’elle s’est acharnée à mettre à distance, loin sur son île. Lejla en porte les stigmates, de toute cette violence qui a éclaté, et qui n’a pas quitté le pays, ne serait-ce que dans les artères des villes et les esprits de ses habitants. La Bosnie apparaît ici un pays de transit pour l’une qui a eu le luxe de s’en éloigner, pays d’adoption qui ne cessera pas de la malmener pour l’autre, source de douleurs. La Bosnie, comme un labyrinthe de routes qui ne mènent nulle part, si ce n’est à tourner en rond.
Tu as haussé les épaules, comme s’il n’y avait pas moyen de nous expliquer ça – à nous, les jeunes filles sans menstruation. Tu étais différente. Il y avait dans ton attitude une sagesse intangible, quelque chose qui disait que c’était à toi de guider et à moi de suivre, comme si nous faisions partie de deux espèces de primates différentes. Le sang perdu t’a donné le pouvoir de décider de tout – ou aller, que faire, comment se comporter. J’essayais de te rappeler que c’était moi la plus âgée et que j’étais par conséquent responsable de nous deux, mais pour toi, le sang dépassait de loin la chronologie. Et quand je t’ai dit que ton nouveau nom ne comptait pas parce qu’il était faux, tu n’as pas bronché.
« Toi non plus, tu n’es pas née avec le tien, as-tu dit. Tu ne l’as eu que plus tard. »
La veille encore, tu étais Lejla, sans règles, immaculée, comme moi. À présent, cette maudite Lela au prénom serbe s’était glissée dans notre amitié, une Lela qui avait ses règles et comptait bien garder les détails pour elle. Je la haïssais. Je te haïssais. Avec un couteau de cuisine, ta mère a enlevé le g bosniaque de votre nom de famille apposé sur la porte d’entrée, et elle l’a remplacé par un r. Begić est devenu Berić, pour ne pas attirer la colère des voisins serbes. La lettre en laiton brillait, toute neuve au milieu de ton vrai nom de famille, humiliant les autres lettres. Tu étais devenu Lela Berić, comme ça, sans aucune autorisation.
Gaïa Editions, c’est aussi

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