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« Qu’importe l’éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l’infini de la jouissance. » (Baudelaire)
Tel serait l’esprit de cette saga lapidaire – un siècle de fureur et de sang que va traverser Valdas Bataeff en affrontant, tout jeune, les événements tragiques de son époque.
Au plus fort de la tempête, il parvient à s’arracher à la cruauté du monde : un amour clandestin dans une parenthèse enchantée, entre l’ancien calendrier de la Russie impériale et la nouvelle chronologie imposée par les « constructeurs de l’avenir radieux ».
Chef-d’œuvre de concision, ce roman sur la trahison, le sacrifice et la rédemption nous fait revivre, à hauteur d’homme, les drames de la grande Histoire : révolutions, conflits mondiaux, déchirements de l’après-guerre. Pourtant, une trame secrète, au-delà des atroces comédies humaines, nous libère de leur emprise et rend infinie la fragile brièveté d’un amour blessé.
Andreï Makine
198 p.
Grasset
Ma Note

Tout devenait clair : il n’avait été véritablement vivant que pendant ces quelques jours lumineux de l’automne 1920. Dans le « champ des derniers épis ».
J’entame la rentrée littéraire d’hiver de cette année à venir avec un titre d’Andreï Makine, à paraître chez Grasset le 11 janvier prochain, qui une fois encore, retranscrit sa double culture franco-russe, par la vie de son personnage Valdas Bataeff, un Russe déraciné, exilé en France. Des deux autres titres que j’ai lus de l’auteur, Le testament français et Mon ami Arménien, celui-ci est indéniablement le plus poétique. L’orthographe du nom de famille de Valdas, Bataeff, est importante puisque la consonne double finale est la marque de ces Russes blancs ayant trouvé l’exil en France, déchus de leur titre de noblesse. L’auteur l’explique, ils ont trouvé là le moyen d’honorer et d’entretenir le souvenir de leur rang d’autrefois, perdu dans la révolution et dans l’exil.

Fin octobre 1991, notre narrateur se rend dans un cimetière de Nice, et constate qu’il compte un certain nombre de tombes de Russes blancs : il y fait la rencontre d’un vieil homme, qui finit par lui faire le récit de sa vie, l’existence de Valdas Bateff né dans l’empire russe, officier au sabre au sein de l’armée des Russes blancs, et qui se retrouve, pour ses dernières années, sur le banc d’une grande ville de la Riviera française. Le vieillard, né en 1898, revient sur cette drôle de vie qu’il a menée, depuis ce mois d’août 1913 en Crimée aux abords de la mer noire, non loin du Tsar Nicolas II et de Raspoutine, tout deux en villégiature. Qui le ramène dans un amour passé, perdu, on ne sait pas trop encore, en tout cas, révolu. Auprès de celle qui porte le nom de Taïa. Jusqu’à la capitale française et la ville méditerranéenne.
Retour dans un pays qui n’est plus, une époque engloutie sous les révolutions et les conflits, dans une assemblée de personnages qui ont eux aussi tous disparu, sans exception, du paysage et de l’environnement proche de Valdas. Le maître-mot de ce récit est la mélancolie, Valdas apparaît comme l’ultime figure de plusieurs mondes tombés dans les eaux de l’histoire, entouré des fantômes de ceux qu’il a dû quitter, ceux qui l’ont quitté trop tôt, et surtout celui de Taïa, symbole d’une douceur de vivre à jamais disparue. C’est un texte assez court, mais dense, car Valdas traverse plusieurs pages de l’Histoires, plusieurs guerres, plusieurs pays, plusieurs vies comme les chats. Plusieurs amours, même si l’unique n’est plus. Évidemment, ce qui m’a attiré, c’est d’abord cet empire russe, et le milieu où grandit Valdas est privilégié, il jouit d’un contexte culturel riche, Tchekhov aux premières loges, auprès duquel il épanouit un esprit libre. Une première partie de vie idéale et idéalisée au travers de ses souvenirs d’enfant, marqué par un épisode épique qu’il a vécu auprès de contrebandiers, pendant lequel il a connu la femme dont il tombe amoureux. Une Crimée, bien loin de la représentation qui nous vient en tête aujourd’hui, paradisiaque et paisible, le nom de la villa de son père évoque cette parenthèse idyllique, la dernière et l’unique, L’Alizé. Une Crimée azuréenne, dont il semble probablement retrouvé le souvenir dans cette Nice tout autant méridionale. Un chassé-croisé franco-russe, dont il semble être l’un des derniers témoins. Ce tableau vire au cauchemar, on connaît déjà les grandes dates de l’Histoire russe et européenne, mais laisse une empreinte et une culture sûre à celui qui s’engagera contre les bolcheviques.
Les soirées se terminaient tard, les vins de Crimée se mêlaient aux alcools venus de France et d’Italie, répondant au chassé-croisé des langues européennes qui résonnaient sur la terrasse. Valdas n’étaient plus renvoyé dans sa chambre, comme les étés précédents. « Ca y est, je suis adulte ! se disait-il. Ils ne pourront plus rien me cacher… »
On assiste également aux mouvements révolutionnaires depuis leur cœur, depuis ces privilégiés qui deviennent persécutés, des bolcheviques qui viennent, pillent tout, massacrent quiconque se dressent devant eux, d’un jeune garçon qui voit sa vie toute tracée devant lui, se briser, d’une fiancée le quitter pendant qu’il combat. Pur produit de la culture russe et slave, il tient son prénom de la Lituanie de sa défunte mère, il devient français d’adoption, se complaisant dans la place du Russe blanc, auquel on veut bien l’assimiler, puisque les Russes ne pouvaient être que d’un côté ou de l’autre. Une autre vie, dans une France en guerre, d’autres liaisons, le soldat est devenu chauffeur de taxi, il vadrouille à Paris comme il l’a fait en Europe, comme s’il était impossible pour lui de se fixer. C’est un destin peu commun que celui de notre Russe, qui vit encore dans les beaux et éternels clichés de bonheur de son enfance, de ces aventures qui ressortent grandis par l’action de la mémoire, et ceux des guerres qui ont mis à mal son patriotisme et sa fidélité à un pays qui n’existe d’ailleurs plus. Valdas porte cette idée, cette odeur d’un Ancien Monde, révolu, certes loin d’être parfait, mais dont les moments de bonheur sont immortalisés par les tragédies du monde d’après, en guerre, de sang, de révolution. Une beauté intangible dont seuls les souvenirs sont porteurs : arrangée, améliorée, par le temps, les regrets, la mélancolie. Un épisode, un moment de vie, un passage hors du temps, entre ancien et nouveau calendriers, qui reste dans cette image ultime de Taïa au milieu de ce champ des derniers épis de blé, contenant tous les moments vécus ensemble, qui ne cesse revenir à l’esprit de l’homme en un motif lancinant.
Valdas est l’un des derniers témoins d’une mémoire qui s’estompe, d’un vingtième siècle qui a vu la mort et la naissance de nations, en tout cas pour lui, d’un âge d’or, cette vie de bohême en Crimée, dont il est le gardien. Le transmetteur, aussi, à ce narrateur qui flâne opportunément entre les dernières demeures de celles et ceux, qui ont emporté le secret de leur vie. Dans les trois romans d’Andreï Makine que j’ai pu lire à ce jour, l’auteur évoque essentiellement la Russie, et l’Union Soviétique, d’antan, les amitiés, amours passés, sans jamais se fourvoyer sur la nature de l’empire russe ou de l’URSS. Je me demande s’il choisira d’évoquer dans l’un de ses romans éventuels à venir la Russie actuelle.
Il souriait, curieux de se sentir relié à ces êtres, autrefois si proches, mais n’éprouvant pas l’envie de les recroiser dans un présent qui ne l’intéressait plus.
En revanche, il aurait bien voulu savoir ce qui était arrivé à Zinaïda et à Sophia, ces femmes qui l’avaient fait vivre dans deux Russies différentes. Un grand rêve futuriste, pour l’une. Un lointain mirage nostalgique, pour l’autre. Il apprit qu’elles étaient parties, chacune à son tour, en Union soviétique. Après la victoire sur Hitler, bien des émigrés voyaient en la Russie un pays lavé des horreurs de la révolution. Cette patrie les invitait à rentrer au bercail, en promettant bon accueil et emploi garanti. Comparé à la précarité de l’après-guerre, le projet se présentait particulièrement tentant. Les gens recommençaient à croire que là-bas leur vie allait pouvoir se ressouder, tel un os cassé.
Valdas était peu attiré par cette ruée vers l’URSS. Il n’avait pas besoin de voyager pour retrouver son « champ des derniers épis ». C’était là, sa véritable patrie intérieure.
La rentrée littéraire 2023 des Editions Grasset

Au cœur de l’Allemagne, l’International Tracing Service est le plus grand centre de documentation sur les persécutions nazies. La jeune Irène y trouve un emploi en 1990 et se découvre une vocation pour le travail d’investigation. Méticuleuse, obsessionnelle, elle se laisse happer par ses dossiers, au regret de son fils qu’elle élève seule depuis son divorce d’avec son mari allemand.
A l’automne 2016, Irène se voit confier une mission inédite : restituer les milliers d’objets dont le centre a hérité à la libération des camps. Un Pierrot de tissu terni, un médaillon, un mouchoir brodé… Chaque objet, même modeste, renferme ses secrets. Il faut retrouver la trace de son propriétaire déporté, afin de remettre à ses descendants le souvenir de leur parent. Au fil de ses enquêtes, Irène se heurte aux mystères du Centre et à son propre passé. Cherchant les disparus, elle rencontre ses contemporains qui la bouleversent et la guident, de Varsovie à Paris et Berlin, en passant par Thessalonique ou l’Argentine. Au bout du chemin, comment les vivants recevront-ils ces objets hantés ?
Le bureau d’éclaircissement des destins, c’est le fil qui unit ces trajectoires individuelles à la mémoire collective de l’Europe. Une fresque brillamment composée, d’une grande intensité émotionnelle, où Gaëlle Nohant donne toute la puissance de son talent.
Un livre sur le roman soviétique, maintenant ? Précisément maintenant : comme le disait Romain Rolland pendant la Grande Guerre, ce n’est pas parce que les Allemands l’ont voulue que nous allons renier Goethe.
Qui plus est, quantité des écrivains que Dominique Fernandez, un des plus grands connaisseurs de la littérature russe (Dictionnaire amoureux de la Russie, Plon, 2004, Avec Tolstoï, Grasset, 2010), nous présente ici, ont été d’opposition à Staline, ou ont tourné la censure par le roman historique ou le roman de science-fiction.
Avec la chute de l’URSS, tout un pan de la littérature occidentale a été injustement effacé. Dominique Fernandez fait revivre pour nous les œuvres et la vie des grands de la période (entre la Révolution et Khrouchtchev), de Gorki à Pasternak, en passant par Ehrenbourg, Babel, Paoustovski, Aïtmatov ou Alexeï Tolstoï.
Il nous rappelle aussi l’admirable moment littéraire qu’a engendré l’après-Révolution. S’opposant à une idée trop facilement reçue, il exhume du mépris où ils ont été plongés de grands auteurs du « réalisme socialiste ». La dictature a, par contrecoup, fait naître une fiction satirique que nous découvrons ici, comme les savoureux Olecha, Zochtchenko ou Ilf et Pétrov. Loin de réduire la littérature au silence, la tyrannie expie ses fautes par un des plus grands livres par lequel Dominique Fernandez achève le sien, Vie et Destin de Vassili Grossman.
