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On prépare sur l’île de Mozambique un festival littéraire, une rencontre avec les poètes et les écrivains africains les plus célèbres, venant des quatre coins du monde, tous attirés par la beauté unique et la magie de l’île. La jeune organisatrice est sur le point d’accoucher.
Soudain, une violente tempête s’abat sur le continent et l’île enveloppée de brouillard est isolée, personne ne peut plus emprunter le pont qui la relie au monde. Au cours de cette semaine étrange vont se produire des événements qui vont remettre en cause les frontières entre la réalité et la fiction, le passé et l’avenir, la vie et la mort. Les écrivains vont être troublés par la rencontre avec ces inconnus que sont les personnages qu’ils ont créés. Ce jeune rebelle de 20 ans si grossier avec les femmes, qui est-il réellement ? L’excentrique diva, dont personne ne comprend le langage, vient-elle de l’imagination de la romancière mûre, désespérée de ne pas pouvoir téléphoner à son mari ? La population de l’île aussi est troublée, mais pour des raisons différentes.
José Eduardo Agualusa
224 p.
Editions Métailié
Os vivos e os outros, 2020
Une traduction de Danielle Schramm
Ma Note

C’est ainsi que tout commence : un énorme éclair déchire la nuit, l’île se détache du monde. Un temps s’achève, un autre commence. À ce moment-là, personne ne s’en rendit compte.
On continue cette découverte de la rentrée d’hiver, et accessoirement du Mozambique, par le titre d’un auteur que les Éditions Métailié ont déjà publié à plusieurs reprises, l’auteur angolais José Eduardo Agualusa. Celui-ci a choisi un lieu bien particulier du Mozambique, l’île de Mozambique. Après une petite recherche sur Internet, il s’avère que c’est l’île qui a donné son nom au pays, et non l’inverse, du temps du sultan qui la dirigeait alors découverte par Vasco de Gama. L’île est un ancien comptoir portugais, et comme le précise l’auteur, c’est le passage idéal entre l’Afrique et l’Orient pour le commerce. L’île, également nommée Muhipiti, est également inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, pas étonnant alors qu’elle devienne un lieu idéal pour installer le décor de son roman.

Un festival littéraire est organisé sur l’île, en novembre 2019, différents auteur-e-s s’y installent et prennent leurs marques le temps d’un week-end dans l’optique d’y assister. Tous réunis autour de l’insulaire et tout autant écrivain, Daniel Benchimol, sur le point de devenir père, époux de Moira, enceinte de presque neuf mois. Il y a aussi Uli Lima, Ofélia Eastermann, Luzia Valente, Cornelia Oluokun, Jude d’Souza, Julio Zivane. Mais on est au Mozambique, et le climat est tropical, les cyclones frappent régulièrement le littoral. Le début du roman marque donc l’approche d’une tempête, qui va encore isoler l’île du reste du pays alors même qu’elle est reliée au continent par un pont. Un mince cordon ombilical qui se révélera insuffisant pour empêcher cet étrange état de veille qui guette les insulaires, habitants et invités. Sans compter tous ces auteur-e-s très différents, femmes, hommes, poète, ancien journaliste, romancier, angolais, mozambicain, nigérian, anglais, américain, qui marquent l’étrange rencontre d’imaginations aussi éloignées, des esprits créateurs singuliers et fortement marqués.
On apprécie ce mélange éclectique de cultures, mozambicaines, angolaises, nigériane, portugaises, brésiliennes que constituent cette assemblée d’auteurs à l’identité pour le moins bigarrée. Qui échangent et se confrontent autour de leur vision de l’acte d’écrire, alors même que la tempête leur coupe toute liaison avec le continent, toute connexion internet. La littérature prend le pas sur la fiction, leurs personnages se retrouvent incarnés, la fiction se mélangeant à la réalité, les démons, obsessions de leur roman prenant le pas, devenant les propres personnages d’une fiction plus grande, celle du monde créé, peut-être par un dieu. Sept jours de tempête, à la mode biblique. Sept jours pour mettre fin à un monde, en recréer un autre. Avec toujours cette idée, contenue dans l’imagerie même de l’île entourée d’une mer azure, parsemée de demeures coloniales, d’incarner un paradis sur terre pour les uns, ou un enfer d’isolement pour les autres, une île maudite, ou sévit une tempête endiablée avant un retour à la normale. Mettre tous ces morts, physiquement, les zombies, soudaines apparitions des personnages, qu’ils traînent avec eux, de côté, pour revenir avec les vivants, pour redevenir vivant.
Ce qui m’avait donné envie de lire ce roman, c’est toute cette légion d’auteurs dont parlait le synopsis, cette volonté de José Eduardo Agualusa de mettre la littérature au cœur même de son récit : et ça n’a pas raté, il l’évoque et l’explore de toutes les façons possibles. Littérature écrite, orale, prose ou poésie, fiction ou biographie. J’ai aimé les lire tous ces échanges entre eux, ce petit groupe d’auteurs réunis et qui évoluent entre eux, lorsqu’il s’agit de rire des clichés véhiculés par les Européens, encore eux, sur les Blancs sur la littérature africaine, et sur leurs attentes, comme s’ils devaient obligatoirement être renvoyé à leur identité africaine et tous les préconçus qu’elle, peut charrier, comme si l’Afrique n’était qu’une et qu’il ne fallait entendre que la voix de la colonisation, la voix des origines. L’un et l’autre. Alors que ce sont des courants d’influences du Portugal jusqu’en Angola et au Mozambique en passant par le Brésil, l’Angleterre, le Portugal ou le Nigeria. Sur toutes les façons d’écrire, autobiographie, l’autofiction, l’espace entre auteur et narrateur. En bref, un débat perpétuel, qui ne fait que s’arrêter et reprendre sur leur vision de la littérature, de leur propre œuvre, de l’œuvre de leur collègue, des grands noms de la littérature liée à l’île. Ces échanges démentent, de façon ironique, cynique ou sur le simple ton de l’humour, les questions prévisibles, galvaudées, usées des lecteurs, journalistes et critiques.
– Aujourd’hui est un bon jour pour commencer.
– La fin du monde, tu veux dire ?
– Est-ce qu’il y a des nouvelles récentes ? demande Moira.
– Toutes les nouvelles datent d’il y a cinq jours. On ne sait pas ce qui s’est passé depuis.
Jude et Luzia se parlent dans un coin du patio, loin des autres. Le Nigérian se plaint de la lumière électrique qui lui semble maintenant trop forte, trop crue et qui vole l’âme de la ville. Moqueuse, Luzia l’accuse de romantiser la pauvreté, comme le font les touristes riches des pays du Nord quand ils visitent les villages africains. Jude ne se défend pas. Oui, avoue-t-il, il lui arrive de contempler le continent à partir de l’extérieur, avec les peurs et les préjugés d’un vulgaire citoyen britannique. Luzia s’étonne.
C’est avec plaisir que l’on découvre cette île à travers cet épisode un peu particulier pour chacun d’entre eux, isolés dans un entre-deux étrangement feutré, où les personnages des romans prennent vie, mi-fantômes mi-pantins, qui remettent en cause toutes les certitudes bien établies de tous ces individus qui ont pourtant les pieds sur terre. Une renaissance, une métamorphose, couronnée par la naissance d’un des leurs et pour eux une nouvelle voie à suivre, une nouvelle direction à donner à leur vie.
Ils se taisent. Cornelia se rallonge sur sa chaise longue. Elle regrette d’avoir parlé. Par ailleurs, elle avait, depuis des mois, cette critique en travers de la gorge qui lui empoisonnait la vie. Finalement, elle l’avait dit. Demain, elle se sentirait mieux. Jude pense à l’envoyer se faire foutre, et à se lever pour aller boire un martini au bar du Villa Sands. Mais il laisse tomber. Il ne veut pas se brouiller (peut-être pour toujours) avec l’écrivaine préférée de neuf critiques littéraires sur dix. Le Time la considère comme l’une des femmes les plus influentes du monde. On dit qu’elle a reçu une avance d’un million de dollars pour l’édition américaine de son prochain roman ?
Un livre non encore écrit, qui n’a même pas de titre, mais dont on affirme qu’il sera peut-être la « deuxième décolonisation de l’Afrique » (Times Literary Supplement). Donc, il préfère changer de sujet :
– Quel est le thème de ta table ronde, demain avec Uli Lima ?
– Littérature et féminisme.
– Ce n’est pas vrai !
– Non, évidemment que ce n’est pas vrai. J’aurais refusé. En tout cas, c’est un thème aussi idiot : « Le regard de l’ennemi. »
– Çà ne me paraît pas idiot, conteste Jude. L’idée est de débattre sur la capacité de la littérature à nous donner à voir d’autres perspectives, parfois même antagonistes. Tes livres font ça très bien, ceux d’Uli aussi.
– Qu’est-ce que tu as lu de lui ?
– J’ai lu tous ses livres traduits en anglais. En ce moment, je lis son dernier roman en portugais. D’ailleurs, c’est ce que je faisais tout à l’heure, assis dans la véranda de ma chambre, avec l’aide d’un dictionnaire portugais-anglais.
– Et alors ?
– Je le trouve très intéressant. Il y a en lui une joie de l’affabulation, qui s’est perdue en bonne partie dans la littérature européenne contemporaine, mais pas ici, en Afrique. En règle générale, nous, nous aimons encore raconter des histoires. Toi aussi. Le livre d’Uli semble être bâti sur une base autobiographique, on pourrait croire que ce gamin c’est lui, il y a cinquante ans, mais tout d’un coup il arrive quelque chose qui dynamite la rationalité. Çà n’a rien à voir avec de l’autofiction. Je déteste l’autofiction.
– Ton livre est de la pure autofiction.
– Non. C’est une parodie d’autofiction. De toute façon je déteste mon livre. Pourquoi penses-tu que je n’en ai pas publié un autre ? Parce que je ne veux pas écrire et publier le même livre idiot. Je veux faire quelque chose de complètement différent. Je ne sais pas ce que ce sera.
Pour aller plus loin avec José Eduardo Agualusa

A sa mort, le célèbre compositeur angolais Faustino Manso a laissé derrière lui sept veuves et dix-huit enfants. Sa plus jeune fille, Laurentina, metteur en scène de cinéma et documentariste, essaie de reconstituer la vie agitée du musicien.Dans ce roman, la réalité et la fiction se côtoient et marchent d’un même pas, la première nourrissant la seconde. Sur les terres que parcourt Agualusa, la réalité est presque toujours plus invraisemblable que la fiction. L’auteur et les quatre personnages de son roman voyagent ensemble de Luanda, capitale de l’Angola, aux étendues désertiques de Namibie, semées de villages fantômes, jusqu’au Cap, en Afrique du Sud. Puis ils remontent vers Maputo, au Mozambique, vers la petite île magique où est mort le poète Tomas Antonio Gonzaga. Dans leur périple, ils parcourent des paysages à la frontière des rêves dont émergent des personnages extraordinaires.
Agualusa écrit un roman sur les femmes, la musique et la magie, dont les pages annoncent la renaissance de ce continent africain, détruit par les guerres mais béni par la musique, la force toujours renouvelée de ses femmes et le pouvoir secret de très anciens dieux.
Francisco José, jeune prêtre brésilien, métis d’Indien et de Portugais, débarque à Luanda pour devenir le secrétaire de la reine Ginga, fille et sœur de rois, et reine elle-même.
Cette femme exceptionnelle (1581-1663) évinça les hommes de sa famille, s’empara de tous les attributs du pouvoir, se fit appeler “roi”, entretint un harem d’hommes habillés en femmes et prit, les armes à la main, la tête de ses guerriers sur les champs de bataille. Fin stratège et diplomate, cruelle et séduisante, elle n’hésitait pas à s’allier à ses ennemis si nécessaire.
Le jeune héros brésilien, emporté par cette histoire tumultueuse, se trouve mêlé à la guerre de conquête des Hollandais et va d’aventure en aventure entre le Brésil et l’Afrique, sur les vaisseaux pirates.

Une région du monde que je ne connais pas du tout…
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Moi non plus. C’est pour cela que je m’efforce de m’instruire en lisant 😁
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