Le Monde du Vivant

#blog-littéraire #le-monde-du-vivant #litterature-francaise #florent-marchet #chronique #rentrée-littéraire

Jérôme était ingénieur agronome et vivait avec Marion, sa femme, et leurs enfants Solène et Gabin à Orléans. Épuisé par la vie citadine, lassé par un métier qu’il n’a jamais aimé, il s’est décidé à changer de vie et reprendre une ferme près de Levroux. Mais la vie d’exploitant est plus difficile qu’il ne l’avait imaginée au départ, sa femme est victime d’un accident, sa fille adolescente rebelle et indocile dans l’opposition constante, lui porte sur les nerfs, les problèmes matériels s’accumulent et il n’arrive plus à assumer seul les tâches. Dépassés par ce choix peut-être pas assez réfléchi, les membres de la famille s’éloignent les uns des autres, Jérôme se retrouve de plus en plus isolé, ne voit plus rien ni plus personne, jusqu’au jour où ils décident de faire venir un jeune bénévole pour les aider.

Florent Marchet

283 p.

Editions Stock

Ma Note

Note : 3.5 sur 5.

Nous rentrons dans Le Monde du Vivant comme cette famille est rentrée dans le monde rural, paysan, qui est devenu le leur, de plain-pied, brutalement, et dans la peau de Jérôme le père de famille, noyé par son travail et la désillusion et de l’adolescente, en pleine phase d’affirmation d’elle-même. Autant vous dire que les dialogues et clashs de tout ordre promettent d’être savoureux, d’autant que Solène n’est pas vraiment le genre de jeune fille à obéir docilement, sans jouer un drame en trois actes avant de céder à contre-cœur. Vivre à la campagne, c’est une chose, devenir agriculteurs, éleveurs, exploitants, c’est une autre paire de manche, qui sont peut-être trop grandes pour Jérôme, à l’évidence.

C’est un choix plutôt audacieux et osé, qui a été le leur, eux les citadins, de s’improviser parfaits campagnards, les difficultés que cela comporte. Un pari pour le moins risqué quand on sait les difficultés que rencontrent les agriculteurs aujourd’hui, écrasés par la pressions des revendeurs, par les aléas de la météo et les banques qui spéculent sur le prix des céréales, des œufs et du lait sans même se poser la question des conséquences de leurs paris absurdes. On le voit, tous les jours aux journaux télévisés en manque cruel d’information digne de ce nom, c’est un choix que font de plus en plus citadins en mal d’espaces verts et d’un confort de vie, à mille lieues des périphériques, des rocades encombrés et du trafic assourdissant des villes surpeuplées. C’est un choix respectable, et courageux, la question est de savoir si tout ingénieur qu’il est, Jérôme, et sa femme, ont les épaules pour assumer cette décision, jusqu’au bout. Et c’est tout l’enjeu de ce texte.

Et c’est sur ce choix et ses conséquences que Florent Marchet s’appuie pour rédiger son roman, d’une simplicité extrême, mais d’une justesse incroyable: rien d’improbable, rien de farfelu ou d’extraordinaire, non, nous restons dans la vie quotidienne d’une famille française ordinaire. Peut-être un plus aisée que la moyenne, composée de Jérôme, les épaules et les bras de la ferme, qui sature de la vie citadine, Marion, la femme aimante qui ne s’écoute pas, préférant d’abord penser au bien de sa famille, Solène la jeune fille, en prise avec ses émois d’adolescente, Gabin le petit frère enquiquinant. Que du normal, du foncièrement normal, de l’excessivement ordinaire. N’empêche que ce roman, il possède un charme insaisissable, et je ne l’ai pas lâché avant la fin. Parce que ce choix, dont Jérôme est à l’origine, affecte chacun des membres de la famille, et ses conséquences se font de plus en plus prégnantes à mesure que le temps passe et que le père de famille réalise qu’il en a sous-estimé les conséquences. Parce qu’au milieu de tout ça, des galères, financières, matérielles, relationnelles, les membres d’une famille s’éloignent les uns des autres, à cause de la surcharge du travail, des sacrifices de plus en plus coûteux dans lequel un père a engagé la famille entière, sans vraiment l’avoir consultée avant. Le monde agricole est un univers aride, dur, implacable, qui ne pardonne rien, ou les hommes font bien souvent corps avec leur terre et leur bête, où la ruine, la maladie, la mort rodent, bien plus qu’ailleurs. Les illusions, et l’enthousiasme des premières heures, s’effacent peu à peu laissant la place à la réalité glaçante de la terre stérile, des animaux improductifs, des accidents destructeurs. Mais cela n’est encore rien face à la brutalité et la violence de vies entièrement vouées à leur domaine qui se brisent.

Doté d’une écriture élégante, l’auteur revisite la banalité et le quotidien, qu’il ne sublime, pas plus qu’il ne déprécie. On pourrait se laisser aller à dire que ce roman n’a donc pas grand intérêt, encore un livre sur la vie rurale, au contraire, il est passionnant. Le lecteur devient vite ce cinquième membre de la famille, qui respire, vit et souffre au rythme de chacun, de ce père de famille au bord du born-out, de l’implosion. Il est instructif d’assister à cette ruralisation croissante de citadins, asphyxiés par la ville (et on se doute que dans le contexte actuel, le mouvement n’est pas près de faiblir), tentent de revenir à un mode de vie plus simple et sain, a priori.

C’est aussi un ton, qui ne fait pas dans le sarcasme direct, mais qui se trouve à mi-chemin entre le constat et la critique, teintés d’un peu de moquerie, de ces nouveaux fondamentalistes du bio à tout-prix, qui voient en des courants qui se veulent bienveillants (je pense ici à l’anthroposophie et Rudolf Steiner), de cet absolutisme qui n’admet aucune concession, de ces complotistes qui voient des chemtrails à chaque coin de ciel. Un récit qui rappelle les drames, vite oubliés, qu’engendrent également la vie et le métier d’agriculteur, qui tient plus du sacerdoce aujourd’hui, si tant est que vous ayez les moyens, financiers et matériels, d’entretenir votre exploitation. Et une grande place est laissée à l’adolescente, en révolte entre la place qu’elle veut occuper, celle de la femme en devenir, auprès de son petit-ami, sa meilleure amie, la bande en vue du collège, et celle qu’on lui accorde, une aide supplémentaire et essentiel à la somme de travail de la ferme. Et la terrible sensation de Jérôme de perdre contact avec sa famille, d’être devenu incapable de voir ses enfants grandir, sa femme se renfermer.

Image tirée du long-métrage La Vache de Mohamed Hamidi – ©Unifrance.org

L’auteur reprend en filigrane le discours de ces hommes sortis de nulle part, ces doux rêveurs, sans aucune formation, qui veulent absolument tout réformer, à leur manière, qui jugent ceux qui traditionnellement occupent la place de plus longtemps et qui essaient de s’en sortir. Critique de cette nouvelle vague de nouveaux écolos, qui n’ont sans doute jamais touché un outil de leur vie, mais qui veulent reformer un monde sans prendre en compte des conditions et contraintes économiques -et psychologique- d’un mauvais rendement, d’une mauvaise récolte, d’une traite faible. Et je crois que l’on ne peut être que sensible à cette vision des choses, qui a le bon sens de ne pas tomber dans les excès ni d’un côté ni d’un autre et qui amène donc davantage le lecteur à réfléchir que s’il tenait des propos et un jugement inflexible. En tout cas, en ce qui me concerne, c’est comme cela que je fonctionne.

C’est important de comprendre ça, Solène. En supprimant les bocages, les haies, tout ça, ils ont bousillé la biodiversité dans les campagnes. Ça a créé de l’érosion et prive la terre d’oxygène, d’azote. Et les abeilles ? C’est simple, on n’en voit plus. Et puis, tu sais, les terres d’un gars comme Patureau? S’il ne gave pas ses champs de produits de merde, y a rien qui pousse.

Un roman simple, d’individus désorientés, à bout, désillusionnés, broyés par les barre de coupe de ce monde impitoyable, clôt par une fin en fanfare, qui nous laisse un peu trop sur la faim justement. La dernière page on la tourne le cœur serré, le charme simple de ce roman agit sans aucun doute, et tout comme ce style à la fois simple mais si délicat et efficace. Peut-on avoir la suite svp?

Un samedi sur place aura eu raison de leur vie citadine. En l’espace de six mois, la famille a quitté Orléans. Ils n’avaient jamais entendu parler de Levroux auparavant. Solène a fondu en larmes quand ils lui ont appris la nouvelle. Jusqu’au déménagement, Jérôme a rabâché qu’il était nécessaire de fuir la société du superflu, que les grandes villes n’étaient pas faites pour les enfants, qu’ils avaient envie de les voir grandir loin de la pollution, au bon air de la campagne. Il disait ça sur un ton très solennel, comme s’il était l’initiateur d’une révolution sociétale. Marion évoquait les tartes aux framboises, les baignades en rivière, les promenades en forêt, Jérôme était quant à lui bien décidé à mener la guerre contre le glyphosate, la monoculture intensive et que les coopératives complices. Il n’avait pas imaginé que les relations avec les fermes voisines seraient si compliquées. La première année, Solène a gardé un visage grave et fermé, avec un tic au niveau de la ride du lion. Elle est ensuite redevenue plus sereine. Mais, depuis quelques mois, elle lui parle mal et son tic est réapparu. Tant qu’elle reste première de sa classe, Jérôme la laisse tranquille. Il est davantage préoccupé par l’état de la grange aux tuiles poreuses. Ce ne serait pas le moment que la toiture lâche, il compte y installer des panneaux photovoltaïques. Certaines parties du toit ont été recouvertes à la hâte d’une bâche noire. Bien qu’il prétende être un bon bricoleur, il a passé la soirée d’hier à googliser Comment réparer une toiture.

Laisser un commentaire

Créez un site Web ou un blog gratuitement sur WordPress.com.

Retour en haut ↑