Triptyque en ré mineur

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Belgrade, années 1970. Milena, une jeune scénariste, entame une relation épistolaire avec Sam, l’un des deux Américains qu’elle a rencontrés lors d’un séjour à Paris. Berlin, années 1930. Clara, fille unique d’un couple d’avocats juifs et Lily, soeur aînée d’une famille ouvrière, se rencontrent et tentent de s’aimer. France, 2020. En plein confinement, une romancière parisienne endeuillée reçoit une cantine remplie des lettres de Milena.
Sonia Ristic, par son talent de conteuse, noue pour le lecteur les liens translucides qui traversent les siècles. Liens d’amour, liens de folie, liens de liberté farouche, liens d’écriture ou de création. Elle recrée ce que la mémoire et le temps ont effacé. Dans cette Chambre à soi moderne, elle tisse un fil entre ces femmes mues par leur indépendance, leur créativité et leur fière détermination à vivre un amour qui soit à la hauteur de leur liberté.

Sonia Ristić

272 p.

Intervalles

Ma Note

Note : 4 sur 5.

L’amour de ma vie, c’est ce que je suis en train de faire. C’est l’écriture. Tout le reste que j’ai vécu et qu’il me reste encore à vivre n’est là que pour alimenter l’écriture.

Triptyque en ré mineur de Sonia Ristić paru chez les Éditions Intervalles en cette fin du mois d’Août, c’est un titre que j’avais repéré sur le fil Facebook de Maria Bejanovska, traductrice du macédonien en français, elle a par ailleurs traduit Mon cher mari de Rumena Buzarovska, publié chez Gallimard début septembre. Sonia Ristić est une auteure d’origine serbe, elle écrit en français, elle vit en France depuis près de trente ans. Le roman se scinde en trois temporalités : la première rapporte un échange épistolaire de façon unilatérale depuis la focalisation de Milena, belgradoise scénariste, et s’ancre dans les années 1970. La deuxième s’étale pendant les années de la seconde guerre mondiale. La troisième est le journal intime d’une auteure serbe, Ana, qui s’ancre dans cette nouvelle décennie du XXIe siècle, à Paris. La première et dernière parties enchâssent une deuxième partie, qui est la retranscription d’une novella inventée par Milena. Un roman qui semble s’annoncer comme le triptyque de la littérature, de la musique et de la peinture, rien de plus pour m’appâter.

Triptyque parce que c’est une œuvre en trois parties. Triptyque parce qu’il y a d’abord une histoire d’amour qui transparaît de cette correspondance entre une Serbe et un Américain, Milena Djordjevic et Samuel Jacobs, auteurs tous les deux. Et en marge, mais toujours présent, il y a Peter qui complète le trio, ami et amant. Nous n’avons que les missives de Milena, nous devinons indirectement les réponses de son correspondant à travers ses textes à elle. La deuxième partie de ce triptyque est le fruit de l’écriture de Milena, un texte dans le texte, une Novella inachevée intitulée Lily Clara et que l’auteure apparente à la Symphonie n°3 de Gustav Mahler. Puis vient l’ultime partie, la seconde temporalité, issue de nos dernières heureuses années actuelles de Covid et de confinement, assimilé au Concerto pour piano n°A de Brahms, qui met en son centre Ana. Ana est la destinataire des courriers échangés entre Samuel et Milena qui lui viennent droit de Belgrade… De l’Etat du Maine, aux Etats-Unis ! En ré fait référence au Concerto pour piano no 3 de Rachmaninov, Concerto pour piano en ré mineur, op. 30, le troisième des quatre concertos pour piano du compositeur, il serait le plus exigeant de tous, il est composé de trois mouvements. Tout tourne autour d’une relation à trois dans ce roman, quels que soient les fils que l’on tire.

J’imagine qu’au vu du titre et de la composition du roman, il faut avoir une vision globale de l’œuvre littéraire, les trois parties étant totalement interdépendantes et liées au point de vue de l’esthétique musicale, rythmique, et visuelle : trois parties d’un même tableau, trois parties d’une même symphonie. Le rythme est clairement différent, l’échange épistolaire donnera un rythme plus haché, la novella du milieu comme un retour en arrière avant la narration sous focalisation interne d’Ana. Le contenu est également lié : il existe de grands points communs entre la Milena des années soixante-dix et la Ana des années 2020 à Belgrade. Au-delà du fait d’avoir vécu dans la capitale serbe, elles ont toutes les deux entretenu une liaison avec un Américain, elles sont toutes les deux en plein deuil de leur père, elles vivent seules, n’ont pas enfants.

J’ai aimé ce roman, tout en faisant abstraction de ces références musicales, qui personnellement ne m’ont rien évoqué. Pour quelqu’un pas forcément féru de musique classique, j’avoue que cette attribution de symphonies demeure un peu obscure. En revanche, avec le recul sur cette lecture, on s’aperçoit que les motifs sont répétitifs, qu’il est basé sur un jeu d’échos entre les différentes parties, la Serbie et les Etats-Unis, Belgrade, Milena/Ana, leur histoire d’amour, leur deuil, leur vie. Un jeu à trois, une histoire d’amour où un troisième larron s’interpose, comme Peter entre Milena et Sam, comme la France entre la Serbie et les Etats-Unis. Peut-être faut-il y voir une retranscription littéraire des compositions musicales, un rapprochement entre peinture, musique et littérature. Une composition littéraire élaborée commune une symphonie, ses mouvements, un tableau, ses panneaux.

Je l’ai réécrit plusieurs fois en trois ans, changeant de point de vue, de ton, de forme ; cependant j’ai la sensation que quelque chose se dérobe à chaque fois. Svetlana me soutient que je fantasme trop le livre idéal que ce devrait être à mes yeux, que je refuse d’accepter qu’un texte soit forcément imparfait, forcément inachevé, qu’il ne puisse que trahir l’idéal de départ, et que c’est justement cette sensation de quelque chose qui lui a échappé qui pousse l’écrivain vers le texte suivant.

A travers les échanges épistolaires ressortent les différences culturelles entre une Amérique auréolée de cette liberté d’expression et d’action que lui confère le premier amendement, et un pays qui représente l’un de ses ennemis les plus chers, le communisme. L’un évoque les bureaux de censure, l’autre les « agents zélés de la CIA », au-delà de l’océan de ce qui les sépare, c’est cet amour de l’écriture qui les réunit. On se plaît à remarquer que l’un et l’autre cherchent ce juste-milieu dans leur relation, ce moyen terme qui peut les unir, à mi-chemin entre le socialisme exacerbé de l’un, le libéralisme qui ne l’est pas moins de l’autre. Et si la France joue ce terrain de neutralité, leur activité d’auteur également. 

Ce roman confectionné comme une danse à trois est une ode à l’écriture et aux différentes formes d’art qui transparaissent, comme lien essentiel entre deux ou trois personnages, deux amants, deux citoyens, deux artistes, trois époques. Sous la forme d’une correspondance ou d’une novella. C’est un jeu d’écriture avec une correspondance dont nous ne sommes que le témoin unilatéral de trois vies, mises en abyme par la focalisation d’Ana, elle-même ancienne maîtresse belgradoise de Noah l’américain, de ce qui peut apparaître comme un journal intime.

Je suis une poupée russe, voilà ce que je réalise soudain. Ce que je comprends, c’est que toute seule, même ornée de mille détails, je reste creuse. L’unique intérêt que je présente est de contenir de plus petites poupées à l’intérieur et de m’emboîter dans de plus grandes que moi. De porter d’autres femmes dans mes entrailles et de m’abriter au cœur de celles qui m’ont précédée. Il n’y a que dans cette mise en abyme, cette déclinaison, que mon vécu – ce que je suis capable de tricoter à partir de lui – prend du relief. Mon histoire avec Noah, si elle ne résonne pas avec celle de Milena et Sam, avec celle de Clara et Lily, n’est que de la guimauve.

Je vogue de déprime en révélations exaltées. Un instant je me trouve brillante, l’instant suivant je suis convaincue d’être indescriptiblement nulle. Un soir je crois avoir trouvé la meilleure idée du monde et le lendemain je prévois de me reconvertir professionnellement. Je laisse les messages s’accumuler sur ma boite vocale, je ne rappelle pas les copains qui se précipitent aux terrasses des bistrots enfin rouverts. Subitement, on dirait que toute ma vie dépend de ce que je suis en train de faire, de ma capacité à mener à bien ce projet d’écriture.

Pour aller plus loin avec Sonia Ristic

« Elle a vingt-quatre ans, une licence de lettres modernes avec laquelle elle peut au mieux espérer trouver un boulot de vendeuse au rayon librairie de la Fnac, toujours autant de comptes à régler avec papa, maman et docteur Freud, trois cents mots d’allemand et une centaine de thaï, deux histoires d’amour ratées et, à force de frimer en portant cinq assiettes à la fois, une tendinite chronique au poignet gauche.

Summer sent les larmes monter lorsque soudain, dans la foule, elle reconnaît les silhouettes de JC et Douma. Elle lâche son chariot et court vers eux. En un cillement, les deux années et demie, les routes, les villes, les questions existentielles, les tendinites s’envolent. Elle court se jeter dans les bras de Douma et JC, et elle pense que ce n’est pas grave, parce qu’elle finira bien par se trouver, parce qu’elle a aussi deux histoires d’amour réussies et parce qu’elle vient de rentrer à la maison. »

Comme l’héroïne de Breton dont elle porte le nom, Nadja est légèrement étrange. Un peu «off», diraient les Américains dans cette université du Vermont où elle enseigne l’écriture durant le semestre d’été. Absente à elle-même et au monde, comme déconnectée de son corps, de sa carrière d’auteur et de sa famille, qu’elle a laissée en France. Durant ces quelques semaines de canicule et d’orages, dans ces instants charnières à l’approche de la quarantaine et à l’heure des premiers bilans, dans cette Nouvelle Angleterre follement cinématographique, les souvenirs d’une première passion adolescente ressurgissent, réveillés par une rencontre amoureuse impromptue. Et Nadja de plonger dans une danse de la mémoire, valsant entre souvenirs et présent, entre trois hommes qui ont marqué sa vie de femme, trois moments de vérité, trois continents. Que reste-t-il de ce premier amour vécu sur la terre rouge et ocre qu’elle

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