Roman géométrique de terroir

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Publié en 1969, Roman géométrique de terroir valut à Gert Jonke, alors âgé de 22 ans, d’être aussitôt reconnu comme l’un des principaux rénovateurs de la littérature de langue allemande. C’est que ce livre ne ressemble à aucun autre. Entre la satire, le roman expérimental, la fable politique et le poème, il décrit la vie d’un « village » aux mains d’une bureaucratie obsédée par l’ordre, les règles et les questionnaires.
Mais cette volonté de rationalité et de contrôle, déjà menacée de l’intérieur par des lois qui prolifèrent jusqu’à l’absurde, est aussi battue en brèche par de mystérieuses forces extérieures – arbres proliférants, inondation, oiseaux destructeurs, ombres de la forêt… – qui viennent répandre le chaos, balaient les habitudes, disloquent les maisons, et font basculer le village et le livre dans une folie incontrôlable.

Ne vous fiez pas à son titre en pied de nez : Roman géométrique de terroir est une expérience de lecture incomparable, hilarante, cosmique.

Gert Jonke

168 p.

Editions Monts Métallifères

Geometrischer Heimatroman, 1969

Une traduction de Uta Muller et Denis Denjean

Ma Note

Note : 4 sur 5.

Ce doit être la première fois que je parle ici d’un écrivain autrichien : Gert Jonke. Pas le plus connu, pas le plus publié, et les Éditions Monts Métallifères ont cette audace-là, de publier ce qui fut un premier roman pour l’auteur, aussi novateur à l’époque comme aujourd’hui. C’est le roman d’un esprit littéraire à part, plein d’humour et de dérision, jusqu’à l’absurde et au-delà, un esprit dont la créativité exacerbée n’a d’égal que son inventivité et son originalité et son envie d’expérimenter, de repousser les limites de l’expression écrite. Au-delà des normes littéraires et éditoriales classiques. Peu de titres de l’auteur ont été traduits en français alors qu’il est l’auteur de poèmes, des pièces de théâtre et des romans. Les Éditions Verdier, ainsi que Gallimard, ont, il y a quelques années, osé traduire quelques-uns de ses romans, mais les dernières datent des années quatre-vingt-dix, ce qui ne nous rajeunit pas, ni les lecteurs de Gert Jonke. Avec Roman géométrique de terroir, on sort de notre zone de confort et c’est tant mieux. 

En sus du synopsis fourni par Les Éditions Métallifères, qui avouons-le est plus que bienvenu, j’ai effectué quelques recherches sur l’auteur autrichien. Les premiers mots qui le définissent, que ce soit par le biais de Wikipedia ou des autres éditeurs de Gert Jonke, ce sont ceux d’une exigence littéraire, particulièrement pointue de l’auteur sur son travail artistique. Le cadre est posé. Roman géométrique de terroir est une parodie : de l’absurde grandiloquent de l’administration censée gérer un village, sans nom, mon village, le vôtre, celui de vos parents, n’importe quel village d’Autriche. Cela va être difficile de passer après les mots de Peter Handke, qui en parle dans un article du Spiegel, en lecture libre pour les germanophones et qui salue la performance littéraire de son homologue. 

C’est un roman assez court, soigneusement découpé en plusieurs parties indépendantes, qui ont tous pour fonction de décrire le fonctionnement dudit village : La place du villageLe villageLa maison du forgeron, etc. Les choses commencent en douceur, le premier texte est relativement classique, si on omet une ou deux petites particularités typographiques, des décalages, des espaces. Il a le bon goût de nous immerger dans le ton particulier de la narration, ou aucun individu ne porte de nom puisque leur identité n’a aucune importance, seule leur fonction, celle d’élève, de maître, de forgeron, de maire, en a. À ce niveau-là, on commence à comprendre dans quelle mesure, c’est un roman de terroir, la notion de géométrie va nous apparaître peu à peu plus clairement. C’est ce qu’il y a de plus drôle, ici, c’est précisément cette géométrie du lieu, du village, de sa place, de son pont même, où chaque endroit, chaque maison ou bâtiment, chaque fonction trouve son exact opposé, justement dans un esprit de symétrie obsessionnel. De la forme même du texte même à son fond, de la structure du village. C’est là que le texte demande une attention appliquée pour ne pas passer à côté des effets de manche de l’auteur. Les textes deviennent objets que l’auteur formate et modèle à sa guise, le deuxième texte par exemple m’a fait l’effet d’un manuscrit que l’on déroule puis que l’on enroule : le discours du narrateur se déroulent normalement jusqu’à un certain moment, où l’on pourrait dire qu’elle se rembobine, la suite n’est que le retour en arrière jusqu’au point de départ initial. 

Mais quel est donc le but de la manœuvre puisqu’il n’y a pas de genèse à proprement dit et que l’on peut prendre la tête comme le mode d’emploi du fonctionnement du village, de n’importe quel village. Peut-être pour se moquer de la bureaucratie extrême, insensée, qui gère le moindre coin, la moindre parcelle de vie publique. Rire de ces hommes qui ont besoin de règles, bêtes à l’extrême, qui complexifient la moindre tâche administrative. Car on rigole, et pas qu’un peu. Même si l’invraisemblance des situations est poussée à l’extrême, elles ne sont pas parfois sans rappeler des situations vécues, des agacements face à l’accumulation de situations burlesques, dont le summum, je crois se trouve dans l’un des derniers chapitres, qui retranscrit le formulaire d’inscription qui prend quelques pages. Sans oublier cet éventail de règlements loufoques à la logique aléatoire, qui ne représentent qu’une suite de contradictions qui donneraient à l’usager en question l’envie de pleurer ou de s’énerver, très fort, c’est selon votre caractère. J’en ai montré un extrait sur une story instagram, l’avant-dernière partie La nouvelle loi est à la fois impayable, si l’on s’arrête au formulaire invraisemblablement farfelu qu’il contient, et dons les questions n’ont pas manqué de déclencher une bonne tranche de rire (« Pourquoi ne voulez-vous pas indiquer ici pourquoi vous n’indiquez pas ici les questions auxquelles vous avez donné des réponses fausses sans l’indiquer » : essayez donc de répondre à cela !). Mais aussi, effrayant et glaçant, puisque l’affichage de nouvelles lois ne manque pas de réveiller des souvenirs qu’on aimerait mieux oublier définitivement. 

Avec le rire qu’il nous provoque, il ne faut pas passer à côté de la poésie de ces textes, dont le motif principal est la géométrie de ce village, faite d’échos, de redondance, de tous ces chapitres différents, mais dont certains sont faits de couplets qui ne cessent de revenir, comme dans La maison du forgeron. À travers le récit, un thème, revient La place du village, de façon lancinante, puisqu’après tout, c’est le centre du village, il joue le même rôle dans le roman, dans une déclinaison différente à chaque fois : la poésie ici est exploitée sous toutes ses formes. Des assonances d’aphorismes sur le temps, des énumérations, accumulations et anaphores jusqu’à l’excès, le vers ou la phrase, La place du village est vide, revient un nombre incalculable de fois, comme pour frapper le rythme, indiquer le tempo. Et le finale éblouissant, une ultime apothéose en une phrase unique et apocalyptique, du soulèvement, non pas des machines, mais de la nature et de ses éléments, de ces forces indéfinissables.

Les arbres

Les arbres sont creux à l’intérieur.

Cet arbre-là, quelqu’un l’a ouvert.

Dans le creux du tronc quelqu’un a fait du feu.

De la cime s’élève maintenant de la fumée.

Mais aussi de la cime, de l’écorce noueuse et blessée de

tous les autres arbres qui par ici poussent dans un style

baroque tarabiscoté,

et dont les racines sous terre sont reliées ensemble

par des tuyaux d’argent.

Il y a dans ce roman unique un peu des Exercices de styles de Raymond Queneau, mais Gert Jonke a poussé l’expérience de Queneau un peu plus loin, et autrement, autour de la figure d’un village. De texte en texte, on ne sait jamais à quoi s’attendre de la part de notre exubérant auteur, pas toujours sure de voir où il voulait en venir, pas toujours sure d’avoir saisi ses jeux de langue ou de mot. Mais j’ai rigolé – que faire d’autre – à cet esprit assez taquin et moqueur qui nous met pile-poil en face de toutes les absurdités du système qui nous entoure. J’imagine que lui-même, à l’écriture de ses lignes, a du prendre un certain plaisir à mettre sur pièce ses inventions aussi drôles que burlesques. C’est un roman inclassable, unique en son genre, et qui m’a personnellement la curiosité de découvrir ses autres titres, dont La mort d’Anton Webern, ou l’auteur autrichien s’adresse tour à tour à Anton Webern, compositeur autrichien et victime de meurtre, et son bourreau, l’homme qui l’a assassiné.

Les Éditions Monts Métallifères en octobre 2023

Dans l’attente des visuels, je me suis permis d’emprunter les couvertures des titres publiés dans leur langue d’origine.

Je n’ai pas fini le travail de Thomas Ligetti

Une traduction de l’anglais de Fabien Courtal

Franck Dominio est un homme asocial, peureux et paranoïaque, parvenu malgré tout à se hisser au poste de superviseur dans une grande entreprise. Il survit tant bien que mal dans cet environnement hostile, au prix de mille lâchetés quotidiennes, mais tout bascule le jour ou Franck soumet une idée révolutionnaire à Richard, son supérieur. Ses collègues se liguent alors contre lui et le poussent à bout pour le faire licencier et lui voler son idée. La violence de Franck se déchaine, et, aidé par une force mystérieuse qui le dote de pouvoirs surnaturels, il raffine sa vengeance pour faire payer à chacun de ses bourreaux des années de honte et d’humiliation.

La flétrissure de Emmy Hennings

Une traduction de l’allemand par Sacha Zilberfarb

Après la dissolution de sa troupe de théâtre, la jeune Dagny se retrouve à Cologne, une ville qu’elle ne connaît pas, seule, sans le sou, ni aucune perspective d’avenir. Elle y croise par hasard un ancien ami comédien, devenu souteneur, qui l’introduit dans un « café » de la ville. Pour Dagny, artiste idéaliste, naïve et pétrie de religiosité, c’est le début d’une plongée brutale dans un monde dominé par les hommes, ou « tout s’offre et se paie », à commencer par le corps des femmes. Elle ne trouvera son salut que dans la camaraderie de ses compagnes d’infortune, et dans la foi.

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