Pour qu’il neige

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Une jeune femme raconte son voyage à Tokyo avec sa mère. Au rythme du séjour et des balades sous la pluie automnale, des dîners en tête-à-tête et des musées, le lecteur explore par petites touches ce qui lie ces deux femmes immergées dans un pays à la fois étranger et familier pour elles – en raison des origines hongkongaise de la famille. Alors que la narratrice cherche, à travers ce voyage, à recréer une intimité perdue au début de l’âge adulte, chaque discussion semble pourtant être une occasion manquée de se retrouver…
Mais cette déambulation japonaise est également une plongée dans les pensées de la narratrice, où l’on croise sa sœur devenue mère, son fiancé, une professeure qui a changé son rapport à la littérature ou encore un oncle vendeur d’oiseaux. La mémoire se perd pourtant, et les souvenirs brumeux sont autant des repentirs que la narratrice recouvre délicatement de couleurs et de vernis. Sans doute le prix à payer pour ne pas tout perdre et préserver quelque chose du passé.

Jessica Au

180 p.

Grasset

Cold enough for snow, 2022

Une traduction de Claro

Ma Note

Note : 3.5 sur 5.

À l’époque, je voulais que chaque instant soit important : j’étais devenue accro au déchirement de mes pensées, cette déchirure dans la trame de l’atmosphère.

Si j’ai choisi de lire et de découvrir Jessica Au, éditée pour ce premier roman traduit en français chez Grasset, c’est d’abord parce qu’elle a été traduite par Claro, ensuite parce que de ce résumé de quatrième de couverture laissait présager une forme de sensibilité et une délicatesse, un peu plus perceptibles qu’ailleurs, tout comme le titre par ailleurs, de cette auteure australienne. Un récit intimiste, sans artifices, sans intrigue à proprement parler, dans un pays d’Asie de l’Est, par une mère et une fille dont les origines communes se situent à Hong-Kong. C’est le récit simple d’un voyage d’une mère et de sa fille dans un Japon, une intimité partagée avec le reflux ponctuel des souvenirs de la fille.

La narratrice se retrouve au Japon avec sa mère, destination qu’elle connaît déjà d’un séjour antérieur avec son compagnon, Laurie. Ces quelques jours, passés à Tokyo puis  Kyoto, c’est l’occasion d’un tête-à-tête mère-fille, d’une fille qui partage avec sa mère les souvenirs de son précédent voyage, qu’elle a voulu revivre avec sa mère à l’occasion d’un dernier aparté avec cette mère à la présence si légère. Ce serait un duo presque complet si la pluie ne jouait pas l’invitée surprise, entre elles et le reste du monde, les derniers signes de l’automne avant que l’hiver ne pointe son nez. Une humidité ambiante qui les accompagne d’un bout à l’autre du pays. La délicatesse de cette langue, les images qu’elle fait naître, va de pair avec cette ambiance très tamisée, où les deux femmes évoluent dans un environnement éthéré, dans une relation à la parole rare, au profit d’une complicité renaissante face à ces lieux inconnus, la mise à distance des lieux ou elles évoluent habituellement. Cette découverte du pays rappelle plusieurs couches de souvenirs, personnels, familiaux, et en particulier tout ce pan de l’histoire familiale à Hong-Kong, dont est originaire la mère, là ou elle a laissé sa famille derrière elle.

Un dernier voyage, peut-être, avec sa mère tant que cette dernière est encore apte à voyager et visiter, de raconter et partager ses souvenirs avant que les affres de la vieillesse ne deviennent un obstacle infranchissable. J’ai apprécié cette sensibilité à fleur de peau qui émane de cette écriture cristalline et élégante, où peut-être le meilleur extrait qui puisse figurer ce sentiment-là c’est celui sur les porcelaines japonaises, leur fragilité, leur finesse, sur laquelle le regard, et la mémoire, de la narratrice s’arrête. L’un de ces fils que l’on tire, et qui font ressortir tout son lot de souvenirs, une des madeleines de la narratrice, pas n’importe laquelle : une porcelaine précieuse et sans âge, épurée, fragile, qui ne supporte aucun geste brusque. Comme l’écriture de l’auteure qui se caractérise par l’utilisation du passé simple et prolifique en incises au style indirecte, qui anoblissent cette langue.

Elle a l’art de balayer la banalité de ces instants vécus pour laisser entrevoir cette réalité plus profonde, en laissant saillir le flux de ses impressions, souvenirs, réflexions, le non-dit, les pensées, la précision de ses descriptions de leur visite à travers le pays, du cimetière d’Aoyama aux différents musées à ciel ouvert ou non, jusqu’à Ibaraki, du thé brûlant aux pétales de Sakura lentement servi, du feu de bois réchauffant à la fois ce thé et ses buveuses, on ne peut pas resté insensible à ces moments aussi furtifs que porteurs de sens, qui ravivent la mémoire de l’une et de l’autre. De ce Japon actuel qui se superpose à cette Hongkong passée. C’est cette littérature qui se laisse déguster comme ce thé, chaleureuse, suave, et révélée, évidemment, par l’excellente traduction de Claro. 

C’était une journée grise et froide, et nous étions les seules personnes dans l’église. Je demandai à ma mère ce qu’elle pensait de l’âme, et elle réfléchit un moment. Puis, ne me regardant pas moi mais la lumière blanche et crue devant nous, elle dit qu’elle croyait que nous n’étions globalement rien, juste une suite de sensations et de désirs, vouée à disparaître. Quand elle était jeune, elle ne s’était jamais sentie isolée, mais plutôt inextricablement liée aux autres. À présent, dit-elle, les gens avaient soif de tout connaître, persuadés qu’ils étaient de pouvoir tout comprendre, comme si l’illumination les attendait au coin de la rue. Mais, dit-elle, en fait on ne contrôlait rien, et comprendre n’empêchait pas de souffrir. Le mieux qu’il y avait à faire ici-bas, c’était de traverser l’existence, comme la fumée dans les branches, en souffrant, jusqu’à ce qu’on atteigne un état de néant ou bien aille souffrir ailleurs.

Ce n’est pas vraiment le roman d’un retour aux sources, plutôt celui d’une dernière expérience commune dans un lieu dont la neutralité favorise la rencontre entre la mère et la fille, dont certains points communs avec la culture de la mère favorisent la résurgence de souvenirs variés. J’y ai trouvé ce que j’aime aussi dans ce roman, un dépaysement garanti, la découverte par procuration d’un japon dont je ne connais que les reportages télévisuels ou quelques images filtrées et instagrammées, et pas forcément celui des grands monuments, des lieux ultra-touristiques. Mais celui des ruelles étroites et discrètes, qui gardent jalousement leur secret, des musées à l’atmosphère feutrée où le visiteur doit laisser ses souliers à l’entrée, où la canopée humide des parcs cassent l’urbanisation du ciment, toujours accompagné de cette pluie d’automne qui tamise le chahut ambiant. Une expérience, qui, le précise la narratrice, se situe « entre cliché et vérité ».

Ce roman se savoure ligne par ligne, pour ne pas passer à côté de la poésie, de l’ambiance douce et tamisée induite par la quasi absence de dialogues au style direct, profiter de leur visite japonaise, de ces instants qui ne nécessitent pas de paroles, mais des images que l’auteure nous relate. Cent-quatre-vingts pages lues avec délectation, on en redemanderait bien encore un peu.

La lecture de Ceciloule – Pamolico

Je me tournai vers ma mère, qui regardait toujours le tableau de Monet, un tableau qui se trouvait être une de ses œuvres les plus célèbres. Elle se balançait légèrement d’un pied sur l’autre, comme au son d’une musique, ou comme si elle était très fatiguée. Je lui dis qu’à moi aussi il m’arrivait de ne pas comprendre ce que je voyais dans les galeries, ou lisais dans les livres. Même quand je sentais qu’on attendait de moi que j’aie une opinion, surtout une qui se puisse exprimer clairement, et qui en général était indissociable d’une certaine éducation. Ça permettait de parler d’histoire et de contexte, ce qui ressemblait beaucoup à une langue étrangère. Pendant longtemps, j’avais cru à cette langue, et j’avais fait de mon mieux pour la parler couramment. Mais je lui dis que, parfois, de plus en plus souvent en fait, je commençais à sentir que ce genre de réaction était fausse elle aussi, une performance, et non celle que je recherchais. Parfois, je regardais un tableau et ne ressentais absolument rien. Ou si je ressentais quelque chose, c’était seulement intuitif, une réaction, rien qui puisse s’exprimer par des mots. Il était normal, dis-je, de reconnaître quand c’était de rester ouvert, d’écouter, de savoir quand parler et quand ne rien dire.

À venir chez Grasset

Ea, Sidsel et Niels ont grandi entre un père distant et une mère envahissante. Si aujourd’hui leurs parents ne sont plus en vie, ce couple dysfonctionnel les a profondément marqués et a eu raison de leurs relations. La fratrie est éclatée, à commencer par Ea, l’aînée, qui réside à San Francisco. Elle vit avec un homme et la fille de ce dernier, issue d’une première union. De son côté, après des études au Royaume-Uni, Sidsel s’est installée à Copenhague avec sa petite Laura. Elle travaille dans un grand musée de la ville et assume sa vie de mère-célibataire. Niels mène pour sa part un quotidien de bohème, entre petits boulots et squats chez des amis musiciens.
Mais une série d’événements va bouleverser cet équilibre, à commencer par un accident survenu à Londres lorsqu’un visiteur brise un buste du British Museum. Sidsel doit partir restaurer la statue et n’a d’autre choix que de confier Laura à son frère Niels. Au même moment, ce dernier reçoit un courriel d’Ea et se demande si le temps des retrouvailles est enfin arrivé. Le message de sa sœur est étrange pourtant, il contient un lien vers la vidéo d’un rabbin dissertant sur les carapaces de homard. En grandissant, l’animal se trouve tellement à l’étroit dans cette armure qu’il est obligé de s’en débarrasser. Alors, après avoir découvert une faille rocheuse qui lui convient, il s’y glisse, rejette sa vieille carapace et attend – nu et vulnérable – qu’il lui en pousse une nouvelle…

« Était-ce cela, l’adolescence ? Où est le sexe en voiture ? Les cachets de Xanax ingurgités par dizaines, les entailles sur les bras ? Où sont les dangers de mort, les viols dans les passages souterrains, les violences familiales, la pilule du lendemain (à l’époque, elle n’existait pas) ? Où est la drogue que vous nous avez promise ? »
Lorsque son amie du lycée, Federica, ressurgit dans la vie de la narratrice, celle-ci renoue avec les conversations imaginaires qu’elle tenait avec ses anciens camarades de classe d’un quartier bourgeois de Rome. Ces personnages hostiles dans leur perfection ont habité le moment décisif de l’adolescence, participé à construire – et fragiliser – son identité, jusqu’à ce qu’un drame mette fin à cette période qui n’était peut-être pas celle de l’innocence. La figure évanescente de la belle Livia, sœur aînée de Federica, disparue dans les années 80, va alors revenir hanter la narratrice devenue écrivaine à succès – telle la Laura Palmer de Twin Peaks, absente, fantasmée, terrifiante.

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