Dette d’oxygène

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Walter et Lenny n’étaient encore que deux adolescents lorsqu’ils ont découvert l’alpinisme. Bien décidés à y consacrer leur vie, ces deux garçons issus d’un pays sans relief sont partis ensemble dans les Alpes, toujours plus loin, toujours plus haut. Se rêvant héritiers des grands héros de la montagne, ils ont enchaîné les exploits, avec un seul objectif : entrer ensemble dans l’Histoire. Sans se rendre compte que, dans l’air raréfié des cimes, d’autres lois s’appliquent…

Bien des années plus tard, Walter se tient sur son dernier sommet, à 8 188 mètres, et contemple sa solitude. Qu’est-ce qui l’a amené là ? Où est passé Lenny ? Qu’est-il advenu de leur belle amitié ?

Toine Heijmans

288 p.

Belfond

Zuurstofschuld, 2021

Une traduction de Françoise Antoine

Ma Note

Note : 5 sur 5.

Mieux valait y être, là, dans les rochers cristallins, loin au-dessus du bourbier d’en-bas.

J’ai retrouvé les hauteurs des plus hauts sommets avec ce roman de l’auteur néerlandais Toine Heijmans, publié chez les Editions Belfond, dans lequel alpinistes amateurs ou de métier se reconnaîtront peut-être à un moment ou à un autre du récit. L’histoire d’un homme pris par l’amour de l’escalade rocheuse et glaciaire, l’alpinisme, par l’envie de vivre entouré de ces montagnes, alors même qu’il vient d’un pays réputé justement pour ses reliefs presque inexistants, les Pays-Bas. Si Toine Heijmans était un inconnu pour moi, il ne l’est pas pour les instances littéraires françaises car il est lauréat du prix Médicis étranger en 2013 pour son roman En mer publié chez Christian Bourgois. Pour ce roman-ci, Dette d’oxygène, il a reçu le Dutch Book Trade Award.

Ici, Toine Heijmans prend littéralement le contre-pied de ce roman primé par le prix Médicis : ce roman conte l’amour des hauteurs dans lesquelles Walter Welzenbach et Lenny, Lennaert Tichy, deux amis trouvent et construisent leur complicité. Mine de rien, c’est d’abord un roman ou la technique et la science et l’histoire de l’alpinisme sont aussi importants que la fiction. Nous en saurons le minimum sur les deux jeunes hommes, essentiellement leur rapport à la montagne et à l’escalade. Le roman est divisé en une multitude de chapitres aux titres numérique indiquant des altitudes diverses – 8 188 mètres, par exemple, pour le premier chapitre. Tout cela soulève donc plus de questions qu’il n’en apporte, c’est avec un intérêt certain que je me suis attaquée à la lecture de ce roman, témoin confortable des multiples ascensions dans les Alpes et l’Himalaya de Walter, le narrateur de Dette d’oxygène. 

Walter retrace l’histoire d’amitié qui le lie à Lenny parallèlement à une histoire plus personnelle de solitude, malgré leur cordée en binôme, cette solitude face aux parois, au sommet, le dos tourné au vide. Au gré des montées et des descentes, Walter se rappelle son amitié avec son compagnon d’escalade, presque en fusion l’un avec l’autre, toujours reliés symboliquement par cette corde, Lenny le premier de cordée qui mène la danse, toujours à exiger de la corde, tirer, Walter le second de cordée. Je ne m’attendais pas à être aussi fascinée par l’austérité de ces murs de pierres dont l’auteur n’est pas avare en descriptions. Des descriptions qui se décomposent en voies d’accès, en sommets, en centaines de mètres, en kilomètres, en pression atmosphérique, en mal des montagnes, en hallucinations, en névés, en neige fraîche ou gelée, en mousquetons, en broches à glace et autres baudriers. Un peu comme ces marins, qui partent seuls avec leur embarcation, se frotter et défier l’immensité maritime, tenter de s’approprier un ou deux records, l’alpinisme est une autre façon de vivre, toujours sur la limite, juste au-dessus du vide, bien différente que la notre, nous qui avons les deux pieds ancrés bien à terre. Une folie que se partagent quelques initiés solitaires, dont fait partie Walter, initié par Lenny à l’obsession de ces hauteurs étourdissantes des parois montagneuses. 

Merci aux Éditions Belfond pour la découverte de cet auteur néerlandais : ce roman est le fruit d’un travail ardu de recherches, il ramène à la vie tous les fantômes de ces alpinistes morts là-haut, dont les corps de certains reposent encore, il reconstitue l’histoire même de l’alpinisme, il reconstitue des ascensions, pour un peu, on se prendrait pour un compagnon de cordée. C’est un portrait très ambivalent, entre fascination presque hypnotique pour la démesure des lieux et des conditions qu’acceptent les grimpeurs, qui mettent leur vie sur le contrat de départ, le courage qui naît de cette audace à toujours défier les sommets, ce magnétisme dans lequel ils sont totalement baignés réussi à atteindre le lecteur, et une peur presque primale de ce froid, cette glace, ces murs de pierre, le manque d’oxygène, tout un cortège de dangers qui peuvent vous prendre au piège à chaque instant. Je le disais, c’est un portrait assez réaliste, dans la mesure où l’activité recèle ses mauvais côtés, le recours à ces Sherpas, ces guides tibétains, qui ouvrent les routes, préparent les camps, comme un relent malodorant de colonialisme, de ces sommets exploités à l’excès par les agences de tourisme ou autres, ou on est arrivé au point ou les grimpeurs en sont à faire la queue pour pouvoir les atteindre. À la multitude de drapeaux qui mouchettent les sommets. Et de façon plus surprenante, à une forme extrême d’exploitation, notamment les employés chinois envoyés au casse-pipe afin de prouver – ou pas d’ailleurs – leur potentiel pour le poste à responsabilité qu’on leur fait miroiter.

Il est tentant, surtout pour l’alpiniste, d’humaniser une montagne en lui prêtant des traits de caractère, des émotions ou des parties de corps, mais toutes les montagnes sont foncièrement constituées des mêmes éléments : de pierre et d’eau gelée. D’une base et d’un sommet. Tout le reste a été nommé par l’homme, par son regard sur chaque chose. Couloirs, névés, piliers, séracs, barres rocheuses, glaciers, rimayes, cascades de glace, corniches – tout ce que nous nommons l’est à partir de notre petite perspective.

Ce récit permet de mieux saisir la relation qu’entretiennent les alpinistes, ceux qui sont là pour aucun autre motif que celui de la passion de ces montagnes, avec les reliefs qu’ils escaladent, de saisir cette sorte de folie qui est la leur, qui surpassent leur propre vie personnelle, cette tentative d’atteindre l’indépassable et l’insaisissable, en est pour preuve Alison Hargreaves, morte au creux de ces parois, tout comme son fils Tom Ballard. On teste les mythes himalayens de 8 000 mètres, le K2 -, dont la très récente ascension de  Élisabeth Revol et Tomasz Mackiewicz d’où le polonais n’est jamais revenu – l’Annapurna. Petit clin d’œil, petite forfanterie sur le dos du lecteur, en une nœud de huit, l’ultime chapitre, vide, qui n’a de chapitre que par son titre, renvoie à un chapitre antérieur coiffé du même titre. Même pour cela, il faut lentement et consciencieusement cheminer jusqu’aux derniers chapitres aux côtés du narrateur. Dette d’oxygène est un roman d’alpiniste, sur cette passion dévorant jusqu’à l’asphyxie, c’est aussi le récit de Walter qui s’aventure dans LA grande ascension de sa vie.

Un terrain dégagé est ce qu’il y a de plus dangereux. L’expérience est dangereuse. Depuis ma venue ici il y a des années, l’itinéraire n’a pas changé d’un iota, tous les camps sont au même endroit, la partie raide est toujours aussi raide, même les tentes sont du même modèle, en forme de dômes. Tous les camps, toutes les voies dans l’Himalaya se ressemblent ; j’ai vu tellement de montagnes dans ma vie.

Il faut avoir peur pour grimper, et je n’ai plus peur. Il faut être seul, indépendant, même quand on est avec d’autres personnes. Il faut partir du principe qu’il n’y a personne pour vous sauver.

Se déconnecter autant que possible, en somme, et passer un pacte avec soi-même. Tout ce qui complique l’ascension doit être éliminé, y compris les choses qui en bas semblent évidentes. Même l’amitié est dangereuse là-haut, car elle distrait.

Ce n’est pas inhérent à l’alpinisme ; il s’agit de la façon dont l’homme fonctionne en montagne. En fin de compte, on est seul responsable de soi-même.

Ecouter son souffle, son cœur, ses poumons qui sifflent : c’est tout ce qui reste. Le corps commence à mourir de l’extérieur, jusqu’à ce que seul le noyau fonctionne encore. Tester la résistance du noyau, voilà ce qu’on fait là-haut.

Pour aller plus loin avec Toine Heijmans

Las du quotidien de sa vie de bureau, Donald décide de partir naviguer seul pendant trois mois en mer du Nord. Maria, sa fille de sept ans, le rejoint pour la dernière étape qui doit les ramener du Danemark aux Pays-Bas, où ils retrouveront sa femme. Mer étale, complicité entre le père et la fille: la traversée sannonce idyllique. Mais rapidement, les nuages noirs se profilent à lhorizon, et Donald semble de plus en plus tourmenté. Jusquà cette nuit cauchemardesque où Maria disparaît du bateau alors que la tempête éclate.

Fonctionnaire du gouvernement néerlandais, Albert Drilling est chargé de s’assurer que les demandeurs d’asile retournent dans leur pays d’origine lorsque toutes les procédures légales d’accueil ont été épuisées. Ceci avec le minimum de désagréments pour son ministre de tutelle. Ayant jusqu’alors conduit toutes ses missions avec succès, il est envoyé sur une île au large de la côte nord de la Hollande, à la recherche d’une jeune femme demeurée illégalement sur le territoire. Ne disposant que de son nom – Irin Past – comme indice, Albert Drilling mène une enquête plus ardue que les précédentes, qui l’entraînera bien au-delà des frontières insulaires.

4 commentaires sur “Dette d’oxygène

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