Nous sommes cinq

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La famille Blystad coule des jours paisibles dans la petite localité de Råset. Le père, Tormod, a laissé derrière lui les frasques de sa jeunesse et élève ses enfants, Alf et Helene, avec son épouse Siv. Une adorable petite chienne, Snusken, vient compléter ce tableau idyllique.
Un jour pourtant, Snusken disparaît et laisse un vide que rien ne semble pouvoir combler. Pour remplacer l’animal et consoler les siens, Tormod emploie ses compétences scientifiques et donne vie à un mélange d’argile rouge et de fertilisant. La famille Blystad doit alors apprendre à composer avec ce cinquième membre aux propriétés décoiffantes.

Matias Faldbakken

256 p.

Fayard

Vi er fem, 2019

Une traduction de Marie-Pierre Fiquet

Note : 4.5 sur 5.

De là où il était, Tormod regarda, impuissant, la silhouette du pâton disparaitre sur la route, dans la nuit d’été, avec ses dents de travers, son chapeau en feutre, sa longue chemise, ou sa robe, et le thermomètre toujours entre les fesses. ses cheveux clairsemés – ces beaux fils de soie dorée – flottaient maladivement.

Ce sera le roman détonnant de la rentrée, me concernant : il a fait l’objet de sévères appréciations sur Babelio, je l’ai personnellement beaucoup apprécié. Mal noté peut-être parce qu’il a un côté dérangeant, qui provoque le temps de quelques passages un malaise palpable. Matias Faldbakken est un artiste norvégien, j’ai lu l’expression « l’enfant terrible de l’art contemporain » pour le décrire, il a commencé par exercer du côté de la littérature. L’œuvre du norvégien est clairement provocatrice, pose question, pousse le spectateur dans ses retranchements, à questionner ce qu’il voit. Et ici ce qu’il lit. Dans ce roman, publié chez Fayard, ses aptitudes de plasticien, et son goût pour l’art plastique – sculpture, céramique – sont clairement mises en œuvre pour faire de cette fiction un épisode réaliste ancré dans les riches terres de la Norvège, avec une larme de fantastique. 

La famille Blystad est composée de quatre membres, les parents, Siv et Tormod, les enfants, Hélène et Alf. La vie quotidienne a fait son travail sur la relation des parents, qui se sont éloignés l’un de l’autre, d’autant que les deux grossesses de la mère l’ont transformée. L’aînée possède la vivacité de son père, elle est touche-à-tout comme lui, le cadet passe son temps devant l’écran de son ordinateur. Le jour où la famille prend un chien sonne comme un autre départ pour chacun d’entre eux. Mais il disparaît et l’élan des mois passés retombe. Le père de famille s’ennuie et replonge dans ses vieux démons, il va se lancer dans des essais au moyen de pâtes diverses et de matériaux électriques, qui vont donner une pâte improbable, un mélange unique d’argiles, de terreaux, de substrats chimiques, doté de sa propre énergie. C’est une idée formidable qu’a eu notre artiste-plasticien, de faire fabriquer une pâte autonome, qui ne possède ni cerveau ni aucun autre membre anatomique, mais pourtant pourvu d’une extraordinaire capacité à se mouvoir de façon autonome. Une capacité issue des innombrables mélanges et ajouts de matières organiques et électriques, du compost, du terreau du jardin, des dernières innovations technologiques. Et le résultat, c’est un genre de Barbapapa, qui se transforme en tout, sans le sourire béat. Ce fut une expérience assez fascinante de lire toutes les étapes de la création de notre pâton, puisqu’ainsi sera son nom, issu de la boulangerie traditionnelle. La volonté de Tormod d’aller chercher et mélanger toutes les sources d’énergie possible pour fabriquer une créature sans âme, sans parole. Et pourtant. La créature va lui échapper, mue non pas par un pouvoir de réflexion quelconque, mais par le besoin impérieux de trouver de quoi se recharger en énergie.

Le plus intrigant, intéressant, malaisant, c’est vraiment ce point où Tormod perd tout contrôle sur la chose qu’il a conçue, ce pâton, ni vivant, ni mort, devient un double du chien regretté, une chose de compagnie, qui en plus de divertir les enfants, effectue toutes les tâches ménagères auxquelles on l’astreint. La difficulté, c’est justement ici de ne pas savoir classer cet objet sans queue ni tête, dont la ressemblance à un être vivant devient de plus en plus criante au fil de la narration. D’autant qu’invraisemblablement, il semble acquérir comme une volonté propre, presque une souffrance que l’on ressent à travers deux cris qu’il semble émettre, de la faim : bref un caractère à lui. Cette chose, ce pâton, qui frôle la frontière entre l’objet inanimé et l’objet animé est perturbante, et invite une série de questions, à savoir la nature de la chose créée, qui acquiert sa propre indépendance. Car, et c’est vraiment là la grande réussite de l’auteur, l’ambiguïté de la chose fait qu’à chaque fois que les enfants s’en emparent d’un bout pour façonner des objets, à la façon d’une pâte à modeler, j’ai eu l’impression que l’on amputait la chose d’un de ses membres. L’ambiguïté est tellement efficacement entretenue que l’effet sur le lecteur est là, peut-être déplaisant d’une certaine façon, car dérangeant, car on a à affaire à une entité inclassable, inconnue et tellement proche de nous dans une certaine mesure.

Le résumé de quatrième de couverture évoque la mythologie du golem, et en lisant sa définition sur Wikipédia { Un golem (hébreu : גולם, « embryon », « informe » ou « inachevé ») est, dans la mystique puis la mythologie juive, un être artificiel, généralement humanoïde, fait d’argile, incapable de parole et dépourvu de libre-arbitre, façonné afin d’assister ou défendre son créateur. }, on se rend compte que c’est exactement ce dont il s’agit. Là où il n’est jamais question de religion ou de spiritualité, la figure de son façonneur tient davantage du chimiste, et notre pâton, celle d’un serviteur, d’un robot polymorphe et polyfonctionnel, mais qui adopte peu à peu de dérangeants comportements humains après en avoir absorbé  l’une de ses composantes. 

Une fois les enfants partis à l’école et Tormod en voiture pour se rendre sur son chantier, elle passa les bras dans la trappe et sortit le pâton. Il se recroquevilla.

Viens, on va faire un tour, dit Siv. Ce jour-là en effet, elle avait décidé d’emmener le machin-chose au village. La forme de chien que les enfants lui avaient donnée avant de se coucher s’était affaissée pendant la nuit et il ne ressemblait plus à rien. Siv s’octroya une double dose d’Ibuprofène avant de s’asseoir devant la trappe. Elle modela une queue, un cou et une tête au pâton. Mais avec les pattes qu’elle lui avait faites, il était tout de travers, complètement raté. Le pâton ressemblait plus à un glouton, ou quelque chose du genre, qu’à un chien.

Ce roman a peu fait parlé de lui pourtant l’utilisation de ce golem moderne à la sauce norvégienne rurale est assez fascinante et pose la question de la frontière de l’humanité sur un pâton fabriqué à partir d’éléments métalliques et organiques, et finalement composé d’un élément humain – je vous laisse la primeur de la découverte de la nature de cet élément dont le résumé de quatrième de couverture vous donne facétieusement un indice – qui finit par transcender sa nature, dans le secret de la fabrication de l’alchimie, et devient, sans l’avoir voulu, une entité monstrueuse, avide, une erreur de la nature, ou plutôt de l’homme, qui va demander un sacrifice hors-norme.

Les prochaines publications des Editions Fayard

L’Albanie au début du XXe  siècle. Sur le Plateau de la Mort sévit le  Kanun, ou droit coutumier, recueil de lois ancestrales qui régit toute la vie des montagnards. En vertu de ces lois, Gjorg Berisha a  » repris le sang  » de Zef Kryeqyqe, quarante-quatrième victime d’une vendetta qui dure depuis soixante-dix ans. Après son crime, il a obtenu la  » grande trêve « , trente jours avant d’être tué à son tour ou d’aller s’enfermer dans une des  » tours de claustration  » qui rappellent, sur le Plateau, la pérennité des lois du sang.
En contrepoint, le voyage de noces de Bessian Vorpsi, écrivain mondain fasciné par le  Kanun, qui se trouve brusquement confronté sur le Plateau à une réalité bien différente de celle que dépeignent ses livres.
Dans une prose dense excluant l’image gratuite, le grand écrivain Ismail Kadaré décrit le mécanisme du  Kanun, ses fondements idéologiques et économiques, et sa répercussion sur ceux qu’il frappe, directement ou indirectement.

Trente ans après L’archipel oublié, qui faisait l’histoire du goulag chinois dans ses décennies les plus meurtrières (1949-1971), Jean-Luc Domenach porte son regard d’historien sur les mutations d’un système ayant survécu à l’ouverture économique. 

À la différence du goulag soviétique, sur le modèle duquel il fut pensé, le laogai ne s’est pas effondré. Il a suivi les mues du communisme chinois, après les millions de morts durant le Grand Bond en Avant (1958-1961) puis la Révolution culturelle (1966-1971), et abrite désormais davantage de délinquants et moins de détenus politiques. Le laogai est ainsi partie prenante de l’économie nationale. Il continue néanmoins à choquer l’Occident par son entreprise d’écrasement de l’Islam et de la population ouïghoure dans le Xinjiang. 

Cet essai indispensable fait entendre des voix qui dessinent moins « la fin de l’homme rouge » que les mutations du communisme chinois et la survie de son archipel du goulag. 

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