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Frank Dominio est un homme asocial, peureux et paranoïaque, parvenu malgré tout à se hisser au poste de chef de service dans une grande entreprise. Il survit tant bien que mal dans cet environnement hostile, au prix de mille lâchetés quotidiennes. Mais quand Frank soumet une idée révolutionnaire à son supérieur, ses collègues se liguent contre lui et le poussent à bout pour le faire licencier et lui voler son idée. La violence de Frank se déchaine, et, aidé par une force mystérieuse qui le dote de pouvoirs quasi illimités, il raffine sa vengeance pour faire payer à chacun de ses bourreaux des années de honte et d’humiliation.
Ce court roman (le seul de Ligotti) est suivi de quatre nouvelles avec lesquelles il forme les « Contes d’horreur en entreprise », critique acerbe et hallucinée du monde du travail, l’un des sommets de cette œuvre d’une noirceur sans équivalent.
Thomas Ligotti
296 p.
Monts Métallifères
My Work Is Not Yet Done: Three Tales of Corporate Horror (2002)
Une traduction de Fabien Courtal.
Ma Note
À ce que je sais, les contes de fées, les légendes, les mythologies de tous les pays et de tous les temps, ne sont que les vestiges pourrissants d’un monde qui, qu’on le regrette ou non, est mort, mort, mort.
En recevant le roman de Gert Jonke début 2023, j’avais eu l’occasion de lire la présentation de l’un des textes de la rentrée des Éditions Monts Métallifères : j’avais immédiatement été attirée par la présentation des éditions sur l’auteur et son texte. L’écrivain américain, Thomas Ligotti, je ne le connaissais pas, et pour cause, sa biographie laisse monter la discrétion, l’anonymat le plus absolu, dans lequel il vit. Déjà intriguée par cette aura de mystère qui l’entoure, le synopsis précise qu’il « construit depuis 40 ans une œuvre singulière hantée par la folie, la ruine et le cauchemar. » Il n’en fallait pas plus pour achever de me convaincre, j’aime les œuvres noires, très noires. Et j’ai été servie.
Le vocabulaire qu’emprunte l’auteur du synopsis, folie, ruine et cauchemar, ont été soigneusement choisis, reflètent pleinement le fond des textes, rien n’a été fait dans l’exagération, vous savez dans quelle lecture vous vous engagez. D’autant qu’il concerne le monde du travail, qui peut se révéler particulièrement anxiogène, le nombre croissant de burn-out et suicides ces dernières années ne manquent pas d’appuyer le propos de Thomas Ligotti. L’ouvrage est constitué du seul roman que Ligotti ait jamais écrit, ainsi que de quatre nouvelles, qui s’appuient toujours autour de la même thématique, et s’intitulent : Notre superviseur temporaire, Mon plan bien à moi pour ce monde, Pour une justice rétributive, Le réseau du cauchemar. Les nouvelles sont des variations du roman, elles apportent chacune leur lot d’épouvante et d’effroi. De quoi, sans aucun doute, retourner au travail très sereinement le lendemain !
On ne peut pas nier que Ligotti nous mette directement dans l’ambiance avec sa phrase introductive « J’avais toujours eu peur » : bien. Rien que dans ce premier paragraphe, ce sont des termes tels que « la souffrance insupportable », « angoisse », « insécurité », « panique », « abattre ». Allons même plus loin, la violence tombe, l’individu face à la masse, la bête face au mouton ou les porcs, en ce qui concerne le narrateur. Car c’est l’histoire de Frank Dominio, un individu qui va se faire éjecter de l’entreprise où il travaillait, après avoir eu et partagé une brillante idée, dont il est ensuite dépossédé, par la coalition de sept individus, ses collègues de bureau. C’est là que sa vengeance va se déchaîner sur chacun d’entre eux, une fois l’individu réduit à néant, à l’aide d’une force indescriptible et surnaturelle qui va s’emparer de lui. Soyons clair, ce n’est pas seulement un roman fantastique, d’horreur pure, car c’est l’étude précise de la destruction professionnelle de ce narrateur qui est totalement terrifiante. La déshumanisation est lente et progressive : d’abord l’isolement, c’est plutôt facile dans ces grandes boites américaines aux open-spaces sans limites, mais tout de même enfermés dans des caissons étroits et glauques. On ajoute avec ça une ambiance glaciale, un travail inintéressant, répétitif et abrutissant, des bâtiments et bureaux tristes comme la mort, des collègues mesquins et moqueurs, une carrière qui stagne et un N+1 pervers. Pas de quoi susciter la joie de vivre, l’envie de travailler et d’inviter ses collègues au barbecue de dimanche midi. C’est donc à partir de ce cadre pas brillant, nocif même, supplanté par quelques bassesses et appelons les choses par leur nom, un harcèlement organisé, que notre auteur monte cette histoire sur pièces où chaque élément, même anodin, favorise l’horreur de la situation. À cette violence psychologique, vient la violence physique, le sang jaillit, les coups de poignard pleuvent, les corps s’entassent, la noirceur devient prégnante, envahit totalement l’écran de lecture du lecteur que nous sommes. Certes, l’auteur a recours au fantastique pour donner une dimension plus visuelle et tactile à cette histoire d’épouvante, n’empêche que ce qui m’a le plus donné des frissons, et ce n’est pas seulement une expression imagée ici, c’est le processus progressif qui pousse notre narrateur vers la folie absolue qui se traduit en un pétage de plombs apocalyptique.
Et l’écriture de Thomas Ligotti aussi acérée, tranchante et que le fond de ses histoires n’est pas là pour apaiser qui que ce soit, les choses sont exprimées avec une franchise affilée, le ressentiment et la colère dévastatrice du narrateur y suinte par chaque syntagme, l’exemple le plus frappant est l’utilisation répétitive du mot porc pour désigner chacun de ces collègues qui l’a trahit et dont la fréquence porte toute la hargne dégoulinante de notre employé inconsistant qui se transforme peu à peu en un véritable nuage de haine pure, qui semble s’être dissous dans sa propre noirceur. Mais il n’y a pas que ça : quelques passages de cynisme, d’ironie, sur le monde de l’entreprise et tout son système qui touchent tellement juste que l’on ne peut pas ne pas sourire. Il y a un aspect parodique chez Thomas Ligotti qui finalement tend à alléger la noirceur de ses mondes : les moqueries sur le jargon improbable de ses cadres qui se veulent à la pointe de l’innovation ne manque pas de rappeler celui de ces start-uppeurs à certains posts creux, pédants et plein d’autosatisfaction de Linkedln. Thomas Ligotti est un visionnaire, et il me semble qu’il a dû prendre un sacré plaisir à « massacrer » ses personnages sous la couche de ridicule et de médiocrité crasse dont ils se repaient. Il va chercher le pire de chacun, notre narrateur, dont le passe-temps est de photographier les ruines contemporaines, n’est pas non plus un exemple fulgurant de joie de vivre et d’optimiste : il va là où ça démange, et gratte jusqu’à faire saigner.
D’une point de vue systémique, a commencé Barry, ce qui lui a valu de perdre aussitôt l’attention de son auditoire. À un moment de son soliloque entaché du jargon des analystes commerciaux, il a utilisé l’expression « cosmétisation de données » dont je crois bien qu’il l’avait inventée lui-même. Evidemment il a fini par se ranger du côté de Richard, en concluant que mon idée, dont Barry a montré qu’elle intégrait a minima deux « facettes », voire deux et demi, n’était pas « bénéficentréee », et ni non plus « clientelligible », toujours d’après Barry.
On ne ressort pas indemne de l’œuvre de Thomas Ligotti, paranoïa, obsession, perversité, il maîtrise tous les arcs de la psychologie humaine, mais plutôt de ses côtés obscurs, son extrémisme, ses faiblesses, ses folies, et sa réalité aliénante, fabrique à monstres. Je suis de mon côté totalement adepte de ce genre de récit et je suis très curieuse de lire le reste de son œuvre, que l’on pourra essentiellement lire qu’en anglais. Exception faite de Chants du cauchemar et de la nuit, publié il y a 9 ans chez Dystopia, qui m’a l’air tout aussi horriblement engageant que Mon travail n’est pas terminé. Et, vraiment, on espère qu’il ne l’est pas.
J’avais toujours mon vieux moi d’obsessionnel compulsif – de cela aussi j’étais convaincu – et je n’aimais pas ce pressentiment que des stratagèmes et des stratégies s’échafaudaient autour de moi… qu’il s’était tenu dans mon dos des réunions secrètes… que j’avais été condamné pour un délit dont j’étais innocent… que l’on m’avait manipulé et humilié… que mes compétences avaient été questionnées par des clowns, mes messages ignorés par des demeurés… que l’on m’avait poussé jusqu’au statut de non-personne au sein d’une organisation que j’avais servie si longtemps et si bien… avant de finir par m’écarter même de ce t emploi de laquais.
Pas terminé ! Pas terminé !
C’était au point que leurs visages, dans mes pensées, ne laissaient plus place à rien d’autre. Mon dernier souhait, ce plan bien à moi que j’avais, était de voir ces visages hurler et saigner et enfin s’éteindre à mes pieds – cela, je me le rappelais très bien. Mais le coup de feu du lundi matin avait été décommandé. Tel que j’étais à ce moment je n’aurais pas même pu tenir un bout de papier. (Papier, papier, papier – pourquoi ce mot s’est-il un court instant réverbéré dans mon cerveau, avant de s’estomper et de mourir étouffé par ces gouttes sombres ?) Dans ces conditions comment aurais-je pu casser des têtes au USP Tactical ou briser des rotules avec un Glock-17 ? Je n’arrivais pas même à voir mon propre visage quand j’allais flotter devant le miroir de ma salle de bain. Jamais je ne pourrais faire de ce visage la dernière chose que verraient ces porcs le jour du carnage.
Et puis c’est arrivé.
Les Editions Monts Métallifères, c’est aussi
Surnommé le « Roi du gadget », et connu principalement pour ses machines farfelues aussi complexes qu’inutiles, William Heath Robinson (1872 – 1944) est l’un des dessinateurs anglais les plus importants et les plus influents du 20e siècle. Mais s’il est une référence incontournable outre-Manche, il reste hélas trop peu connu chez nous.
Après un premier volume paru en 2022, Quelques idées simples pour profiter pleinement de son temps libre ! consacré aux sports et aux loisirs, nous poursuivons ici notre anthologie de ses dessins d’humour. Dans Quelques idées simples pour se faciliter la vie !, vous suivrez une « journée-type » dans la tête de Heath Robinson, et vous découvrirez des inventions incontournables pour vous libérer des petits tracas quotidiens, tels que l’arrache-verrue, le tartineur automatique, la voiture rétractable, la machine à manger les petits pois, ainsi que toutes sortes d’astuces plus ou moins crédibles pour optimiser votre espace de vie.
Des dessins magnifiques et hilarants, qui se déchiffrent comme une histoire ou un jeu.
Ce volume est précédé d’un avant-propos de Peter Lord, créateur des studios Aardman (Wallace & Gromit, Chicken Run…), pour qui Heath Robinson fut, on s’en doute, une influence majeure.
Emmy est chanteuse, et elle compte bientôt partir se produire à Paris. Mais deux policiers débarquent chez elle un matin et la convoquent au commissariat, pour une raison qu’on ignore. Placée en détention provisoire pour « risque de fuite », Emmy se retrouve brusquement plongée dans un enfer carcéral dont le seul but semble être de détruire sa soif de liberté et d’indépendance.
Rendue malade par l’angoisse, l’incertitude et l’enfermement, Emmy retrouve le goût de vivre auprès de ses camarades d’infortune : Anna, la voleuse de chocolat, mademoiselle Hafner, la maitresse encombrante, et tant d’autres anonymes… toutes lui délivrent leur histoire, des histoires tragiques et douloureuses qui racontent par fragments des vies de femmes du peuple dans l’Allemagne du début du XXe siècle.
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