Rouge Indien

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Qui était Amrita Sher-Gil, cette femme au destin fulgurant née en Hongrie et morte en Inde, qui portait colliers de perles et manteaux de fourrure dans le Paris des années vingt et qui a peint la vie humble et aride des habitants de Shimla dans une œuvre aujourd’hui considérée comme majeure ?
Dans Rouge indien, Nathalie Rouanet retrace à la manière d’un scénario la brève vie d’Amrita Sher-Gil : son enfance en Hongrie puis en Inde, ses années de formation à Paris, nourries de rencontres illustres au parfum de scandale, et sa fin tragique alors qu’elle n’avait que vingt-huit ans.
Par sa création et son mode de vie, cette artiste exigeante, à la sexualité exaltée, a posé les bases de la peinture moderne et de l’émancipation féminine en Inde.

Nathalie Rouanet

149 p.

Perspective Cavalière

Ma Note

Note : 4 sur 5.

C’est un pays merveilleux, avec de vastes étendues arides de terre rouge, ocre et sienne… et les gens… incroyablement fins et foncés et… tristes aussi… et au-dessus flotte une sorte de… mélancolie, oui, c’est ça, de la mélancolie.

Pour la quatrième publication des Éditions Perspective Cavalière, et la toute première de fait d’une auteure française, Nathalie Rouanet, direction la Hongrie pour la naissance d’une peintre, pour achever ce périple par sa mort en Inde, en passant par Paris, qui a été l’étape décisive quant à la révélation de son talent et la gestation de son oeuvre. Il est en effet question de Amrita Sher-Gil. Au-delà de son talent, issu de l’influence des maîtres Européens sur une orientation d’influence résolument indienne, le titre parle pour lui, c’est la personnalité hors du commun de la femme, totalement libre et indépendante qu’elle fut, menant une vie voulue, assumée et consumée d’un bout à l’autre, alors même que l’époque et que les sociétés dans lesquelles elle a évolué, l’Inde particulièrement, se faisaient fort de codes sociaux bien ancrés. 

Autoportrait, 1930

Rien de mieux que les propres mots de l’auteure pour parler de son œuvre, et c’est par le biais de la maison d’édition Perspective Cavalière, que sur Twitter ou sur Instagram, de courtes présentations vidéos par Nathalie Rouanet elle-même sont disponibles. À noter que Nathalie Rouanet est traductrice, notamment de Nina Bouraoui et de livres d’art, déjà auteure, en allemand et français de textes en prose, de la poésie et adepte de poésie parlée, en d’autres mots, le slam. Nathalie Rouanet a découvert les peintures de Amrita Sher-Gil à l’occasion d’une visite au musée d’Art Moderne de Delhi, il y a déjà dix-sept ans de cela. Si Amrita Sher-Gil est une personnalité très confidentielle en France, en dehors de l’Inde, elle a été exposée, au moins, à Munich et à Budapest, son neveu Vivan Sundaram lui a consacré une monographie.

Camels, 1941

Peut-être sont-ce toutes les nuances de rouge jaillissant des tableaux de Amrita Sher-Gil qui ont saturé l’espace visuel de Nathalie Rouanet lorsqu’elle a pénétré dans la salle d’exposition. Peut-être sont-ce les vingt-huit ans de la courte vie de cette peintre, dont l’auteure partageait visiblement le goût pour l’Inde, et les promenades le long du Danube, l’une à Budapest, l’autre à Vienne. Si le sujet du récit de Nathalie Rouanet est remarquable, la façon dont elle le mène, sous une narration cinématographique, est à sa hauteur avec toutes les indications afférentes, faisant de la vie de Amrita Sher-Gil un véritable court-métrage animé, entre les différents va-et-vient de l’artiste-peintre et une caméra en mouvement, et très marqué visuellement, grâce aux différents plans statiques.

Village scene, 1938

À mon sens, le roman des vingt-huit années de vie de Amrita Sher-Gil se divise en trois grandes parties : la première consacrée aux jeunes années de l’artiste dans sa Hongrie natale aux côtés de la famille maternelle. Vient ensuite l’exil en Inde, auprès de la famille paternelle, entrecoupée par ses années d’apprentissage à Paris où elle découvrira les maîtres et donnera ses premiers coups de pinceaux. La révélation de l’artiste et son épanouissement se fera, en effet, les années suivantes sous la lumière indienne, la richesse visuelle du pays, la besogne quotidienne de ses habitants, le vacarme de la vie. Ce qui m’a d’abord intrigué dans ce roman, ce sont ces racines hongroises et indiennes, avec la volonté d’observer dans quelle mesure chacune a pu influencer son art. Et quelle vie fut la sienne, bien trop courte, qui a pu autant marquer l’art pictural, même si la France l’a un peu mis au rancard Et, dès lors que l’on me parle de roman féministe, j’ai ma propre voix féministe qui s’éveille. Amrita Sher-Gil, de la même façon que Frida Kahlo au Mexique, a révolutionné l’art de son pays, tout comme elle a marqué l’histoire du féminisme en Inde, l’auteure le dit elle-même. 

Shringaar, 1940

Si l’auteur a bâti son roman autour de cette narration cinématographique, assez surprenante en première lecture, qui consiste à mettre en mouvement l’objectif de la caméra pour enfin le fixer en un ultime plan fixe, une dernière image, une photographie, un tableau. Les descriptions ne manquent pas, naturellement, pour reconstituer la vie chargée de Amrita Sher-Gil, issue d’un mariage mixteoù la placidité austro-hongrois de sa mère côtoie l’effervescence bouillonnante du pays de son père, où elle finira de passer sa vie à peindre les gens ordinaires, les anonymes qui font partie de ce grouillement incessant de bruits, de lumières et d’odeurs qui saturent l’air et la vie. L’identité de la peintre n’est pas antinomique, contrairement aux premières apparences, si l’un des côtés l’emporte et est la source de son inspiration, l’autre partie apparaît être nécessaire à sa vie intime et affective puisqu’elle épouse son cousin hongrois.

Hungarian market scene, 1938

L’Inde plus qu’une origine apparaît comme une inspiration et une influence, une passion, qui vient de sa mère, la première qui s’est aventurée en Inde et y a rencontré son père. Le charme d’un orient qui a envoûté la mère aussi bien que les filles. D’une culture et d’une religion, le Sikhisme, ses gurus, qui voue à la femme un culte spécial, en la mettant au centre de tout, le fondateur du Sikhisme ayant proclamé l’égalité de la femme vis-à-vis de la femme, à l’opposé des us et coutumes de l’Europe. L’auteure a rassemblé tous les éléments qui ont fait de la peintre, la femme indépendante, libre, bien dans sa peau, douée. Nathalie Rouanet a réussi à transmettre l’aura de cette jeune femme, à laquelle personne n’a bien résisté, que l’on lit et distingue à travers les lignes. Cette vie est pictualisée grâce aux pigments de son coup de pinceau sur ses toiles, qui reflètent celle de son pays, celle des personnes, des situations, qu’elle est allée chercher au creux de chacun, de sa propre vision de ce qui l’entoure. Ce rouge, indien.

Amrita est assise à une table de bistrot engagée dans une conversation animée avec trois jeunes hommes fumant la pipe ; ils sont littéralement suspendus à ses lèvres. Son profil rayonne de beauté et de suavité et les gestes qu’elle fait en parlant rappellent les gracieuses danseuses cambodgiennes de Rodin : bonheur, ravissement des mains qui dansent, roses de Jéricho, Fleurs humaines.

L’auteure le précise, beaucoup de questions restent sans réponse, notamment celle de sa mort à vingt-huit ans à peine. Peut-être que cela contribuera à entretenir le mythe, au moins dans son pays. Nathalie Rouanet nous a transmis l’image d’une femme parfaitement heureuse, qui s’était trouvée, qui a vécu – notamment à travers les liaisons libres et variées, et les maladies qui vont avec – comme elle l’a voulu. Et elle laisse derrière une œuvre, que j’ai pris le temps de découvrir avec cette lecture, et cette impressionnante soif et pouvoir de vivre, de jouir. Bien sûr, on peut se poser la question de savoir ce qu’elle serait devenue si elle avait survécu, jeunesse et beauté étant éphémères, dans la disparition de l’une et l’autre. Dans cette mélancolie, dont il est question. 

Qu’allez-vous donc écrire sur mes toiles ?

Que vos tableaux sont un must, autant pour les amateurs que pour les connaisseurs, que votre art est la symbiose parfaite entre l’art indien et l’art européen. Ces drapés, par exemple, rappellent Cézanne ; à première vue, ce ne sont que des surfaces de vert, orange, rouge, mais elles suggèrent à la perfection le modelé, la profondeur, et on devine la précision du trait, la pureté de la ligne. J’écrirai aussi que votre palette de couleurs est étonnamment vivante, presque incandescente, ces tons de terre sombres, ce rouge, personne n’a jamais osé jusqu’ici, et personne ne maîtrise comme vous cette organisation des masses sombres et des masses éclairées, vos couleurs sont incroyablement riches et complexes, et pourtant elles restent pures, lumineuses, elles ne sont jamais criardes ou surchargées.

Je parlais de force dans mon post Instagram, et lorsque je relis les mots de Nathalie Rouanet, notamment sur les reproches émis par son père, qui étaient sans aucun doute que l’écho de la façon de penser de bien d’autres, le récit rappelle que l’Inde, c’est aussi le pays des femmes infidèles répudiées et brûlées vives, sur son mode de vie « amoral ». Auxquels elle tient fièrement tête, face auxquels elle ne baisse jamais les yeux, avec cette fierté et cet amour-propre revendiqués avec fierté. Voilà le portrait d’une artiste et féministe, en partie indienne, qui a marqué son temps et son pays et que l’on redécouvre en la remettant bien volonté au Panthéon des femmes exceptionnelles.

En octobre de la même année, Amrita est reçue aux Beaux-Arts dans la classe de Lucien Simon. Elle y fait la connaissance de Marie-Louise Chassany, dont elle partagera bientôt l’atelier à Montparnasse, 72 rue Notre-Dame-des-Champs, et avec qui on lui prête une relation lesbienne. La liste des autres camarades de classe se lit aujourd’hui comme le Who’s Who de l’avant-garde parisienne : Robert Humblot, Henri Jannot et Georges Rohner, qui formeront le groupe d’artistes Forces nouvelles après le retour d’Amrita en Inde, Boris Taslitzky, Denise Proutaux, Edith Basch, une étudiante hongroise qu’Amrita retrouve également l’été en Hongrie, ou encore Jean Amblard, Henri Boris, Marie-Yvonne Meheut, Jacques Despierre et Albert Rémy. On pose l’un pour l’autre, on va admirer ensemble les maîtres anciens au Louvre ou chercher une inspiration nouvelle à l’Orangerie, on expose à la galerie Carmine, au Salon des Artistes indépendants ou au Salon des Tuileries. Au Théatre Pigalle, on partage l’exposition avec le poète national indien et prix Nobel Rabîndranâth Tagore. On prend le métro à huit heures pour se consacrer toute la matinée à la peinture de plein air dans le bois de Vincennes.

De cette époque datent la Vue sur la Seine depuis le toit de la cathédrale Notre-Dame et les Trois peintres de plein air à leur chevalet, ainsi que des portraits saisissants de modelé et d’expressivité. Amrita expérimente avec la couleur, le rouge devient sa marque de fabrique : incarnat des nus féminins, pommes des natures mortes ou du Portrait d’un jeune homme aux pommes, lèvres des autoportraits, joues de sa mère, toits des villages hongrois et robes des femmes. Son portrait de Boris de 1930 sur fond rouge feu reçoit un prix de l’Ecole des beaux-arts et le tableau Jeunes filles, pour lequel Indira et Denise Proutaux ont posé sur un tapis bordeaux, la médaille d’or du Grand Salon en 1933.

La rentrée littéraire d’hiver 2023 de Perspective Cavalière, c’est aussi

Roni, jeune écrivain indonésien dont le premier roman a eu un éphémère succès, tombe amoureux d’Eliot, un agent littéraire français en déplacement à Jakarta, qui s’intéresse aussi à lui mais pour d’autres raisons… Derrière la façade d’une déconvenue amoureuse, ce court roman évoque le parcours d’un jeune écrivain confronté tout autant à une Indonésie hostile qu’à une Europe post-coloniale avec laquelle il entretient une relation ambiguë.

Né dans la province de Java occidental et élevé dans un pensionnat islamique à Jakarta, Nuril Basri est l’auteur de plusieurs romans. Deux d’entre eux, Not A Virgin et Love, Lies and Indomee, ont été traduits en anglais alors qu’ils sont encore inédits en indonésien. Le Rat d’égout, écrit en anglais, est présenté ici en exclusivité au public français.

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