Purextase

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Purextase plonge le lecteur dans l’underground des années 1990 et 2010, en Russie. C’est l’itinéraire émouvant et drôle, parfois désabusé et brutal de Tolian, alias Booster, alias Pistoletto. Célèbre rappeur russe il est en tournée en Allemagne en 2016 lorsqu’une rencontre inattendue le fait replonger dans son passé. On le retrouve dans les années 1990, dans le chaos et les trafics de Rostov-sur-le-Don, où le jeune homme se démarque par son goût et son talent pour le rap. Cette passion ne lui épargnera pas la dépendance et les errances. Mais la musique va l’aider à panser ses plaies, à trouver l’amour et la reconnaissance. 

Inspiré par un personnage réel, le rappeur Basta, Purextase est aussi le roman d’une génération, présentée sans artifices, dans toute sa complexité et sa violence et qui évoque avec audace des sujets aussi tabous qu’universels.

Andreï Guelassimov

332 p.

Editions des Syrtes

Чистый кайф, 2019
Une traduction de Raphaëlle Pache

Ma Note

Note : 4 sur 5.

Il faut se contenter de jouer pour soi, ai-je alors déclaré à mon frère. Pour soi. Dans tous les autres cas de figure, c’est un étranger qui se joue de ta vie. Ecoute-moi bien, frérot. Mon jeu à moi, y’a que ça qui m’importe.

Rap et drogue, voilà les thèmes du dernier titre d‘Andreï Guelassimov, Андрей Валерьевич Геласимов, Purextase paru aux Éditions des Syrtes. On est bien loin des problèmes de géopolitique et de l’odyssée maritime de La rose des vents, dont la publication date de la rentrée 2021. Ça peut surprendre, mais l’auteur russe emprunte là une des problématiques de cette fin de XXe siècle, qui touche sans distinction tout le monde et de partout, y compris les braves gens de Rostov-sur-le-don, la plus grande ville du sud du pays. L’auteur s’est inspiré du rappeur russe, Basta, dont j’ignorais tout, à commencer par son existence, de son nom patronymique Vassili Mikhaïlovitch Vakoulenko, Василий Михайлович Вакуленко. Je ne suis pas vraiment férue de hip-hop, je suis tout de même allée écouter la musique de Basta, mais j’avoue que c’est le style de musique qui, à mes oreilles, est interchangeable quelle que soit la nationalité du rappeur en question, qu’il soit français, italien, américain ou russe. Au-delà de mes goûts personnels et subjectifs, j’ai été très curieuse de lire l’histoire qui se cachait derrière ce titre étonnant.

Beaucoup de points communs entre Basta et Tolian notre rappeur en herbe de Purextase : Rostov-sur-le-Don, un père militaire… Mais en dehors de cela, c’est un personnage bien fictif que notre joueur accordéon, qui deviendra l’une des plus grandes stars de rap russe. Enchâssés à un récit au présent qui présente Booster aka Tolian, star de l’Olimpiiski Indoor Arena de Moscou, d’autres chapitres dévolus au passé du chanteur, aux frasques et à la personnalité du jeune homme. C’est un roman plein d’esprit, très drôle, au prime abord, qui m’a réjoui du début à la fin ; je ne compte plus les passages qui m’ont fait rire. Ce roman permet, encore une fois, à Guelassimov de pointer certaines problématiques sociales à savoir le trafic et la consommation de drogue, en premier lieu. Où Rostov-sur-le-Don devient une véritable Naples russe, gangrené par les groupes mafieux qui font du trafic de drogue, leur source de revenu principal, avec la prostitution, et ses inévitables règlements de compte et passages à tabac. La source de cette Purextase, issue de la consommation de la poudre blanche, qui donnent une quinzaine de minutes de plaisir jubilatoire, et le double de douleur physique dans l’attente de la prochaine dose. Le style parfois familier, mais toujours juste, de Guelassimov enlève toute trace de tentative d’envolée tragique ou dramatique, sa façon à lui d’enlever un peu de lourdeur à un monde déjà bien sombre et glauque, où les toxines de la drogue remettent des artifices colorés à ceux embourbés dans la sinistrose ambiante du chômage, d’une économie défaillante, de plans d’avenirs aussi embrumés que la fumée de la Marie-Jeanne qu’ils fument aussi à l’occasion. Les Kolkhozes soviétiques ont laissé la place aux champs de plantation de cannabis, on pourrait en rire, et on en rit en coin d’ailleurs, si derrière cela n’entretenait pas cette addiction mortelle aux psychotropes.

Et c’est sa musique qui va sortir Tolian, devenu Pistoletto, puis Tolia et enfin Booster, du cercle infernal qu’était devenue sa vie : à ce point, je ne sais pas quels sont les points communs avec Basta, mais peu importe. Car Tolian aime la musique, il improvise et chantonne volontiers d’autant qu’il est doué, tout le monde le reconnaît, le pousse, l’incite. C’est ce qu’il le sauvera de la drogue, cette musique aussi irrévérencieuse qu’éloquente, insolente et irritante. D’ailleurs d’un bout à l’autre du livre, cette tendance à blasphémer, m’a frappée, désacraliser les œuvres d’art, la Création d’Adam de Michel-ange apparaît sous les traits au mieux d’un gribouillage d’enfant à travers les souvenirs du rappeur. Et on poursuit par la naïveté béate du jeune homme, qui dans sa retraite religieuse, ne comprend pas l’indignation dans les yeux du père, qui manque de s’étouffer, après qu’il a introduit un serpent dans l’église. Tout est mis à mal, religion et art, même la mort devient un fait divers comme un autre devant la désinvolture existentielle de Tolian.

Il y a des passages exceptionnels, dont l’un trace un parallèle pour le moins inattendu, et très savoureux, entre le tempo involontaire que marquent les grand-mères du marché de Rostov et le sens du rythme de la musique hip-hop, qui est à l’image de l’ensemble du roman et de Tolian : facétieux et improbable, à l’image de Tolian, un personnage qui se révèle être bien plus complexe que l’image du rappeur frondeur et démonstratif que l’on peut avoir en tête. L’une des autres scènes totalement cocasses, c’est la vue de cet ancien kolkhoze devenu champs de plants de Marie-Jeanne, Guelassimov superpose l’ancienne et la nouvelle Russie, certainement pas pour le meilleur – la drogue comme se révélant être ce nouvel opium du peuple marxiste a remplacé la propagande soviétique et la religion. Et le rap se superpose à tout cela, ayant pris la forme d’une nouvelle religion.

La Grande Bab aurait d’ailleurs pu devenir une MC tout à fait potable. Et dans le quartier, elle n’était pas la seule dans son genre. Si quelqu’un s’est rendu ne serait-ce qu’une fois sur le marché de Rostov, il sait que chaque mémé qui le fréquente a un flow qui lui est propre. Eninem ou pas, Tupac ou pas, n’importe quelle mémé de Rostov est facilement en mesure de bousculer les jeunes rappeurs d’aujourd’hui. À la différence de ces gamins écervelés, elles ont un but des plus concrets : te fourguer non pas la poignée de graines de tournesol pour laquelle tu es venu les trouver, mais un seau de pommes et un sac de choux en sus. Voilà pourquoi le flow leur vient aussi facilement.

Le rap, ça peut être dérangeant, à travers ses paroles, son rythme, sa mélodie et c’est aussi la manifestation de’une forme de révolte, en secouant, presque brusquant – en tout, cas le rap pur et dur, c’est l’effet que cela me fait – son auditeur, s’imposer, et Tolian l’exprime parfaitement, face à un état qui  » me collerait dans le hachoir à viande qui n’offre qu’un seul sort à un jeune gars, que ce soit de la main d’un officier ou d’un Tchétchène armé d’un couteau » : la Tchétchénie, sous la forme des origines du beau-père de notre rappeur, ne manque pas d’apparaître régulièrement à travers le roman. Est-ce que l’auteur considère cette forme d’expression, parfois subversive, comme une nouvelle manière d’exprimer son opposition à un état autoritaire et vorace qui exige son lot de soldats et d’hommes, notamment à travers la guerre de Tchétchénie.

Purextase, la traduction de Чистый кайф, la chanson du rappeur Basta est d’après la traduction que j’ai peu en avoir, une chanson d’amour, ou plutôt une déclaration à la femme aimée, dépourvue de toute dimension politique, mais une allusion franche à la passion amoureuse euphorisante et jubilatoire, à l’image du plaisir procuré par l’ingestion de drogue, une Purextase. Mais истый кайф n’est qu’une source d’inspiration, qui a ses limites, ce que Purextase n’a pas, car c’est une fiction, dont s’est servi Guelassimov pour faire un personnage et une diégèse ambitieuse et universelle, davantage qu’une simple montée d’adrénaline à travers musique, drogue et religion. 

Ce n’était pas loin. Une petite ferme à quarante minutes de route de Nakhichevant. La ferme la plus banale qui soit, sans rien de remarquable. Pour ne pas dire pire. Une maisonnette, une petite grange, un enclos à bétail vide. De vieux outils jonchaient la cour : des pelles, des râteaux, et allez savoir quoi. Une ferme-zombie. Tous ses habitants semblaient y être morts à petit feu, mais en règle générale, quelque chose finissait par y remuer. Après Gorbatchev, des endroits morts comme celui-là, il y en avait à la pelle, dans la steppe du Don.

Dioma fonce tout droit vers la baraque, mais moi, je lui fais : Attends, faut qu’on repère les lieux. C’est bizarre, par ici.

Lui me réplique : Qu’est-ce que tu vois de bizarre ? Un kolkhoze archi banal.

Et moi : T’en connais beaucoup, toi, des kolkhoziens qui s’acoquinent avec des dealers ? Et qui par-dessus le marché récupèrent des filles obtenues contre de la came ?

Dioma me répond : Non, pas beaucoup. En fait, pour parler franchement, j’en connais aucun. J’ai pas grand-chose en commun avec les kolkhoziens. J’en ai fréquenté que dans mon enfance. Quand j’allais chez ma grand-mère.

Voilà, je conclus, alors boucle-la.

Dioma la boucla donc et nous passâmes cinq minutes à observer la baraque, planqués derrière la grange. Personne n’y entrait ni n’en sortait. Les fenêtres étaient masquées par des rideaux. Évidemment, pour nous embêter, le dealer aurait bien pu nous donner la première adresse qui lui était venue à l’esprit, mais, d’un autre côté, on connaissait son point de deal. Comment aurait-il pu nous échapper ? Il le savait parfaitement. Perdre un business bien établi pour vingt pauvres doses… Il n’était pas complètement débile. Ou les junkies allaient-ils le trouver, ensuite ? Ils iraient voir d’autres dealers. C’était un marché libre. Exactement comme nous l’expliquait Tchoubaïs.

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