Le dernier des soviétiques

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C’est une piste de ciment et d’herbe, cachée dans la forêt, non loin du cercle arctique russe. Une bande grise de deux kilomètres, marquée par des pneus géants peints, des drapeaux  ; au bout  ; un hangar de bois et de tôle ; tout autour, les chemins de terre noir, mais aussi la neige, les ours et les loups. Une sauvagerie presque rêvée, entre Michel Strogoff et Tolstoï.
Sergueï Alexandrovitch Ilyne est arrivé sous l’ère soviétique, et il est resté. A la grande époque, la piste comptait, accueillant des milliers de passagers au cœur de l’archipel, en route vers les sites du grand nord, ou vers la ville à côté. Plus de cent employés travaillaient ici. Les vols ne cessaient jamais, et parfois très loin, on devinait des forteresses, en chemin vers d’autres missions. Puis l’empire s’est effondré, le pays a changé de nom, de modèle, d’histoire, Eltsine l’alcoolique a été remplacé par le jeune Poutine, le FSB a pris le pouvoir et l’argent  : la piste a été oubliée.
Sergueï est donc seul à entretenir sa piste, sans paie véritable, sans hiérarchie. Avec Macha sa compagne, quelques amis, le policier Dima, le pope voisin, il bouche le ciment, dégage le bois, imagine des éclairages, attend un appel, un ordre, une urgence, venu de la terre ou du ciel, mais rien. C’est un homme meurtri, un idéaliste. En 2010, un avion lourd s’écrase dans la forêt, en bout de piste, mais comment rendre force et usage à l’empire, quand celui-ci s’est perdu tout entier  ?

Marc Nexon

180 p.

Grasset

Ma Note

Note : 3.5 sur 5.

C’était ainsi à l’époque, songeait Sergueï. On partageait. On nous éduquait pour construire une société juste. Et pour toujours.

C’est un roman dont le titre a d’emblée capté mon attention, à défaut d’en connaître l’auteur. D’autant que la maison d’édition, Grasset, précise que l’auteur Marc Nexon s’est inspiré d’une histoire vraie. L’auteur est grand reporter au Point, où il couvre les territoires de l’ex-Union Soviétique, il est déjà l’auteur d’un premier récit, La traversée de Pyongyang (Grasset, 2020). La nature de celui-ci fait que j’ai très envie de lire car il narre les jours qu’il a passés en Corée du Nord. C’est le récit de l’œil averti et expérimenté d’un reporter qui connait précisément le pays, son histoire, ses dirigeants successifs (la succession des mandats d’un seul homme en alternance avec son homme de paille serait plus juste.) On le sait, avant de le lire, ce sera le récit d’un auteur, journaliste de profession, qui publie en France d’abord et n’aura pas à faire subir à son récit les affres de la censure, ou l’autocensure, pour éviter un portrait peu avantageux pour son dirigeant.

Ce récit s’appuie sur une histoire toute personnelle, celle de Sergueï Alexandrovitch Ilyne un gardien d’aéroport, un Russe qui habite dans une ville du grand Nord, Izhma, de la république des Komis, peuple autochtone, qui a fait les frais du passage au capitalisme : l’aéroport qui faisait jadis le succès de la ville, et qui la reliait d’ailleurs à d’autres cités de plus grande envergure, est devenu non grata des tours de contrôle russes. Ce n’est pas que la piste est laissée à l’abandon, Sergueï veille méticuleusement, presque obsessionnellement, à l’entretien de l’aéroport. Sergueï a la nostalgie du temps soviétique, lorsque sa fonction, et lui-même, avait encore un sens, lorsqu’il ne se sentait pas encore relégué au fin fond des territoires et de ses autochtones, oubliés par le pouvoir. Sergueï a un sursaut d’espoir lorsqu’un dernier Tupolev 154, s’écrase plus qu’il n’atterrit, sur la piste trop courte : c’est un sursaut de gloire, quelques étincelles de reconnaissances, il est invité à rencontre le Président et le Premier ministre russes, réciproquement, Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine.

Cette rencontre est le moment charnière du roman, face à un Vladimir Poutine, dont les mimiques sont consciencieusement démontées, habituel, affable et démagogue, en retenue maximale face à ses interlocuteurs, totalement (sur)-investi dans son rôle de premier ministre et dans celui de président de la Fédération, qu’il est censé avoir dévolu à Dmitri Medvedev. En Sergueï, on a sous les yeux cette génération qui est passée du socialisme du dernier président soviétique au capitalisme effréné, incarné par les gens qui ont mis Poutine sur son trône, et qui sert à chacun le discours qu’il souhaite entendre. Des méthodes d’homme politique lambda, dans la mesure où aucun n’est guère plus fiable l’un que l’autre, mais qu’en parfait manipulateur Poutine use avec une foi d’homme honnête et bon, qui prend le temps d’écouter chacun, pour derrière, en parfait stratège, pour mieux le prendre en défaut et le démonter consciencieusement. Si Sergueï s’aventure, dans une ultime lueur d’espoir, à réclamer un budget pour réhabiliter son aéroport, son interlocuteur répliquera en lui demandant si le gravier qui s’est accumulé près de la piste est bien réglementaire, laissant un Sergueï coi et mal à l’aise. 

Le dernier des Soviétiques, c’est le temps de la désillusion, des espoirs qui tombent en ruine en même temps que les derniers vestiges soviétiques, un immense arrière-pays qui tombe aux oubliettes devant la concentration de l’économie autour des principales métropoles russes. C’est un individu, Sergueï, que l’on devine être l’image de tant d’autres individus perdus dans des villes presque oubliées, qui se raccroche aux dernières bribes de sa vie d’avant, puisqu’il n’a rien d’autre. Un individu qui ne s’adapte pas aux changements sociétaux, qui l’ont d’ailleurs relégué dans les abîmes de l’oubli, alors que le soviétisme lui avait donné une fonction propre dans une ville qui avait encore un statut social reconnu. Davantage que l’aéroport devenu inutile, Sergueï est comme le dernier vestige, d’un système archaïque, dans lequel il s’était construit, mais qu’il n’a pas vu disparaître, gardien d’il ne sait plus vraiment quoi. L’un des derniers individus à attendre un sauveur, qu’il soit gouverneur, ministre ou président, à encore y croire. Un doux rêveur, un naïf imbécile, le gentil idiot de service.

Voici ma question… – Sergueï Alexandrovitch… l’interrompit le Premier ministre. D’abord, laissez-moi vous exprimer toute mon admiration, mais je voulais vous demander quelque chose : pourquoi avez-vous continué à vous occuper d’un aéroport qui ne servait plus ?  » Sergueï se mit à sourire à nouveau. C’était un sourire qu’il s’adressait à lui-même comme à un ami auquel il chuchoterait : « Tu pensais y échapper ? »

Il hésita, bredouilla. « C’est comme ça… » dit-il. Puis, après un court silence, il récupéra trois mots au fond de la gorge. « L’espoir meurt en dernier », lâcha-t-il.

On se laisse volontiers emporté par cette nostalgie qu’entretient Sergueï, à ces illusions soigneusement entretenues, qui font qu’il ne retient qu’un côté idyllique au-delà de toutes les horreurs qu’il a engendrées. Le dégel en Russie a laissé certains sur le côté, à commencer par les habitants de tous ces villages isolés dans des territoires dont Moscou se soucie fort peu. Et une fin, toute en délicatesse où nous retrouvons un Sergueï sexagénaire, qui revisite un passé qu’il sait désormais révolu et a relégué ses dernières espérances et rêves au rang d’anecdotes appartenant à un autre temps.

Sergueï ne voyait pas le temps passer. Il y avait toujours quelque chose à faire. La longueur de la piste, il est vrai, exigeait beaucoup d’un seul homme. D’ailleurs, il ne remarquait pas tout. Combien de fois avait-il oublié d’évacuer les excréments des loups ? Il les distinguait mal avec leur couleur changeante. Et puis, il lui était impossible de couvrir chaque mètre carré en une inspection. Il achevait donc sa journée avec une idée précise des tâches qui l’occuperaient le lendemain. Et lorsque le temps lui manquait, il rentrait chez lui, chagriné. Chaque moi comptait, chaque saison imposait son labeur. L’été surtout réclamait beaucoup d’attention. Il fallait veiller à ce que la piste soit propre avant qu’elle revête sa tunique blanche. Sergueï n’attendait l’aide de personne. Qu’il baisse les bras, qu’il tombe malade, qu’il parte, et la piste, à coup sûr, s’abîmerait avant de se dissoudre dans la végétation. C’était une lutte pour la vie, un travail honorable.

Sergueï était arrivé à Izhma durant l’hiver 1978, dans les mois suivant l’ouverture de l’aéroport. Il était alors âgé de vingt ans. Il venait de Bachkirie, près du Kazakhstan, après avoir achevé des études d’aéronautique. On l’avait encouragé à rejoindre les régions arctiques auxquelles le Parti promettait un avenir radieux. C’était désormais là qu’il travaillerait, parmi 130 employés, la plupart originaires de républiques lointaines, comme lui. Il avait débarqué un jour de tempête. La neige tourbillonnait, le vent cinglait et, là-haut, les avions ronronnaient. « Nos appareils sont les meilleurs », se disait-il. Des Yak 40, des Iliouchine 14, des Antonov 24 assuraient les navettes entre les villages alentour. Ils transportaient des sacs postaux, des bébés emmaillotés, des mères aux frisettes écrasées sous leur toque, des veilles lestées de sacs en corde et des hommes fiers de braver le froid, habillés d’une simple veste en cuir. Les mêmes passagers revenaient deux jours plus tard, heureux d’avoir rendu visite à leurs proches, les paniers pleins de pots de confitures de baies, de marinades de courge ou de coqs bien ficelés. L’avion était leur gage de liberté, le seul capable de les emmener dans les bourgs perdus de la taïga, éloignés de toute gare, privés de route, encerclés de rivières infranchissables. Pour eux, Izhma n’était pas le bout du monde, c’était le centre du monde.

Éditions Grasset & Fasquelle : Billets à venir

Voici le roman vécu d’une communion des âmes et des corps, d’un amour clandestin, insulaire, cérébral et tragique puisqu’il s’interrompt brutalement par la mort de la femme aimée, sur une plage, après qu’elle a porté secours à un enfant qui se noyait.
Une brûlante et poignante valse à quatre temps, ou une symphonie en quatre saisons : l’idylle, l’amour, les retrouvailles, puis l’absence. Une passion de sept années, saisie sur le vif de quatre carnets de voyages effectués sur les pas de Lou Andréas Salomé. Avec Nietzsche à Sils Maria, avec Rilke à Duino, avec Dostoievski à Saint Petersbourg, puis dans le brutal désert des années de deuil, quand le narrateur tente de comprendre la tragédie qu’il vit, ce « Nous » qu’elle et lui furent, et comment tout ce à quoi ils ont voulu échapper a fini par les rattraper. 
Le narrateur déchiffre l’énigme de ce qui l’attache à cette femme déjà plusieurs fois mariée, déjà plusieurs fois mère, lourde de ses secrets et de ceux des patients qu’elle analyse ; de ce qui l’en a détaché ; de ce qui les a fait se retrouver. L’énigme d’une femme complexe, aux prises avec ses contradictions, ambivalente quant à son époque si peu freudienne ou le milieu intellectuel qui est le sien, une femme éperdue de liberté qui pressentait sa fin prochaine

Une jeune femme raconte son voyage à Tokyo avec sa mère. Au rythme du séjour et des balades sous la pluie automnale, des dîners en tête-à-tête et des musées, le lecteur explore par petites touches ce qui lie ces deux femmes immergées dans un pays à la fois étranger et familier pour elles – en raison des origines hongkongaise de la famille. Alors que la narratrice cherche, à travers ce voyage, à recréer une intimité perdue au début de l’âge adulte, chaque discussion semble pourtant être une occasion manquée de se retrouver…
Mais cette déambulation japonaise est également une plongée dans les pensées de la narratrice, où l’on croise sa sœur devenue mère, son fiancé, une professeure qui a changé son rapport à la littérature ou encore un oncle vendeur d’oiseaux. La mémoire se perd pourtant, et les souvenirs brumeux sont autant des repentirs que la narratrice recouvre délicatement de couleurs et de vernis. Sans doute le prix à payer pour ne pas tout perdre et préserver quelque chose du passé.

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