Les Abricots du Donbas

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La poésie ukrainienne : un acte de résistance en temps de guerre.
Ce recueil de 47 poèmes s’intitule Les Abricots du Donbas car, là où s’arrêtent les abricotiers, commence la Russie. Née et élevée dans une petite ville minière de l’Est industriel de l’Ukraine, Luba Yakymtchouk a perdu sa maison familiale en 2014 lorsque la région a été occupée par des séparatistes soutenus par la Russie. Fruits d’expériences émotionnelles très complexes, ses poèmes s’étendent du désir érotique dans une ville déchirée par la guerre à l’imitation de babillages enfantins pour décrire les outils du combat militaire, vus comme des jouets. Luba Yakymtchouk fait preuve d’espièglerie face à la catastrophe et signe ainsi sa singularité artistique, évoquant l’héritage des futuristes ukrainiens des années 1920.
Une langue dénuée de tout pathos, authentique et intime pour transcrire le quotidien de tout un peuple en résistance à travers la poésie d’une femme.

Luba

Yakymtchouk

176 p.

Editions des Femmes

Antoinette Fouques

Абрикоси Донбасу, 2015

Une traduction de Iryna Dmytrychyn et Agathe Bonin

Ma Note

Note : 5 sur 5.

Là où cessent de pousser les abricotiers

commencent la Russie.

Cela fait quelques mois que je n’ai pas eu l’occasion de me plonger dans la poésie et je profite de la publication de ce recueil de poésie ukrainienne, paru ce jeudi chez Les Editions des Femmes/Antoinette Fouque, pour m’y replonger. L’auteure Luba Yakymtchouk – Любов Якимчук – est née à Pervomaisk, ville minière de la région de Louhansk, dans le Donbas. Poétesse, dramaturge, scénariste, elle a reçu le prix international de poésie slave et a remporté le concours littéraire international « Coronation of the Word ». En 2015, le magazine « New Time » de Kiev, l’a classée parmi les 100 personnes les plus influentes de la culture en Ukraine. Elle a également participé à l’ouvrage collectif Hommage à l’Ukraine (Stock, 2022), qui repose toujours sur le haut de mon éternelle pile à lire.

L’édition est bilingue, il est pourvu d’une préface qui l’est également, rédigée par l’auteure. C’est un recueil né de la guerre, l’illustration de la première couverture le montre assez pudiquement au travers de ce mur criblé de balles devant lequel joue un enfant. Les abricots du Donbas, j’aime beaucoup ce titre très doux et sucré, se réfère à la zone où poussent les abricots en Ukraine, là-bas vers l’est, à la frontière qui la sépare de l’agresseur. L’endroit même où se trouvait la demeure familiale, détruite un an avant la révolution de Maïdan, par les séparatistes russes, en 2014. C’est d’ailleurs dans cette préface qu’elle explique le déracinement brutal de sa famille le 14 février 2015, un choix qui s’est fait dans sa tête avant que la maison ne soit torpillée quelques mois plus tard. C’est l’occasion de voir réapparaître l’ombre du complexe et décrié Edouard Limonov. 

On commence par un premier poème qui porte un titre évocateur, l’une des raisons pour laquelle le président russe convoitait ces territoires ukrainiens, Le visage du charbon. Le roman de Benoit Vitkine Donbass donne un bon éclairage sur ce sujet. Le poème suivant Les seins du terril enchaîne sur la même thématique, intrinsèquement liée aux figures maternelles et paternelles, la terre ukrainienne est pour Luba Yakymtchouk ce corps meurtri, nourricier, miné de toutes parts. Non loin des mines de charbon, il y a la douceur de cet abricot sucré et juteux, une douceur qui leur appartient aux Ukrainiens. La maternité, la famille, ça veut dire les souvenirs avec la grand-mère. Puis vient explicitement la mention à la guerre, le vocabulaire s’en ressent, il est question de l’ennemi, de se cacher, de décomposition. Apparaissent les uniformes, la matraque, le meurtre, les obus, la mort, pour finir, avec un peu plus d’espoir et de lumière, sur des poèmes sur l’amour, l’amitié. 

Dès le tout premier poème, le visage du charbon, la force expressive des vers de Luba Yakymtchouk m’a frappée, autant par les sujets – ce poème-là est un bel hommage au père et à sa patrie par le biais du charbon, après lequel s’ensuit l’hommage à la mère, toujours à travers la même image, la même métaphore des terrils. Et la mère patrie, le Donbas : on y retrouve un mélange de souvenirs personnels, et de d’observations plus générales. Elle use souvent de figures d’opposition, jouant sur les antithèses, noir du charbon/blanc des visages – orange des abricots et joue sur ces contrastes pour marquer la violence en jeu de la vie de mineur, du travail d’ouvrier des femmes en usine, des jeunes soldats envoyés au casse-pipe. La tendresse et la douceur de ces abricots sont mises en parallèle à l’innocence de ces jeunes adultes, aussi tendre et juteux, broyés par l’étau. Dans certains poèmes, elle n’hésite pas à utiliser, de façon très ludique, l’écriture pour tracer des parallèles entre ses ressentis, la façon dont la guerre sur résonne physiquement et psychiquement en elle, sur ses sens.

Puis la guerre, l’obscurité, le temps qui se brouille. L’ennemi n’est jamais appelé, de près ou de loin, par son nom, maintenant par là une distance avec lui. Il prend le nom, incompréhensible, et la forme indistincte, de Miam – phonétiquement niam en ukrainien -, une entité qui revient dans différents poèmes. Un intrus, Une entité dérangeante et qui met mal à l’aise. Puis vient la violence, Décomposition, la guerre en face, les balles et les morts dans Signature : le ton va crescendo, si les images se font de plus en plus crues et violentes, le poème Comment j’ai tué ne laisse plus planer de doute. Décomposition / Obus : on est en plein dedans, mettre des mots sur l’angoisse au bruit des bombes qui explosent, la retranscription de son souffle haletant, description des membres amputés des villes et des corps. Les poèmes dénoncent ces morts injustifiées, l’absurdité des discours. Chacun des poèmes s’attarde sur l’une des horreurs, les viols, les disparitions. Une vie ou rien d’autre n’existe, où la prière est l’une des dernières voix d’espérance dans la noirceur du monde ambiant : la poésie, c’est l’occasion de ne pas s’embarrasser de mots excessifs et dénués de sens, d’allers droit au but, d’approcher au mieux ce monde ou l’essentiel n’a plus le luxe de s’embarrasser de fioritures.  Au milieu de tout ça, il y a la souffrance physique et mentale, le mélange des deux, l’absence, destruction, abîme, de soi, de ses proches, de quiconque, mettre en scène les morts et disparus en faisant parler la ligne dédiée aux personnes disparues : ces poèmes, terres d’expression et expérimentation pour mettre, et puis transmettre, des images sur l’indicible. Ces moments où le simple battement de cils, terriblement anodin et inexistant pour la majorité, se transforme en séisme dévastateur pour celle qui le subit. 

La dernière partie du recueil embraye sur un aspect davantage linguistique, l’amour et la littérature et la langue, toujours la guerre au second plan, dans le triple rôle qu’elle joue en tant que dramaturge et scénariste. Elle sort de ses frontières ukrainiennes, s’étend sur les pays voisins, Biélorussie, Pologne, jusqu’à ses inspirations françaises, pour dépasser peut-être de s’enfermer dans une seule vision et version brute des événements de son pays, elle s’affranchit des limites sans jamais manquer de respect à celles et ceux tombés, les absents, les manquants, les partis, les Ukrainiennes et Ukrainiens qui ont été rayés de la carte. Cette ultime partie embraye sur un aspect davantage linguistique, l’amour et la littérature et la langue, toujours la guerre au second plan, dans le triple rôle qu’elle joue en tant que dramaturge et scénariste. Elle dépasse ses frontières ukrainiennes, s’étend sur les pays voisins, Biélorussie, Pologne, jusqu’à ses inspirations françaises, pour dépasser peut-être de s’enfermer dans une seule vision et version brute des événements de son pays, elle s’affranchit des limites sans jamais manquer de respect à celles et ceux tombés, les absents, les manquants, les éxilés. 

DÉCOMPOSITION 2014

À l’est rien de nouveau

Pour combien encore rien de nouveau

Le métal devant la mort devient brûlant

Alors que de lui les gens deviennent glacés

Ne me parlez pas d’un certain Louhansk

Depuis longtemps n’en reste que hansk

Lou rasé sur l’asphalte rouge

Mes amis maintenus en otage –

Et do netsk a tourné son dos

Je ne peux les libérer du sous-sol, au-dessus du sol du dessous du sol […]

L’écriture de ces poèmes s’étend jusqu’à 2020, on devine que la principale inspiration, c’est cette dernière dizaine d’années, dix ans qui ont été tant pour Luba Yakymtchouk – elle a perdu le domicile familial en 2014 à Pervomaisk – que pour l’Ukraine, où l’instabilité a atteint son paroxysme avec guerres et révolutions qui n’en finissent plus. Je suppose qu’un recueil ultérieur avec sa poésie sur l’invasion russe et la guerre qui en a découlé est peut-être en train de voir le jour dans sa langue natale. Sur la base de ce recueil, le poète Lyuba Yakymchuk et le contrebassiste improvisateur Mark Tokar ont créé un projet musical et poétique du même nom et enregistré un album accessible au public.

FAUX AMIS ET AMOURS

Même les faux amis du traducteur

Finissent par devenir des amis :

Tu dis kochana – mon aimée –

Et en moi, d’une explosion émerge la tête d’un champignon

Je te demande si tu n’es pas ivre ?

Si tu sais ce que ce mot signifie en ukrainien ?

Parce qu’il y a ce mot kochanie – aimable

Que tu m’as dit hier

Comme à une petite

Tu me me réponds que je suis aimable

Que je ne suis qu’aimable, et non aimée

En polonais, non en ukrainien

Tu dis que je te suis kochana – soit

Un ami, plus précisément – une amie

Tu sais, te dis-je, en bélarus il y a aussi un problème à dire l’amour

En bélarus, c’est tout autre que nous

Leur Любэoȳ est calme et savoureuse, comme l’amour de la chère

Comme l’amour d’un pays qui ne connaît pas la guerre

Et comment vivent-ils sans un tel amour comme il en existe chez nous ?

Tu dis :

Tu ne sais pas ce qu’il en sera demain de

L’amour, semblable à une bourrasque

Par exemple, le mot français baiser

N’est déjà plus un baiser, comme nous l’avons appris à l’école

Maintenant ça signifie faire l’amour

Qu’en serait-il si tu ne parlais pas le polonais mais le français

Que tu disais baiser, fautivement enseigné à l’école

Et que j’acceptais

Car comme toi j’aurais fautivement appris à l’école

Qu’en serait-il ?

Car le corps connaît mieux la langue que la pensée

Car le corps ne trahit jamais

Mon aimé !

Ces relations sont si instables

Tout cet amour de langue à langue si impermanent

Aujourd’hui embrasser – demain baiser

Aujourd’hui aimer – demain comme un pays

Aimé, tsilouyou

J’embrasse

J’embrasse seulement

Tes joues

Faux

Ami

Du traducteur

Soit

D’une mauvaise traductrice

Lectures croisées

La lecture des poèmes de Luba Yakymtchouk m’a évoquée de nombreuses autres lectures faites auparavant

༄ Le palais des Cosaques perdus de Lisa Weeda : chronique à venir

༄ Sur la poésie ukrainienne : 24 poètes pour un pays paru aux Editions Bruno Doucey.

༄ Sur le Donbas et les romans issus du travail journalistique de Benoît Vitkine : Donbass et Les loups

༄ Sur les mines de charbon : Le parc à chiens de Sofi Oksanen

Dernières publications chez les Editions des Femmes

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