Le palais des Cosaques perdus

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À l’été 2018, Lisa se présente au poste-frontière entre l’Ukraine et la république séparatiste de Lougansk. Chargée par sa grand-mère, native de la région, de rapporter un foulard brodé sur la tombe de son oncle Kolya, la jeune femme rejoint la longue file d’attente de ceux qui veulent traverser, mais elle est refoulée et opte pour un itinéraire périlleux à travers les champs de mines. Une explosion la précipite alors dans le palais des Cosaques perdus, un purgatoire imaginaire construit à l’image du mythique palais des soviets. Lisa y rencontre son arrière-grand-père Nikolaï, mort en 1953. À mesure qu’ils avancent d’étage en étage, ils remontent le fil d’une longue histoire de famille tourmentée.
À travers le portrait bouleversant des Krasnov, c’est le destin d’un pays, l’Ukraine, que retrace Le palais des Cosaques perdus…

Lisa Weeda

360 p.

Le bruit du monde

Aleksandra, 2021

Une traduction de Emmanuelle Tardif

Ma Note

Note : 4 sur 5.

Nous sommes une forêt ! déclame Nikolaï dans l’obscurité. Nous sommes une forêt, et au fond de nous chemine une petite fille cosaque.

C’est l’une de ces petites maisons d’édition que j’apprécie de plus en plus, Le bruit du monde, qui fait de plus en plus parler d’elle. J’avais déjà lu chez eux, il y a tout un tas d’autres autrices et auteurs qui m’attirent et un autre ouvrage qui m’attend dans ma PàL, Le cimetière de la mer du norvégien Aslak Nore, qui a pas mal fait parler de lui. Dès que j’ai vu ce titre-là sur les rayons, j’ai encore une fois été émerveillée par le charme de leur couverture et de leur univers, d’autant que l’Ukraine, d’où est originaire l’auteure néerlandaise Lisa Weeda, est au cœur du récit. Elle n’en est pas à sa première publication, elle est l’autrice des Jambes de Petrovski, publié en 2016 aux Pays-Bas non traduit en français, et qui plaçait déjà l’Ukraine dans le rôle d’hôte principal.

La narratrice se prénomme Lisa, et d’après ce que l’on peut en savoir, elle a même composition familiale que l’autrice, la dimension autobiographique est donc indéniable : Aleksandra la grand-mère, la lignée de ces trois Nikolaï, depuis l’arrière-grand-père jusqu’à Kolya, son cousin. C’est le roman de sa famille, les Krasnov, de ses origines ukrainiennes, mêlées à l’histoire du pays et au conflit finalement que son voisin a toujours entretenu plus ou moins ouvertement, mais d’abord celui d’Aleksandra, la grand-mère de Lisa, dont le roman porte le nom dans sa version originale. Lisa se rend chez sa famille, restée au pays, dans l’une des républiques indépendantes de Lougansk que la bâfreuse Russie s’est appropriée. C’est un récit chimérique, qui débute lorsque Lisa tombe à la frontière entre l’Ukraine et Lougansk, dans un élan de fuite, et renvoie Lisa dans ce palais imaginaire des Cosaques perdus, le palais des Soviets – projet de construction d’un centre administratif et de congrès à Moscou – qui prend la forme d’un purgatoire dans cette zone ou les mines entaillent les champs de blé de Lougansk. Les Cosaques, c’est ce peuple originaire de la steppe, entre Ukraine et Russie, vivant en autonomie, divisés en plusieurs communautés autour, entre autres, du Don, de la Volga et du Dniepr. Lisa visite donc ses ancêtres cosaques dans un palais imaginaire pour retracer l’histoire de sa famille décimée par les Soviétiques puis par les séparatistes, largement soutenus par la Russie impérialiste de Poutine.

C’est un récit qui s’appuie sur l’aïeule, Aleksandra Nikolaïevna Krasnova, celle qui a été déportée hors d’Ukraine, loin du reste de sa famille, d’abord en Allemagne, ensuite aux Pays-Bas. Les chapitres alternent entre le récit rétrospectif de la famille Krasnov dans le palais des Soviet et un récit plus récent à rebours depuis les années 2018 jusqu’à mars 2015, un an après le début de la guerre du Donbas. Le récit fourmille d’une multitude de détails historiques sur le destin d’une famille qui représentent ces Cosaques du Don qui ressemble à tant d’autres, des paysans plutôt aisés qui vivaient confortablement grâce à leurs terres fertiles sans pour autant nager dans la richesse. Et de ces koulaks face aux camardes, on comprend vite que c’est là que le bât blesse : tandis que les uns mangent à leur faim, les autres sont constamment la faim au ventre. Elle porte sa généalogie et son histoire avec fierté, héraut d’une communauté qui s’est fait engloutir par la vorace Russie : elle lui a enlevé son identité, en l’assimilant aux Soviétiques, et Lisa Weeda redonne la langue à ces Khokohls, sa culture, ses symboles – dont ces cerfs blancs aux bois d’or – son caractère – fierté, indépendance et liberté – et surtout cette toile de lin blanc, brodée de lignes rouges et noirs, que l’on retrouve dans l’insigne du bataillon cosaque Ermak Timofeïévitch, qui tisse le fil de l’histoire de Lisa.

Lorsque vinrent les bolcheviks, ils nous trouvèrent face à eux. Le Cosaque du Don n’a jamais été d’un seul camp, il porte les mots « libre » et « aventurier » sous la peau jusqu’à sa mort, puis, après la traversée, sous son pelage. Ces mots, nous les transmettons aux générations suivantes : « Plutôt mourir en liberté que dans la servitude », susurrons-nous aux nouveau-nés. L’hiver dernier, ces mots ont une fois de plus été nécessaires, ces mots qui, à tant d’époques, ont eu tant de significations différentes.

Ce qui peut être déstabilisant, c’est cette immersion dans ce monde des morts, où l’arrière-grand-père Nikolaï côtoie un Lénine disert, complètement déboussolé face à ce qui reste de son système, face à la Russie du présent de la narration. Au chauffeur de taxi, tout aussi spectral que lui, qui lui explique que beaucoup de ses statues ont été dézingués, l’homme de la révolution d’octobre répond, dépité « Je suis donc devenu le fantoche de mon propre système ? » Alors que l’autre lui répond « Ne te fais pas de souci, camarade, on n’en a pas encore eu d’autres comme toi ». On aime ce ton mi-figue mi-raisin sur la déliquescence de ce qui reste de l’URSS, le cynisme glacé de ces politiques qui défilent au pouvoir, aussi bien en Russie, qu’en Ukraine puisque Viktor Ianoukovytch ne s’est jamais caché de ses accointances avec le pouvoir russe.

C’est une histoire très riche que celle de Lisa Weeda, foisonnantes de détails historiques, elle permet de mieux cerner ce qui est en jeu aujourd’hui sur le territoire ukrainien, ce sentiment de possession qui fait penser à Poutine et aux nationalistes russes dans le même genre de leur bon droit à considérer le pays comme une partie de la Russie et à l’occuper. On finit par la raison de sa nationalité néerlandaise alors que le reste de sa famille réside dans une de ces républiques autoproclamées : l’alternance de chapitres entre passé et années actuelles, les mêmes batailles pour les mêmes conséquences, renvoie à l’inanité de l’action de ces mêmes occupants, qu’ils soient bolcheviks ou indépendantistes, mus par un sentiment impérialiste. Et, même si l’auteure s’épanche moins dessus, pour pointer du doigt l’inanité de l’occupation russe qui va ne mener à rien d’autre qu’à un immense gâchis de vie humaine.

– Ah, Russes ou Ukrainiens, nous étions avant tout des Cosaques du Don. Mon frère et ses amis s’en sont très vite lassés, de cette révolution… Elle leur avait d’abord semblé prometteuse pour le pays, mais en fin de compte, les gens n’étaient pas vraiment libres et ne pouvaient absolument pas faire entendre leur voix. Pour nous, les Cosaques du Don, il y avait peu de place. Nous allions et venions trop librement, donc nous étions dangereux. Dans les années vingt, ceux qui ouvraient leur clapet disparaissaient aussitôt ou mouraient. Et à partir de là, il s’est passé ce qui se passe d’ordinaire : les braves sont tous en prison, comme on dit. Ils nous ont éliminés. Systématiquement. Ensuite, Staline a remis deux sous dans la machine avec son plan quinquennal. Tout, et surtout chacun, devait être sacrifié aux grands changements économiques qu’il nous réservait. Nous avons perdu d’autres proches, des amis, des enfants d’amis. Après ces années sombres, Klim était en colère. Il se rebellait volontiers contre l’autorité, comme beaucoup de Cosaques du Don.

– Et vous, vous n’étiez pas en colère ?

– Moi, j’étais différent, plus calme, peut-être un peu plus souple. Je ne voulais pas me battre, je ne voulais pas la guerre. Je voulais vivre en sûreté, coudre des habits pour ta grand-mère, pour son frère et ses sœurs, je voulais être un bon mari pour Anna. Il m’est arrivé de me mettre en rage, bien sûr, j’avais perdu des gens autour de moi, de bons amis, mais je n’étais pas comme Klim. Lui, il se souvenait de tout comme si c’était hier, le chagrin lui collait à la peau, à la manière d’une sangsue. Quand la guerre a commencé et que les Allemands, pendant l’été 1942, se sont dirigés vers le Don, nous avons vu de l’espoir sur le visage de Klim. « Peut-être serons-nous tous bientôt libérés », m’a-t-il chuchoté un soir.

La rentrée littéraire 2023 chez Le Bruit du Monde

Sa vie ressemble à la nôtre, sauf qu’il est atteint d’une maladie neuromusculaire rare. Et cela change tout. Parce que le monde tel qu’il le vit depuis son fauteuil roulant est à la fois proche, et pourtant si différent du nôtre. Avec une sincérité et une sobriété bouleversantes, Jan Grue nous livre ses souvenirs comme autant de facettes de son identité : de son enfance en Norvège à ses années d’études en Russie, aux Pays-Bas et en Californie, il retrace les défis, les défaites et les victoires de son quotidien. Au fil de sa mémoire, il remonte jusqu’au temps de sa rencontre avec Ida, qui deviendra sa femme, et la naissance de leur fils, Alexander.

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