Sept kilos de camomille

#blog-littéraire #chronique-littéraire #sept-kilos-de-camomille #Rumjana-Zacharieva #editions-belfond #littérature-bulgare

#Septkilosdecamomille #NetGalleyFrance

« Sans les sept kilos de camomille, pas de manuels scolaires, sans lignes copiées ni lectures imposées, pas de bonnes notes en langue, pas de paix pendant toute l’année scolaire à venir. »

À travers les souvenirs d’une jeune fille en vacances à la campagne chez ses grands-parents, c’est toute l’histoire de la Bulgarie communiste des années 1960 qui nous est contée, tiraillée entre la peur de la guerre froide, la tyrannie du régime soviétique et l’attachement aux traditions.

Porté par une langue à la fois sobre et sensuelle, gorgé de poésie, d’odeurs de cuisine, de couleurs d’été, Sept kilos de camomille se lit en un souffle. Un texte d’une autrice germanophone reconnue, jusqu’ici inédit en France.

Rumjana Zacharieva

368 p.

Belfond, Belfond Vintage

Maminkas Sommerküche, 2020

Une traduction de Diane Meur

Ma Note

Note : 4 sur 5.

Je voulais mourir pour la liberté. Parfois.

La collection Belfond Vintage a mis à l’honneur en ce mois de mai une autrice d’origine bulgare Rumjana Zacharieva. Ce roman écrit en allemand, sa langue d’adoption, est pourtant profondément bulgare, la couverture très vintage, qui correspond finalement très bien à la couverture et à la ligne éditoriale de la collection, est là pour en attester. On trouve très peu d’informations en français sur l’autrice, qui a immigré à Bonn en 1970 à l’âge de vingt ans après son mariage avec un Allemand. Il lui a fallu à peine cinq années pour utiliser l’allemand comme langue d’écriture !

Sept kilos de camomille, c’est quelques pages de l’histoire de Mila, jeune bulgare adolescente, dans la Bulgarie soviétique des années cinquante et soixante, en pleine Guerre Froide. Une jeune fille élevée par sa grand-mère Maminka, l’appartement des parents, professeurs de gym l’un et l’autre, est à peine assez grand pour héberger la fille. L’histoire de Mila est filée par le ramassage de ces sept kilos exactement de camomille, quantité exigée par la coopérative l’encadrement scolaire pour pouvoir être fournie des livres scolaires pour la rentrée prochaine. Le système exigeait en outre, de compléter vingt-deux livres de lecture obligatoire, pratiquer la calligraphie tous les jours et écrire la « liste estivale des mots inconnus » sans l’aide du dictionnaire.La camomille, le symbole portée par cette administration socialiste qui exige à ce que chacune et chacun paie son dû à la société. La cueillette de cette camomille c’est le leitmotiv de Mila, leitmotiv qui est celui qu’on leur assène continuellement, qui devient une obsession, et dont la litanie revient à tempo réguliers, accompagné de son juron aussi étrange que favori « Soixante pour cent, et une boutonnière de fichue ! »

Parcourir le récit de Mila sur ce passage de l’enfance à l’adolescence, c’est l’occasion pour elle de revenir sur des pans d’histoire familiale, et de l’identité de ce pays, dont l’une et l’autre sont aussi contrastées. C’est sous ses yeux d’enfant que l’on y lit l’histoire d’une Bulgarie captive d’une autorité sans concession et sans faiblesse, où les enfants y sont redevables de leur quota de besogne. Où les règles sont aussi dénuées de sens que la quantité astronomique de camomille que les élèves bulgares, en fidèles et obéissants apprentis ouvriers, sont tributaires. Maminka, la grand-mère complice, tient une grande part dans ce folklore bulgare, dont les différents épisodes de cette épopée familiale sont témoins. 

C’est une jeune fille qui navigue entre plusieurs eaux : l’imagination débordante de l’enfance, passée entre autres chez ces fameux scouts slaves Les Pionniers, l’aspiration à imiter les héros et résistants instaurés par l’imagerie nationale, dont soviétique – Zoïa Kosmodémianskaïa – et combattre les fascistes – nazis – ou Raïna Popguéorguiéva et la maturité qui s’annonce d’une adolescente qui pressent la lourdeur du passé familial, aussi bien paternel et maternelle, et qui a du mal à accepter le schéma socialiste et communiste qu’on lui impose dans sa vie sociale, journalière. Entre le schéma familial de la femme entièrement dévolue au foyer, sous l’emprise totale du pater familial, et l’autre schéma que lui propose sa mère, femme indépendante alors. Une Mila qui ne se sait pas la plus enthousiaste à l’idée d’être présentée comme travailleuse modèle à la rentrée des classes. 

D’un grand geste, je passais le peigne dans la camomille, je le relevais, et une trentaine de fleurs tombaient dans le ventre de la caisse. En trois heures, ce ventre aurait pu être plein. J’avais le bras gourd depuis longtemps, je respirais mal, je suais de fatigue et je mesurais le temps en grammes de camomille. Mon été s’appelait « Camomille » et pesait sept kilos – de la mi-juin à la mi-septembre.

On se régale à la lecture de ses souvenirs d’enfant, confits entre l’odeur des crêpes chaudes de sa Maminka, davantage mère pour elle que la sienne propre, et les appels froids impersonnels du haut-parleur de la place du village qui annone régulièrement les dernières nouvelles de la coopérative, de la guerre froide. Parce que Mila est de cette génération qui vient juste après celle qui a particulièrement souffert à travers deux guerres, une souffrance dont elle est dépositaire, transposée à travers les histoires extraordinaires, que ses oreilles et yeux d’enfant filtrent, des aïeux. Le personnage de Maminka est la clef du récit, le symbole d’un pays, de la résistance de ses femmes, soumises à une multitude d’autorités, le père, le mari, le pays, parmi celles qui ont contribué à tenir le pays, comme leur famille, à bout de bras à côté des époux imbibés d’alcool au bistrot passant leur temps à « tamiser la politique » : le refuge ultime pour Mila, la chaleur et la tendresse maternelle alors que la mère est lointaine et distante, toujours au second plan du récit. Une grand-mère qui a la carrure d’une héroïne de conte, un peu mythique, qui sait tenir tête à l’époux qui la bat, la trame du panier.

Merci aux Éditions Belfond de nous donner cet accès liminaire à Rumjana Zacharieva, et ce récit à dimension autobiographique, qui contribue à apporter une autre vision du peuple, des familles, dont le régime les a davantage privés que pourvus, et surtout de la femme, socle du pays. Un texte d’une jeune fille qui se découvre peu à peu adulte, avec un corps qui le lui fait savoir, des secrets épiés de ce qui ne se dit pas de ces faiseuses d’anges et de leurs patientes. Une jeune Mila qui s’initie à la littérature, également, découvrant le pouvoir, mais également la démagogie des mots, leur puissance comme leur inanité, leur décalage de la réalité, à l’image de son petit lexique personnel constitué pendant cet été de ces nouveaux mots appris avec une ironie juvénile qui n’est pas pour déplaire. Petit extrait :

Communiste : Quelqu’un qui croit au yoghourt tout en sachant que le lait était déjà tourné.

Homme socialiste : exproprié qui fait des heures supplémentaires par nécessité, attend les Américains et, d’ici là, s’approprie le bien commun, voir de nouveau mon diado Ivan.

Défilé : concours de prof de gym.

Chaque jour, copier cinq lignes en s’appliquant bien et en y ajoutant la date : notre professeur de langue et de littérature s’était mis en tête de faire de nous tous des calligraphes… J’allais maintenant devoir m’asseoir et rattraper tout ça, copier cinq lignes par jour déjà manqué et continuer ensuite jusqu’à la fin des vacances. Sans les sept kilos de camomille, pas de manuels scolaires, sans lignes copiées ni lectures imposées, pas de bonnes notes en langue, pas de paix pendant toute l’année scolaire à venir. Ma mauvaise conscience, la pauvre, s’était déjà assise à la table et copiait avec zèle tandis que je maudissais le professeur, le chef de section et ces longs mois d’été. Parfois je voulais mourir, mourir, mourir pour la liberté… Et je n’avais plus envie de parler à personne, de quoi que ce soit, sans ça je risquais de penser encore à une chose que la camomille m’aurait fait oublier, et pas question d’aller au-devant de nouveaux ennuis. La camomille, les lectures imposées, les lignes d’écriture. C’était sans doute assez pour toute une vie.

Et moi, je n’avais que les vacances d’été.

La rentrée littéraire 2023 des Editions Belfond

Parution : le 24 août

C’est un grand jour à Ferrare. On y célèbre les noces du duc Alfonso et de Lucrèce de Médicis. La fête est extravagante et la foule n’a d’yeux que pour le couple.
 La mariée a quinze ans.
 Rien ne l’avait préparée à ce rôle. Elle n’était que la troisième fille du grand duc de Toscane, la discrète, la sensible, celle dont ses parents ne savaient que faire. Mais le décès soudain de sœur aînée a changé son histoire.
 La fête est finie, Lucrèce est seule dans un palais immense et froid. Seule face aux intrigues de la cour. Seule face à cet homme aussi charismatique que terrifiant qu’est son mari.
 Et tandis que Lucrèce pose pour le portrait de mariage qui figera son image pour l’éternité, elle voit se dessiner ce que l’on attend d’elle : donner vie à un héritier. Son propre destin en dépend

Parution : le 24 août

Après la révélation Tout ce qui est solide se dissout dans l’air, lauréat du Prix Lire-L’Express du Premier roman étranger, Darragh McKeon revient avec une œuvre puissante qui raconte les cicatrices que l’Histoire laisse dans les cœurs et les esprits.
Dans une rue de New York, Simon s’effondre, pris d’une violente crise d’épilepsie. Il n’en avait plus fait depuis près de trente ans. Alors qu’il attend l’opération qui viendra le soulager, Simon comprend que sa propre réparation passe par l’exploration de l’événement qui a marqué sa vie.

Le 8 novembre 1987, pendant le Dimanche du souvenir, un attentat de l’IRA faisait onze morts et soixante-trois blessés dans la ville d’Enniskillen. Simon avait quinze ans. Il rêvait de fuir cette Irlande taiseuse, marquée par la violence. De l’autre côté de la frontière, un autre garçon rêvait aussi d’échapper à son destin. L’un deviendra victime, l’autre sera bourreau, mais tous deux porteront en eux la tragédie nord-irlandaise…

4 commentaires sur “Sept kilos de camomille

Ajouter un commentaire

Laisser un commentaire

Créez un site Web ou un blog gratuitement sur WordPress.com.

Retour en haut ↑