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Cette fois-ci, il s’agit d’un véritable roman policier avec une énigme, un lieu clos, des indices et des conjectures. Tout part d’un crime, et l’intrigue est entièrement tendue par l’enquête et la recherche de l’assassin.
L’action se déroule à Florence, au XVIe siècle. Le vieux peintre maniériste Pontormo a été assassiné au pied des fresques auxquelles il travaillait depuis onze ans. Un tableau a été maquillé. Un crime de lèse-majesté a été commis. Vasari, l’homme à tout faire du Duc de Florence, accessoirement considéré comme l’inventeur de l’histoire de l’art et le premier à avoir employé le mot de « Renaissance », est chargé de l’enquête.
La situation à Florence en 1557 exige doigté, discrétion, loyauté, sensibilité artistique et compréhension politique. L’Europe est une poudrière. L’Italie est le terrain où s’affrontent la France et l’Espagne, les deux grandes puissances. Le Duc de Florence, Cosimo de Médicis, doit faire face aux convoitises de la reine de France, sa cousine Catherine de Médicis, alliée à son vieil ennemi, le républicain Piero Strozzi qui écume les environs avec l’armée du Duc de Guise. La ville pullule de savonarolistes nostalgiques d’un ordre moral qui condamne les nudités de Michel-Ange et de ses disciples maniéristes. Le pape lui-même est un inquisiteur de la pire espèce, celui qui a instauré la mise à l’index des livres jugés immoraux ou dangereux.
Laurent Binet
304 p.
Grasset
Ma Note
J’ai un faible pour les romans épistolaires, et si l’intrigue prend pour décor la Florence des Médicis, au milieu des plus grands artistes de l’époque, Michel-Ange pour ne pas le nommer, comme c’est le cas ici, il n’en fallait pas davantage pour que, sur Netgalley, je fasse une demande de validation auprès de Grasset, la maison d’Édition. Laurent Binet est l’auteur du fameux HHhH – Himmlers Hirn heißt Heydrich – sur l’opération Anthropoid et pour lequel il a été remarqué. C’est une autre époque, et un autre mode de narration, qu’il a choisis ici, les fameuses cités-états représentées, entre autres, par Florence aux mains des Médicis depuis 1434, offrait en effet un beau terreau propice aux manigances politiques, auxquelles la reine de France Catherine de Médicis n’était pas étrangère. On pousse d’ailleurs un peu jusqu’en Espagne puisque la femme de Cosimo de Médicis, Eléonore de Tolède, était d’ascendance espagnole.
Au centre de toutes ces machinations, il y a Florence avant tout, son duc et sa duchesse, Cosimo de Médicis époux d’Eléonore de Tolède, et leur fille Maria. Et le peintre Jacopo da Pontorno, représentant du maniérisme, chargé officiellement – et jusqu’ici, c’est véridique – de peindre d’une fresque l’abside de la chapelle San Lorenzo (la fresque a totalement disparu aujourd’hui.), retrouvé mort une paire de ciseaux plantée dans le cœur. Évidemment, sa mort va déclencher tout un processus d’enquête, d’autant qu’est retrouvé un tableau de la déesse de l’amour, Vénus, au corps nu et aux cuisses écartées, orné de la tête de Maria de Médicis : un mort pour deux scandales, nous voilà de quoi alimenter généreusement une intrigue efficace. L’enquête dite policière menée par les proches du duc vont nous amener à prendre connaissance de l’ambiance géopolitique du moment, de l’influence du nouveau pape qui pèse lourdement sur la ville, la culture et ses peintres, les machinations ici et là, ce n’est pas ce qui manque, pour réduire à néant Cosimo de Médicis. Ce sont donc 176 échanges de lettres, témoins d’une vie et d’une époque dans une ville ou les influences se jouent et se disputent entre pouvoir, culture et religion.
Au concours du plus grand fourbe, on ne sait pas vraiment à qui décerner la palme, ces lettres manifestent des faux-semblants de chacun et chacune, seule la jeune Maria reste à part avec son indolence et sa naïveté juvénile : car pour trouver le meurtrier du peintre florentin, il faut dénicher tous les ennemis du duc de Médicis, et on se doute bien qu’ils ne se font pas rares dès lors qu’il s’agit de grignoter un brin de pouvoir. À cette occasion, on apprend toutes les forces en jeu qui s’efforcent de déstabiliser le pouvoir, car le duc avec sa politique de tolérance à l’égard de la population homosexuelle est mal vu, forcément, par les religieux, le pape Paul IV en premier lieu, et les héritiers de la pensée du Dominicain Jérôme Savonarole. Et que la place du peintre assassiné, dans les petits papiers du duc, est convoité par quelques courtisans.
28.Michel-Ange Buonarroti à Giorgio Vasari
Rome, 23 janvier 1557
Très cher ami Messire Giorgio, plus j’y songe et plus je pense que la clef du mystère est dans ce tableau de Venus et Cupidon. Pourquoi avoir remplacé la tête par celle de la fille du Duc ? En dépit de ce que j’en ai moi-même jadis dessiné le modèle sans autre intention que de montrer la beauté de l’Amour mais aussi ses dangers et ses pièges, je ne peux ignorer que cette substitution trahit une intention provocante et hostile à l’égard de la famille ducale, car je me doute que la jeune Maria, qui ne doit pas avoir plus de dix-sept printemps et que son père songe sans doute à marier, n’a que peu à voir, au physique comme au moral, avec ma Vénus lascive et épanouie. D’autre part, je vois mal le brave Pontorno se découvrir un goût vicieux pour les jeunes vierges à soixante ans passés. Je pense que ce n’est pas la fille mais le père qui est visé dans cette peinture.
Le format épistolaire est toujours agréable et presque divertissant, il permet de concentrer l’intrigue, sans superflus narratifs, descriptions, dialogues, et de comprendre l’air du temps, le pape Paul IV anciennement cardinal Carafa, qui a fait tomber les peintures de nus en disgrâce à travers l’inquisition. J’imagine que cela demande de s’investir à fond dans chaque personnage, d’autant qu’ici, nous avons une dizaine d’épistoliers concernés, de trouver le langage adéquat pour chaque couche de la population, le duc et son épouse, les artistes, les ouvriers (apprentis et casseur de couleur), la reine de France, les nonnes, etc. L’ensemble des missives donne un bon aperçu de l’état de ce qui constitue notre l’Italie d’aujourd’hui, un bon chaos politique sans nom, la péninsule et morcelée entre Duchés, dont Florence, et Cité-état, on pense à Venise, son excellence culturelle, mais aussi scientifique d’où est née la renaissance italienne entre la ville de Dante et Sienne. C’est ce contexte aussi complexe que passionnant, dont les passions politiques, culturelles et religieuses forment un bouillonnement vital où tout est possible, y compris les coups fourrés les plus tordus, et la France n’est pas en reste de ce côté-là, où les guerres et contestations sociales couvent et peuvent exploser à tout moment.
Si l’intérêt de ce qui est un roman policier reste constant au long de ces échanges entre ce que l’on peut considérer comme courtisans ou ennemis du Duc Cosimo de Médicis, j’ai au moins autant apprécié les jeux de dupes entre Royaume de France et Duché de Florence, avec ses quelques interludes avec les disputes avec le Royaume d’Espagne. Il y a certes une légère résonnance avec Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, notamment dans la figure de Catherine de Médicis qui apparaît comme une manipulatrice dans la lignée de la marquise de Merteuil, mais ce n’est qu’un des traits secondaires de l’intrigue, néanmoins plaisant. On pourrait également parler de la place de l’artiste, secondé par tout un tas de petites mains indispensables, vite oubliées derrière la figure du maître, de la représentation picturale de l’époque, du règne du Duc de Médicis sur la ville italienne, les sujets inhérents à l’époque, le lieu, les protagonistes impliqués ne manquent certes pas.
Ce roman épistolaire fait partie des premières sorties du mois d’août (le 16), à mon avis, il saura trouver son public : par son monde de narration et ses thèmes, il rompt la monotonie de la grande majorité des titres de fiction publiés en cette rentrée à venir. Les Éditions Grasset, cette année, offrent d’autres titres très alléchants prenant place aux siècles passés.
La perspective nous a donné la profondeur. Et la profondeur nous a ouvert les portes de l’infini. Spectacle terrible. Je ne me rappelle jamais sans trembler la première fois que je vis les fresques de Masaccio à la chapelle Brancacci. Quelle connaissance merveilleuse des raccourcis ! L’homme d’aplomb, enfin à sa taille, ayant trouvé sa place dans l’espace, pesant son poids, chassé du paradis, mais debout sur ses pieds, dans toute sa vérité mortelle. L’image de l’infini sur terre, voilà ce que, bien loin d’avoir corseté l’imagination des artistes, la perspective artificielle nous a accordé. L’image, seulement, oui bien sûr… en réalité, nous ne pouvions prétendre égaler le Dieu créateur, mais nous pouvions, mieux que les prêtres, porter sa parole au travers d’images muettes ou de statues de pierre. Peintres, sculpteurs, architectes : l’artiste est un prophète parce que, plus que les autres, il a l’idée de Dieu, qui est précisément l’infini, cette chose impensable, inconcevable… Et pourtant… Impensable, oui, mais pas irreprésentable. C’est la perspective qui permet de voir l’infini, de le comprendre, de le sentir. La profondeur sur un plan coupant perpendiculairement l’axe du cône visuel, c’est l’infini qu’on peut toucher du doigt. La perspective, c’est l’infini à la portée de tout ce qui a des yeux. La perception sensible ne connaissait et ne pouvait connaître la notion d’infini, croyait-on. Eh bien, grâce aux peintres qui maîtrisent les effets d’optique, ce prodige a été rendu possible : on peut voir au-delà. Permettre à l’œil de transpercer les murs. Cette voûte en demi-cintre à Santa Maria Novella, tracée en perspective, divisée en caissons ornés de rosaces, qui vont en diminuant, en sorte qu’on dirait que la voûte s’enfonce dans le mur : trompe-l’œil, illusion sans doute, mais quelle merveille ! Nul d’entre ici s’il n’est géomètre ? Eh bien soit, mais plus encore ! Un tableau n’est pas seulement, comme le pensait Alberti, une fenêtre à travers laquelle nous regardons une section du monde visible. Ou bien peut-être n’est-il que cela, en effet, mais alors, n’a-t-on pas déjà là un miracle suffisant pour attester son essence divine ? Nous sommes les fenêtres de Dieu.
La rentrée littéraire 2023 des Editions Grasset, c’est aussi
1348. La peste noire déferle sur l’Europe
1367. Deux jeunes frères dominicains se rendent à Toulouse pour trouver le précieux papier sur lequel leur prieur entend écrire le récit de sa vie. Et sa confession risque de faire basculer l’Eglise en révélant la vérité sur les origines de la Peste et la façon dont elle fut liée au destin de son maître, Eckhart de Hochheim, dit Maître Eckhart, théologien mystique et prêcheur le plus admiré de la chrétienté. Puis maudit.
Guerres, inquisition, persécution et trahisons ; des bancs de la Sorbonne aux plaines reculées d’Asie centrale, Antoine Sénanque mêle les destins de personnages historiques et de fiction, marie petite et grande Histoire, et signe un texte exceptionnel, tout à la fois roman d’aventures, fresque historique, étude théologique et policier médiéval. Un page-turner spirituel et dramatique dans lequel les paroles d’Eckhart et les choix de nos héros font sonner autrement le beau nom grave de fraternité. Un coup de maître.
Une île : Maurice, la narratrice du roman. Quatre personnages : un oncle las de la vie, sa nièce, unique lumière pour lui, une femme qui vient de quitter son mari, un chef de bande assoiffé de vengeance.
Une journée où tout va exploser : la cité, les haines, peut-être l’île. Enfin, d’étranges animaux qui attendent patiemment que les humains finissent de détruire ce qui leur reste – leur humanité, leur foyer – pour vivre seuls, en paix : les caméléons. Unité de lieu, de temps, d’action. Le compte à rebours est lancé, le drame peut commencer.
Mais reprenons. Le roman s’ouvre, la ville est à feu et à sang. Zigzig, le caïd meneur, tient dans ses bras une fillette ensanglantée. Les plus pauvres viennent de s’attaquer aux plus riches dans le centre névralgique de l’île : le shopping center, désormais en ruines. Au loin, un volcan gronde. Comment en sommes-nous arrivés là ? Quelques heures plus tôt, Zigzig partait avec les siens attaquer ses rivaux tandis que Sara regardait danser une femme libérée sur une plage abandonnée. L’île rembobine et nous raconte. On suivra tour à tour chacun des personnages jusqu’à ce que leur destin se mêle. On remontera aussi le cours de l’Histoire pour comprendre comment les peuples, les servitudes et les logiques du monde moderne ont saccagé cette terre de merveilles et divisé ses habitants.