Convoi pour Samarcande

Dans les années 1920, en URSS, la famine fait rage dans la région de la Volga. Le gouvernement soviétique met sur pied des convois d’évacuation pour sauver les enfants. C’est l’un de ces trains que l’officier de l’Armée rouge Deïev prend en charge, avec à son bord cinq cents enfants, qu’il doit acheminer de Kazan, la capitale du Tatarstan, jusqu’à Samarcande. Pour atteindre le Turkestan, terre d’abondance épargnée par la famine, il faut faire un long voyage de milliers de kilomètres à travers les forêts de la Volga, les steppes de l’Oural, puis les déserts d’Asie centrale.

Au cours de ce périple, Deïev et ses passagers rencontrent des femmes et des hommes qui les aident et les nourrissent – héros du quotidien, bandits ou fonctionnaires au double visage. Avec la commissaire Blanche et l’infirmier Boug, il tente de protéger les enfants de la faim, de la soif, de la peur et du choléra. Deïev devra faire face aux fantômes de son passé, aux crimes commis au nom du pouvoir soviétique, et à la cruauté de son pays, pour lequel la vie humaine a si peu de valeur. Par son courage et sa bonté, cet homme sauve des centaines de vies ; en s’élevant contre les crimes de l’État soviétique, il montre un chemin possible vers la rédemption.

Gouzel Iakhina

467 p.

Editions Noir sur Blanc

Эшелон на Самарканд, 2021

Une traduction de Maud Mabillard

Note : 5 sur 5.

Être bon, c’est penser à tout. Se méfier de tout. Et tout prévoir. Être bon, c’est savoir quoi faire. Savoir refuser. Serrer la vis… Punir.

Cette rentrée est remarquable parce que le nouveau titre de l’auteure russe Gouzel Iakhina,  Гүзәл Яхина, sort ce 24 août aux Éditions Noir sur Blanc. J’ai eu la chance de le recevoir par le biais des Éditions, je les en remercie encore. Il y a deux ans, j’avais été totalement subjuguée par ma lecture de Les enfants de la Volga, coup de cœur qui a été partagé par nombreux de ses lecteurs. Si son titre précédent s’épanchait sur l’une des colonies allemandes qui bordaient les rives de la Volga, ici encore elle met au centre de son récit des enfants, pas n’importe lesquels, les enfants de l’Union Soviétique et de ses républiques, les orphelins, les abandonnés, les malades, les rejetés, les enfants de personne, ou plutôt les enfants du parti, de l’union. Les victimes de la grande famine des années 1920 qui ravage un état soviétique qui vit ses premières heures : Volga, Ukraine, Oural, aucun territoire n’a été épargné. 

De ces trop jeunes esseulés, réduits à l’état de mendiant, de voleur, alcoolique ou prostitué, par la grande famine des années 1920, le parti s’est décidé de les envoyer, par fret ferroviaire, depuis Kazan jusqu’au Turkistan, à Samarcande, là où croulerait le pain et le raisin frais. Le convoi qui nous intéresse se déroule sous l’égide de Blanche, une commissaire à l’enfance totalement dévouée à sa tâche, et Deïev. Un soldat rescapé de la guerre civile, reconverti dans le transport, marchandises ou bétail, jusqu’à cet ordre de mission qui le charge de ces 500 orphelins. L’homme va devoir se débrouiller avec une commissaire austère et dirigiste et les cinq cents enfants perclus dans l’oubli, la saleté, la faim et la maladie, à convoyer. Des enfants sales, malnutris et malades dont il va falloir s’occuper et soigner pendant les 4 000 kilomètres de voie ferrée, à charge de l’homme de trouver un infirmier et des nurses. Le trajet va se transformer en chemin de croix, d’un homme qui va s’attacher viscéralement à ces orphelins, il l’est lui-même, et qui se veut à la hauteur de la tâche qu’on lui a confiée.

On ne sait pas vraiment ce qui motive ce Deïev, rêveur et idéaliste, pris d’un sentiment bien plus fort que la compassion pour ces 500 gamins qui ne sont qu’un infime extrait de la société soviétique qui se meurt d’inanition. Mais c’est en véritable père de famille qu’il se comportait pour les amener à bon port, alors même qu’il est dépourvu de nourritures, de médicaments, de vêtements propres et de produits d’hygiène. Face à cet idéalisme qui confine une légèreté criminelle et l’insouciance qui pousse les tous premiers pas de la locomotive, le personnage de Blanche qui a les pieds très à terre va contrebalancer l’insouciance et l’impétuosité de Deïev. Le contexte historique est dramatique, les gens se meurent et tombent comme des mouches, on ne compte plus les extrémités auxquelles chacun est poussé, on touche à l’innommable, l’impensable – surtout quand on a le ventre plein – des choix extrêmes auxquels la plus grande misère peut amener. L’auteure ne se prive pas son lecteur des situations les plus désespérées, il faut s’accrocher solidement à son livre durant certains épisodes – , et c’est aussi ce qui contribue à la réussite de son roman.

J’ai beaucoup aimé le personnage principal, ce Deïev si ambivalent, un homme si différent à l’arrivée du train que celui qui en a donné le signal de départ. On démarre sur un homme un peu limité et borné, en tout cas il apparaît comme le parfait petit soldat qui obéit à chaque ordre sans faillir, sans remettre en question, sans lui-même se poser des questions. Mais la confrontation avec les enfants va changer le bonhomme, il va littéralement se transformer, se transcender même sous les yeux de Blanche, qui n’en croit pas ses yeux. Mu par une volonté supérieure, celle du sauveur, il va réussir à obtenir nourriture et autres denrées tout au long du trajet, il va se sentir obliger d’adopter chaque enfant abandonné qui se trouvera sur son chemin. Chaque personnel se trouvera sous le charisme de l’homme auquel tout le monde se trouve soumis de facto. Deïev entame son chemin de rédemption, on finira par apprendre la raison de ce dévouement insensé, il en boit la lie jusqu’à la fin. C’est la même sorte de chemin qu’emprunte ici Blanche, tout autant orpheline, qui a grandit dans un couvent, sans compagnon, sans mari, inféconde, et qui n’a trouvé que la voix des enfants pour donner un sens à sa vie. Elle également, c’est corps et âme, qu’elle s’investit dans cette responsabilité qui lui incombe, c’est la grande mission de sa vie. Deux grands orphelins qui se retrouvent coincés dans les quatre murs du train, l’image est trop flagrante pour qu’on n’y voit pas la symbolique. Il est souvent question d’ersatz pour indiquer la tension du manque qui se fait sentir en ce qui concerne les soins de première nécessité, il se trouve que l’auteure russe a mis là le parfait ersatz de la figure parentale et plus globalement de la grande famille, des patients pour l’infirmier, des centaines de garçons pour la nurse qui a perdu le sien, de la chienne qui a perdu ses bébés, et à l’inverse de la mère allaitante pour le bébé qui leur ait échu.

Ce trajet en train qui traverse l’union soviétique de part en part est également l’occasion d’avoir un aperçu de la situation gérée en dépit du bon sens et où la fidélité à la hiérarchie, dans un système aussi figé que l’était l’admnistration soviétique, prend le pas sur toute autre forme de logique. Ne se comptent plus les wagons pleins à ras bord de nourriture fraîche, en attente d’un ordre ou d’une destination, qui pourrissent à deux pas de la population qui crève de la faim, des soldats qui préfèrent se mettre à la recherche des hors-la-loi plutôt que de reconstruire la voix qui permettra le départ du train. Et de ces peuples autochtones, les ennemis de ce même système – cosaques, basmatchis de l’Asie centrale – qui font don de leur prodigalité à un wagon, rempli de personnes, appartenant au même cercle que ceux qui les exterminent. La dénonciation de tout un système qui marche à l’envers et sur la tête, où l’ultime voie de secours reste l’entraide, que l’on ne retrouve pas toujours là où on s’y attendrait, mais chez celui qui est privé et volé par le système soviétique. 

Un vieillard de soixante-dix ans, une volée de veilles pies et un cuisinier muet et idiot : c’était là toute la troupe de Deïev. C’était elle qui allait devoir le soutenir, l’aider pendant des jours et des jours de route, veiller à la propreté de la guirlande et de ses passagers, les nourrir, les soigner et les protéger. Voilà à qui Deïev allait confier les vies des enfants, sans l’avoir désiré. Dont il devait répondre comme de lui-même.

Le don de Gouzel Iakhina, c’est aussi cette capacité donner vie à un moment très précis du passé soviétique, et la Volga n’est jamais bien loin, de redonner un peu de beauté entre deux savonnages et épouillages d’enfants, des liens qui se lient entre eux, de ce substitut de famille qui se crée entre quelques wagons, le temps du trajet. De la beauté, et du rire, ou du sourire, quelquefois, parce que le personnage de Deïev a beau être d’un esprit et d’une nature simples, il est pris de ces accès farouchement passionnés et nobles lorsqu’il s’agit de se battre pour obtenir de quoi prendre soin des enfants, qui lui donnent une grandeur d’âme, qui font rentrer les héros de Gouzel Iakhina dans le rang des personnages que l’on n’oublie pas.

La rentrée littéraire 2023 des Editions Noir sur Blanc, c’est aussi

En 1940, fuyant l’avancée des nazis, des milliers de Juifs affluent en Lituanie, pays dont l’URSS s’empare, mais que le Reich lui arrachera bientôt. Dans ce climat de catastrophe imminente, le Néerlandais Jan Zwartendijk, directeur de la filiale lituanienne de Philips et nouveau consul honoraire à Kaunas, parvient à ouvrir aux Juifs une dernière issue pour échapper au pire. À l’insu de presque tous, Zwartendijk travaille jour et nuit pendant trois semaines afin de délivrer des visas pour Curaçao, dans les Antilles néerlandaises, tandis que son collègue Sugihara, consul du Japon, signe des visas de transit. Ainsi commence une extraordinaire entreprise clandestine qui sauvera des milliers de vies.

En recueillant à travers le monde les témoignages des survivants et de leurs enfants, Brokken reconstitue l’histoire de « l’Ange de Curaçao », comme l’appelaient les réfugiés. Voici l’odyssée de familles entières qui ont traversé la Russie en Transsibérien, atteint Kōbe et trouvé refuge dans le ghetto juif de Shanghai. Les Justes est une fresque monumentale, une mosaïque de vies, de lieux et d’événements où la réalité prend des teintes épiques et romanesques, mais surtout une leçon sur le courage et la responsabilité de l’individu face à la catastrophe.

« Je savais que si je franchissais cette frontière entre l’obscurité et la lumière, il n’y aurait plus de retour possible. »

Un homme raconte ses pensées les plus intimes alors qu’il est victime d’une crise cardiaque dans la rue et qu’il est ramené à la vie au bout de trois minutes et demie. Il s’agit d’un récit captivant sur quelque chose d’effroyable et de tout à fait ordinaire, sur la douleur, la peur et l’acceptation, tout en s’avançant sur la ligne de crête qui sépare la vie de la mort.

Avec une immense précision, aucune sensiblerie et un humour plein de finesse, Nadas affronte ici la terrible image que nous a laissée Samuel Beckett : « Elles accouchent à cheval sur une tombe, le jour brille un instant puis c’est la nuit à nouveau » (En attendant Godot). Mais ce qui lui importe surtout, c’est la dimension absolument personnelle de la mort, c’est l’enfantement par chacun de sa propre mort, au sens où Rilke l’avait perçu, il y a un siècle : « Seigneur, donne à chacun sa propre mort. Enfantée de sa propre vie ».

6 commentaires sur “Convoi pour Samarcande

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  1. Je ne savais pas qu’il venait d’être traduit, mais je me note tout de suite ce livre. J’avais lu de cette autrice « Zouleikha ouvre les yeux » qui m’avait beaucoup plu. Dans ce livre également, on avait également une personne en rédemption (Ignatov qui s’humanisait au fur et à mesure du récit). Ce roman, ou pour le moins la description que tu en fais, a l’air passionnant !
    Et merci pour les actualités de cette maison d’édition ; ce nouveau livre de Jan Brokken est fait pour moi. J’avais adoré un de ses anciens livres, Les âmes baltes, que je te conseille vivement (https://etsionbouquinait.com/2015/11/08/jan-brokken-les-ames-baltes/)

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  2. Merci pour ton retour ! J’ai qqpart « Zouleikha ouvre les yeux », tu me donnes envie de le lire, j’avais beaucoup aimé « Les enfants de la Volga ».

    Jan Brokken et sa bibliographie je les ai découvert avec Les Justes, je suis très tentée par « Les âmes baltes » justement. J’ai farfouillé un peu sur le web néerlandais, et il semblerait qu’il soit très apprécié 🙂

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