Demain et pour toujours

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Hiver 1943 : Dans le petit village de Ragam, au nord de l’Albanie, Kajan, sept ans, observe le monde changer à la hauteur de ses yeux d’enfant. Ses parents, partisans communistes, sont partis dans les montagnes combattre les nazis.

Kajan vit dans une ferme avec son grand-père Betim, à l’abri des atrocités de la guerre, jusqu’au jour où un déserteur allemand nommé Cornelius frappe à leur porte, cherchant refuge. Le soldat est un pianiste émérite et, fasciné, le petit garçon décide d’apprendre à jouer de cet instrument. Il se révèle bientôt un élève discipliné et talentueux, et se lie d’une amitié indéfectible avec Cornélius.

Quelques années plus tard, Kajan, devenu professeur de musique grâce à son don prodigieux, semble promis à un avenir radieux. Mais dans une Albanie dominée par la dictature communiste au cœur d’une Europe fracturée par la guerre froide, la guerre que Kajan croyait terminée est sur le point de recommencer, sous une nouvelle forme. À chaque coin de rue se cachent des ombres et des dangers qui vont inéluctablement pousser le jeune homme hors d’une voie qu’il pensait tracée.

Ermal Meta

432 p.

J.C. Lattès

Domani e per sempre, 2022

Une traduction de Anaïs Bokobza

Note : 5 sur 5.

Les idées ne mouraient pas, au contraire, elles restaient dans l’air pour fertiliser d’autres esprits curieux, capables d’imaginer une vie meilleure, un avenir différent, un ailleurs.

C’est l’une des très bonnes surprises de la rentrée : ce roman d’un auteur albanais, Ermal Meta, de langue italienne publié par les Éditions JC Lattès. Je le classe dans la littérature albanaise, bien qu’il soit écrit dans la langue du pays d’adoption de l’auteur, car albanais, il l’est, d’un bout à l’autre du récit. C’est le premier roman d’un auteur qui est compositeur interprète, vous l’avez peut-être vu à l’Eurovision 2018 représentant nos voisins italiens. On a du mal à croire que c’est le roman d’un tout nouvel écrivain, même s’il est déjà cantautore depuis un petit bout de temps comme on dit chez les transalpins (mot-valise signifiant auteur-compositeur), un roman de plus de 400 pages ne se conçoit pas et ne s’écrit pas comme une chanson. 

L’auteur n’a passé que treize années dans son pays d’origine, il semblerait pourtant qu’il ne l’ait jamais quitté, aussi ambivalents que ses souvenirs puissent être. L’histoire débute en Albanie, celle des années du fer stalinien, elle finit en Albanie, celle des années libres 90. Et entre deux, Kajan Dervishi, le personnage principal, va grandir à Ragam petit village du nord de l’Albanie en pleine guerre mondiale, aux côtés de son grand-père et de Cornelius, un déserteur allemand, devenir pianiste surdoué au sein d’une république populaire d’Albanie aux mains d’un dictateur qui préféra s’allier à la Chine populaire plutôt qu’avec une URSS en pleine déstalinisation. Entre des parents, ardents patriotes communistes, d’une mère, en particulier, qui a été héroïne de guerre et qui occupe désormais une place spéciale dans l’interminable pyramide hiérarchique du régime. C’est à l’occasion d’un séjour en Allemagne de l’Est, pour un concours mettant en scène tous les musiciens les plus doués du bloc de l’est, que les événements pour s’emballer pour Kajan : il y découvre un monde nouveau, un autre système de dictature, l’amour, l’amitié, la trahison, et surtout, il se retrouve à l’ouest sans l’avoir vraiment prévu.

La situation est d’autant plus grave, et surtout irréversible, qu’une fois le mur franchi, on ne retourne pas à l’est sans risquer la prison pendant de longues années, voir même la torture. Kayan en est conscient. Mais ce dont il est encore plus conscient, c’est que sa mère, patriote convaincue et fidèle acharnée au régime, d’où elle est, ne peut approuver son geste, et doit subir les aléas d’un interrogatoire musclé, puis un exil dans un des camps du pays, en tant que mère de traître à la patrie. Car fuir l’Albanie n’équivalait rien d’autre qu’à trahir sa patrie, d’autant que c’est pour aller vers l’ouest, règne du capitalisme. Mais tout ça, Kayan commence par le fuir, laissant derrière lui cadavres, et famille, et rejoint les Etats-Unis, ou bon an mal an, il fait sa vie. Mais l’Albanie n’est jamais loin, le souvenir de sa famille archivé dans le même coin que ses remords, il se décide à faire le chemin inverse, un retour aux origines aussi périlleux que sa fuite l’a été. Et ce n’est pas le pire qui l’attend, peu s’en faut.

L’histoire de Kajan est captivante, car elle traverse le temps – l’Albanie a vécu quelques évènements depuis la 2nde guerre mondiale à la fin des années 90, elle traverse l’espace – Kajan est passé d’un pays ultra fermé, a franchi le rideau de fer, pour finir dans le plus libéral des pays, les Etats-Unis, elle est forte en histoire et en émotions, elle possède une fin fracassante, retentissante, qui m’a laissée étourdie. Inattendue, quoique logique. Terrible et assourdissante. Il y a des éléments des narrations auxquelles je m’attendais, mais le coup de force de la narration qui renverse la situation m’a laissée pantoise : ce même retournement, qui laisse percevoir à quel point le sentiment de patriotisme, a été fort dans ce pays, bien plus puissant que tout autre lien. D’ailleurs, dans son exil, Kajan cultivera toujours plus ou moins son sentiment d’attachement à sa patrie, quand bien même il est devenu Joe, indiciblement lié à ses talents musicaux. En même temps qu’il gardera, quelque part en lui, cette animosité d’un pays qui lui a enlevé ses cousins, qui a conditionné irrémédiablement son entourage, qui le séparera de son premier amour. 

Kajan posa les dents de la pince coupante à côté d’une des deux attaches du pont. Il sectionna le câble et l’attrapa avant qu’il touche terre. Il était tellement tendu qu’il avait envie de vomir. Il le coupa de l’autre côté et jeta la portion de fil ainsi obtenue. Il fit de même avec le câble supérieur. Puis il rangea ses affaires dans son sac et le lança de l’autre côté de la clôture. Il se glissa ensuite dans le trou et se retrouva en Albanie. Ses jambes tremblaient, d’émotion et d’angoisse. Il était parti en héros, il revenait en traître.

En finir avec les années destructrices de la guerre pour embarquer dans 4 décennies d’un système aussi perverti et vicié, c’est la malédiction des Albanais, emprisonnés dans leur propre pays, embourbés dans une guerre ou les belligérants sont tous albanais : comment ne pas perdre le sens des valeurs dès lors que le pays pour lequel ils ont combattu et résisté devient leur propre bourreau. L’auteur n’évoque jamais le président, les noms au pouvoir, car ils sont toute une composante de ce système, individuellement, ils ne sont pas grand-chose, une entité toxique qui broie les siens dès lors qu’ils s’écartent du chemin. Un mode de fonctionnement qui finalement pousse les siens vers la sortie. Ce roman se lit comme une fresque, Kajan en connaît des geôles dans sa vie, à commencer par celles de son pays natal, un roman où la traitrise est maître mot, d’où qu’elle vienne, car l’Allemagne de l’Est avait elle aussi sa façon bien à elle de tenir sous son joug ses petits soldats, d’espionner et de manipuler ses citoyens. 

Demain et pour toujours est vraiment une belle surprise de premier roman, d’un auteur qui a fui le pays à treize ans, en compagnie de sa mère, sa sœur et son frère, qui a du connaître les affres de la dictature albanaise. Ce titre, je ne l’ai pas vu venir, et c’est l’une des grandes surprises de cette rentrée : à lire, absolument ! Et à relire.

La rentrée littéraire 2023 des Editions JC Lattès, c’est aussi

Derrière la fenêtre de son compartiment, un Français  d’origine russe regarde les forêts d’Ukraine défiler.  Autour de son cou, une croix orthodoxe que lui a offerte sa
mère. Dans un pays mis à feu et à sang par les fils de ses  ancêtres, c’est sa mère russe qu’il porte contre sa poitrine.  C’était déjà sa mère, et professeure de russe, qui l’accompagnait  lors de son premier voyage scolaire à Kiev en pleine  guerre froide. Ou, en tant qu’interprète, pour son premier  reportage dans la Russie des années 2000. Aurait-il pu l’imaginer  alors interrogée par le KGB à dix-sept ans à Sébastopol ?
À quelques centaines de kilomètres de ce train qui l’emmène  aujourd’hui vers Kiev, un vieil Ukrainien marche sur un lac gelé.  Lui aussi porte une croix orthodoxe autour du cou. Ils ne se  connaissent pas encore, mais bientôt ils vont partager un secret. 
Une valse à trois temps, pour approcher le mystère des  origines, entre fierté, désenchantement et renoncement. Une  quête littéraire, intime et universelle. Un regard unique.

Lise Deharme ne fut pas une femme facile.
André Breton s’est consumé d’amour pour elle. Louis Aragon, Jean Cocteau, Antonin Artaud, Paul Eluard, Robert Desnos, l’adorèrent, suspendus à son jugement lapidaire. Lise Deharme, née en 1898, régna sur les cœurs des artistes avec l’aplomb d’une duchesse médiévale. Mécène de Giacometti et de Man Ray, elle organisa dans son salon des réunions mémorables, sous l’œil amusé de ses copines Marie-Laure de Noailles et Louise de Vilmorin.
Elle se maria une première fois avec l’héritier des magasins Old England, homosexuel, qui se suicida. Elle connut l’immense amour avec Paul Deharme, qui mourut jeune. Epousa alors son meilleur ami, Jacques, pathétiquement dévoué. Lise était donc entourée, mais toujours seule.
Car Lise cachait des peurs, des fêlures et des manques. Jamais remise d’avoir été haïe par sa mère, détestant son milieu fortuné sans en renier les bonnes manières, elle préféra toujours la compagnie des fantômes à celle des humains. L’obscurité, le surnaturel et les peurs, lui parlèrent beaucoup plus que les convenances de salon. Ses textes, d’une magnifique étrangeté, sont tombés dans l’oubli. Pourtant, ils révèlent ce qui a pu rendre fous les surréalistes  : l’ésotérisme, mais aussi le goût pour la souillure, la sauvagerie, l’absurde, les caprices insensés. 
Lise Deharme ne s’endormait jamais sans avoir disposé, sur son lit, des petits tas de livres. Elle mit un point d’honneur à mentir, tout le temps, sur tous les sujets. Elle finit seule et ruinée, trop différente, trop inquiétante pour que la postérité ne garde sa trace.  
A moins qu’un livre ne vienne, enfin, la mettre en lumière.  

2 commentaires sur “Demain et pour toujours

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