L’éditeur

#Léditeur #NetGalleyFrance

Dès les premières pages, il sait. Il est comme un chasseur qui suit une trace. Concentré, recueilli, il passe deux doigts de la main gauche sur sa lèvre supérieure. C’est un acte précieux, délicat, doux. Il est tout entier là, dans ce rituel.

Il est drôle, irrévérencieux, de mauvaise foi.

Flamboyant au charme fou, un peu voyou, il marque mal.

Il incarne la Maison. Autour de lui, une famille d’auteurs.

Les livres qu’il publie sont comme ses enfants, il les porte, les protège, les défend. Il est l’Éditeur. Et, comme la littérature, il résiste à toute définition.

Il s’appelait Jean-Marc Roberts. Voilà dix ans qu’il a tiré sa révérence. À travers son souvenir, Capucine Ruat, éditrice auprès de lui durant quinze ans, raconte l’édition, cette passion brûlante. Et, sous sa plume subtile, ce créateur inclassable rejoint enfin la tribu des personnages de roman.

Capucine Ruat

272 p.

Phébus

Note : 4 sur 5.

Il se place au seuil des passeurs,

c’est un passeur de mots,

Il est au service de la littérature.

C’est un titre, forcément, qui suscite beaucoup de questions, dès lors qu’on ignore le métier, l’un des métiers devrais-je dire, de Capucine RuatL’éditeur, paru chez Phébus, est-ce une formule générique ou désigne-t-il une personne en particulier ? Capucine Ruat, que je connaissais principalement pour ses romans, évoque la vie de l’éditeur Jean-Marc Roberts, grâce à des années de collaboration avec l’homme. Décédé d’un cancer en 2013, il a été, si l’on en croit le récit, le mentor de l’autrice, un soutien inébranlable dans l’univers impitoyable, non pas de Dallas et ses sbires, mais de l’édition et des siens. Jean-Marc Roberts fut également un auteur, l’une de ces figures qui composaient le milieu germanopratin, pas très loin de Bernard Pivot, et toujours avec l’œil bienveillant de Jean Cayrol. 

C‘est le récit d’une personnalité, d’une époque, d’une passion et des années de vies de maisons d’Éditions, en particulier de Stock, là où il a achevé brutalement sa carrière, là où Capucine Ruat a débuté en tant que stagiaire puis en tant qu’éditrice, là où elle a signé son premier titre en tant avec ces épaules-là. L’éditeur, c’est une fusion entre l’homme et la fonction, Jean-Marc Robert, fils d’un Américain, passionné de littérature, des deux côtés du miroir de la littérature, auteur et éditeur. Capucine Ruat retranscrit les années de sa collaboration avec le directeur des Éditions Stock entrecoupées de quelques retours en arrière dans ses premières années dans le monde littéraire, des personnalités qu’il a côtoyées, et Jean Cayrol en premier lieu, poète, et conseiller littéraire chez le Seuil, qui ont pu l’influencer et au sein des autres maisons d’édition. Jean-Marc Roberts est un vrai personnage, sa voix rassurante et enveloppante, un charisme contagieux, réconfortant, l’un de ces hommes qui sait diriger son équipe, sans tomber dans un paternalisme irritant, ou au contraire, dans des rapports de force humiliants. Un de ces meneurs d’hommes qui fait qu’on a plaisir d’aller au travail, qui a construit son équipe comme on construit sa famille, à coups de coup de cœur, à l’instinct. 

Quel-le lecteur-rice ne rêverait pas de vivre le quotidien d’une maison d’édition, d’aller fouiner ici et là au service des manuscrits aux côtés du stagiaire des comités de lecture (chez Stock en l’occurrence) ? C’est ce que nous propose de vivre Capucine Ruat, à ses côtés, aux côtés de son mentor, d’assister à ces quelques moments de travail volés au quotidien répétitif, aux lectures de manuscrits, à la préparation des grands événements qui met en ébullition le monde de l’édition – rentrées littéraires, salons, prix littéraires. Je ne cacherais pas que cet aspect-là du récit de Capucine Piat est particulièrement captivant pour les lectrices et lecteurs que nous sommes, pour une fois que l’on nous dévoile les coulisses de l’artisanat éditorial. Des mots qui m’ont rappelé de mieux regarder les couvertures de tous ces livres, du logo des éditions Seuil qui rappellent le lieu où elles logeaient, qui refont les histoires derrière ces logos tellement habitués que nous sommes à les voir que l’on ne pose même plus son regard dessus. Dont, tout justement, l’if, la façade et le portail du Seuil. 

Le livre ce n’est pas le temps passé dessus. Ce n’est pas de s’y croire. C’est quelque chose qui cherche, parle, qui appelle.

Nous, simples lecteurs, connaissons cette passion de la lecture. Nous qui ne sommes ni connus, et n’aspirons pas à l’être, ni auteur, n’occupons pas la même fonction, ni le même rôle dans le monde tumultueux de la littérature, si ce n’est celui de donner notre avis, humblement, sur les lectures qui sont les nôtres. Et c’est cette passion partagée qui rend cette lecture encore plus précieuse, parce que nous ressentons cet enthousiasme face à une lecture qui vous parle, vous remue et laissera quelques traces en vous. Capucine Ruat a l’amour de la littérature contagieux, l’admiration aussi, et si je n’ai pas eu connaissance avant de Jean-Marc Roberts, elle m’a donné l’occasion de faire connaissance avec l’admirateur en littérature qu’il était, qui réussit à transcender sa mort grâce à l’éloquence de ce texte.

On peut également relever en filigranes un état des lieux de l’univers de l’éditions, son évolution depuis la fondation de Seuil et son existence en tant qu’entité propre et indépendante jusqu’aux rassemblements en groupe, des uns qui dévorent les autres, qui va de pair avec l’évolution de la lecture et de l’objet livre, l’actionnariat, l’instalivre ou bookstagram, le booktok, bref la présence d’internet qui a changé notre rapport au livre, la numérisation qui a dématérialisé l’objet, la popularisation même de l’institution de l’édition, ses représentants se veulent plus proche du lecteur, et échangent avec eux occasionnellement, les plus hors-sol de la communauté de lecteurs se posant en calife en place et lieu du grand califat qu’est la maison d’édition. 

Ce qui m’a interpellé dans la représentation que Jean-Marc Roberts se faisait de la littérature, c’est cette perception de la littérature qu’ils appellent Littérature Brûlante, ce qu’il a recherché pendant ses dix-sept ans au Seuil, c’est Eric Orsenna, Tahar Ben Jelloun, Lydie Salvaire, Katherine Pancol, Lionel Duroy, Vassilis Alexakis. Puis chez Mercure de France, Fayard et enfin Stock. Et même si mes goûts personnels ne rencontrent ceux de l’homme que sur certains auteurs et autrices, on comprend cette même fébrilité à commencer un titre, à en tomber sous le charme. Et même si l’on se doute, après les précédentes polémiques du Goncourt, que hasard et grands prix littéraires sont antinomiques, Capucine Ruat nous le confirme, avec toute l’ampleur de la naïveté qui me restait, qu’ils tiennent beaucoup du jeu de dupes.

On ne lira plus les publications des Editions Stocks sans penser à Jean-Marc Roberts, qui a laissé sa patte indélébilement après avoir réussi l’exploit de redresser financièrement la maison d’éditions, en laissant derrière lui les auteurs lus, édités, et les dernières effluves d’un temps et d’une génération ancrées entre les ruelles de St Germain des Prés, disparus avec eux et avec l’if du Seuil, qui ont laissé place à d’autres éditrices et éditeurs, d’autres Jean-Marc, Liliane ou Capucine, stagiaire, assistante ou éditrice.

La rentrée littéraire 2023 des Editions Phébus, c’est aussi

C’est l’art et la littérature quinous laissent imaginer l’humanité chez autrui et nous aident à la trouver en nous-mêmes.

John Hubbard Wilson, professeur de littérature, l’a toujours dit à ses étudiants dans son cours sur Shakespeare : « Nous allons tous mourir. C’est ce qui se passe pendant que nous vivons qui doit compter – ce que nous apprenons, ce que nous savons, ce que nous finissons par comprendre avant de disparaître. »

Au crépuscule de sa vie, John, atteint de la maladie d’Alzheimer qui grignote peu à peu sa mémoire, renoue avec sa fille, Miranda. Leur relation gâchée rencontre alors une ultime chance d’être réparée.

Un magnifique roman sur ce qui nous lie à ceux qu’on aime, sur le sens qu’on donne à sa vie. Et un hommage à la littérature qui accompagne l’existence, tel un soutien indéfectible.

 Au bout de ces routes se trouvaient des falaises dressées contre la mer. Un refuge isolé de la fureur du monde. Un havre où l’on ne connaissait pas la faim et où la vie, au-delà des linceuls, perdurerait longtemps encore.

Félix et Edgar fuient leur ville sans avenir autre que l’oppression. Tout les oppose, l’un est orphelin, l’autre héritier, mais l’amitié les lie. Dans un pays dévoré par la violence, la suspicion, la délation, ils prennent la route et tous les risques, avec l’espérance pour bouclier.

2 commentaires sur “L’éditeur

Ajouter un commentaire

Laisser un commentaire

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑