À quoi pensent les Russes ? 

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Fin juin 2022, alors que les télévisions de l’aéroport de Dubaï annoncent les dernières avancées russes en Ukraine, Nicolas Wild s’apprête à embarquer pour Saint-Pétersbourg. Si les frontières russes sont fermées aux journalistes occidentaux, la réglementation n’a pas changé pour les artistes. Équipé de son attirail de dessinateur et un poil stressé, l’auteur de « Kaboul Disco » part à la rencontre d’un peuple coupé du jour au lendemain d’une grande partie du monde.

Durant deux semaines, accompagné d’une interprète, il ira à la rencontre d’un large panel de résidents russes : membres de la société civile, artistes, opposants politiques, militaires, expatriés et simples citoyens, tous passeront sous le crayon de Nicolas pour exprimer leurs vues sur la guerre en Ukraine et la situation de leur pays.

Nicolas Wild

193 p.

Les Humanoïdes Associés & La Boîte à Bulles & HSN

Note : 5 sur 5.

Petit interlude graphique, et pas sur n’importe quel sujet, sur ce qui se trame dans la tête des citoyens de la fédération de Russie : vaste ambition, vaste projet. Édité chez La Boite à Bulles, l’auteur français, Nicolas Wild est un auteur de plusieurs romans graphiques, dessinateur et scénariste, dont certains se passent sur le territoire asiatique, Iran, Afghanistan. Il a d’ailleurs reçu un prix pour récompenser Ainsi se tut Zarathoustra. Ici, pendant quinze jours, il écume le territoire, grandes villes, républiques de la fédération russe et visite des lieux essentiels, pour interroger une personne représentative d’une certaine catégorie sociale, politique, de la population : on retrouve une jeune chanteuse patriotique, un chanteur de rock mis au ban, des artistes, des pro- ou anti-Poutine. L’auteur se met en scène sous la figure du personnage caricaturé à gauche sur la couverture, aidé parce que l’on appelle un fixeur dans le jargon journalistique, dans une région à risque ou connaissant des troubles, une personne du cru faisant office à la fois d’interprète, de guide, d’ aide de camp pour un journaliste étranger. respecter les limites de ce qui est acceptable ; et l’on sait qu’en Russie, ce n’est pas trop demandé dès lors qu’on s’apparente à un journaliste. Son fixeur est une fixeuse qu’il surnomme Chat, qu’il dessine parée d’une tête de félin, afin, j’imagine, de préserver la confidentialité de son identité. Last but not least, le roman graphique nous offre une petite tranche de Lara Fabian !

Plusieurs chapitres découpent ce roman graphique, dispatchés chacun sur l’une des personnalités, des événements ou des lieux que Nicolas trouve particulièrement symbolique : il n’est évidemment pas possible de faire un aperçu exhaustif de l’ensemble de la population mais interroger un échantillon de chaque parti pris afin de se rendre compte, au-delà des tentatives de silence, d’intimidation ou de propagande du gouvernement russe. L’une des questions qui revient, qu’il tente de poser à chacune des personnes qu’il a l’occasion d’interroger, c’est celle de la guerre en Ukraine, ce qui est appelé dans le pays « opération spéciale » selon la roublardise du gouvernement à ne pas nommer les choses et maintenir la population sous une coupe d’ignorance. Le premier chapitre est celui de l’introduction et de l’arrivée de Nicolas Wild à St Pétersbourg, ville de naissance de l’actuel président de la fédération.

Le deuxième chapitre est saisissant : il narre les péripéties de Boris Vishnevsky, parlementaire à la douma de St Pétersbourg, à la tête du parti libéral Yabloko, l’un des rares partis d’opposition à Poutine. Le reste vous surprendra, et ne vous surprendra pas, vous pensiez avoir tout vu avec les thés parfumés au polonium, les suicides d’une balle derrière la tête et les chutes improbables des balcons du 10è étage des ennemis au président russe : que nenni. Et Nicolas Wild va être surpris par le récit de Boris Vishnevsky, qui lors d’une élection, s’est retrouvé en face d’opposants quelconques, pas n’importe lesquels puisqu’ils étaient tout simplement des sosies de Boris. Vladimir et ses sbires ont l’imagination débordante quand il s’agit de nuire à ses opposants. On en rirait presque si l’on ne connaissait pas les méthodes sanguinaires et sans pitié du dictateur. 

Les personnages choisis sont pour certains pro-Poutine, d’autres de l’opposition, des activistes, un chanteur, Iouri Chevtchouk  ( cliquez et écoutez la chanson ! ) ou encore des figures russes : on retrouve ensuite Olga, commerçante lambda, Sainte Xenia, Elena, elle aussi grand-mère lambda. Chacune et chacun apporte sa vision actuelle du pays, mais aussi de ce qu’était à leurs yeux l’URSS, et ce qui à leurs yeux, représentent les principaux problèmes du pays. Mais on retrouve des lieux mythiques et symboliques, l’hôtel Slavyanka, le restaurant Jivago, le parc des patriotes, des événements particuliers, ou encore la présence de la communauté indienne en Russie. Pas de grandes surprises quant à l’avis de la population sur leur président et ses méfaits, c’est une population divisée, les uns convaincus par la propagande qu’on leur sert, ou qui s’arrangent silencieusement avec cet écran de fumée, les autres qui ne le sont pas et s’érigent contre Poutine, mais en silence. Et ceux qui agissent, ou du moins qui tentent un peu avant d’être réduits au silence par toute une floraison de stratagèmes loufoques, par un décret qui promeut des interdictions farfelues, par des mises au ban à leur domicile au mieux, des emprisonnements au pire. 

La majorité des vignettes est en noir et blanc, de la couleur est rajoutée pour mettre un élément de la vignette, le bleu et jaune d’un bouquet de fleurs, le cuivré des chevelures féminines d’artistes, le bleu du visage de ces mêmes femmes. Il arrive que les vignettes soient incrustées de véritables photos ou des imprim-écrans, parce que la réalité surréaliste peut dépasser la fiction et que j’imagine l’auteur a ressenti le besoin de prouver ses dires à son lecteur. Moi-même, j’ai ressenti le besoin d’aller confirmer les dire de Nicolas Wild sur Internet, ne serait-ce que sur l’histoire invraisemblable de Boris Vishnevsky, écouter le chanteur dissident sur les bons conseils de l’auteur. Le bourrage de crâne est tel qu’il n’est pas étonnant que Poutine ait encore du soutien, quand on veut manipuler les masses, rien de mieux qu’avoir recours aux points sensibles, notamment à travers les photos géantes des jeunes soldats morts au combats, avec un qr code qui déroule leur biographie, affichées en large et en travers. À quoi pensent les Russes ? est un ouvrage aussi ludique que didactique, qui a le mérite de faire un état des lieux de la Russie actuellement, de la propagande ravageuse instaurée, des interdictions légalisées par des décrets invraisemblables, des russes encore traumatisés par les années 90, le passage du socialisme au capitalisme sauvage, par ceux qui voient leur identité se dissoudre lentement dans cette grande Russie qu’impose Poutine à grand coups d’obus et de fusils. L’aspect graphique apporte une valeur ajoutée, l’auteur transmet aux lecteurs les impressions qui l’ont traversé et que les mots seuls sont insuffisants à transmettre entièrement : l’ampleur de la machinerie mise en place pour enfermé le citoyen russe dans une geôle intellectuelle et référentielle qui ne lui offre aucune autre solution que de croire, ou faire semblant, de croire aux explications déroulées. Aucune d’excuse aux massacres qui se passent en Ukraine naturellement, mais un constat sur la société russe.

À paraître chez Les Humanoïdes Associés & La Boîte à Bulles

L’histoire « incroyable mais vraie » de deux vedettes de cinéma enlevées par la Corée du Nord pour réaliser des chefs-d’œuvre et auréoler la dictature d’un prestige international.

Hong-Kong, 1978. Le metteur en scène et producteur Shin Sang-ok – star en Corée du Sud bien qu’en délicatesse avec la junte nationaliste et conservatrice au pouvoir – est à la recherche de son ex-épouse, Choi Eun-hee, qui a disparu depuis plusieurs semaines dans la mégalopole anglo-chinoise. Bien que divorcé, il est resté très lié à elle. Quand il pense avoir retrouvé sa piste, il tombe en fait dans un guet-apens et se retrouve enlevé à son tour.
Quand il revient à lui, il se trouve en résidence surveillée en Corée du Nord, obligé de suivre des cours d’éducation politique. Comme de nombreux autres artistes japonais, chinois ou coréens avant lui, il a été enlevé pour servir la Patrie du Socialisme. Ses tentatives d’évasion se soldent toutes par des échecs patents au cours desquels il risque sa vie.
En février 1983, enfin, on l’extrait de sa résidence pour l’amener rencontrer Kim Jong-il et retrouver son ex-épouse, Choi Eun-hee. Avec des moyens quasi illimités, le guide suprême leur demande de réaliser des films qui marqueront l’Histoire du cinéma…
Sur la base d’une histoire – incroyable mais – vraie, Fabien Tillon et Fréwé mettent en scène un thriller captivant, retracent des destinées hors du commun et reconstituent l’univers incroyable d’une des dictatures les plus isolées du monde, mais pourtant soucieuse de son prestige culturel à l’étranger.

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