Grande dorsale

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Notre narrateur est avocat à Paris, il est également époux de Béatrice, et père de famille d’une jeune adolescente, Rose. Afin de surprendre sa fille, il se décide à se faire tatouer le portrait qu’elle a dessiné d’elle-même quelques années plus tôt. Mais les choses ne se passent pas comme prévu, Olof l’artiste le tatoue sur le dos de tout autre chose, une cavalera, figure typique du culte de la Santa Muerte mexicaine et s’empresse de disparaître. Très perturbé, l’avocat se décide avec l’aide de sa fille de rechercher l’identité de la jeune femme qui orne son dos. À sa grande surprise, cela va l’entraîner jusqu’en Argentine, et son passé de dictature militaire, pendant laquelle de nombreux soi-disant opposants ont « disparu ».

Nicolas Defoe

150 p.

Editions J.C. Lattès

Ma Note

Note : 3.5 sur 5.

Je découvre ainsi Grenade, le nouveau label des Editions J.C. Lattès, spécialisé dans ces « nouvelles voix. Explosives. Exotiques. » De Paris en Argentine. C’est le chemin tortueux, c’est le moins que l’on puisse dire, qui depuis le prosaïsme de la vie parisienne d’un avocat lambda va mener en plein folklore argentin, en pleine spiritualité sud-américaine, dans cette Argentine, ou les morts refont surface. Ces dernières années, ces masque de la morts d’après les calaveras colorées, originalement mexicains, dont un exemplaire orne notre couverture ainsi que le dos de notre pauvre père de famille, s’observent un peu partout, encore plus lorsqu’il s’agit de fêter nos morts. Il est devenu monnaie courante, même en France, de voir ces crânes maquillés, plein de couleurs, étrangement loin de notre propre conception de la fête des morts, sans que personne ne s’interroge vraiment sur la provenance de cette coutume importée et empruntée.

Un titre, au début, pour moi opaque, qui évidemment me faisait vaguement penser à la partie postérieur du corps humain. Un type qui se retrouve avec un tatouage de la Santa muerte, la faucheuse sud-américaine, une Cavalera, alors qu’il n’avait rien demandé d’autre que la reproduction du dessin de sa fille. Les débuts sont à la fois désopilants et intrigants, la curiosité du lecteur est indéniablement piquée et attisée par ce tatouage indésiré, presque obscène, qui colle désormais âprement à la peau de notre avocat parisien, qui n’avait pourtant rien demandé, et qui s’affiche désormais ostensiblement sur toute la surface de son épiderme. Mortification devant la mine déconfite de l’homme.

Mais comme toute chose indésirable qui vous colle à la peau, le tatouage a sa propre vie, le visage maquillé tait jalousement sa propre histoire. Sa propre identité. Une compagne de vie indissociable, une schizophrénie qui fait désormais partie entière de l’homme, qui va donc chercher à comprendre obstinément le visage de la femme mystérieuse qui a fait de son échine son territoire. Le roman prend alors des dimensions inattendues, qui vont nous entrainer, brusquement, dans les années sombres du pays d’Eva Perón, une profondeur à laquelle je ne m’attendais pas vraiment, dans les failles de l’histoire argentine. Cette histoire qui comme beaucoup de pays latins ont connu les méfaits d’un despote, les meurtres, les tortures, les disparitions.

En contrepartie d’une bourse de thèse pour financer mes recherches en histoire économique, il m’a été demandé de produire un rapport mensuel au recteur sur les groupements étudiants identifiables et, le cas échéant, la subversion apatride au sein de notre université. J’ai exercé cet office sans zèle aucun, je le jure. Je ne croyais pas aux rumeurs sur les excès du régime en vigueur et, bien que dépourvu de sympathie pour le communisme et ses thuriféraires, je ne suis pas plus animé de haine envers les subversifs.

Le passé n’est pas encore oublié, ni pardonné, encore moins avoué. C’est ce que le roman de nous apprend à travers l’histoire de cette belle jeune femme qui transparaît à travers la Calavera, disparue, comme l’ont été beaucoup d’argentins dans le passé. Roman de la répétition, de la disparation présente qui apparaît comme un écho de celles passés, qui tisse un lien entre passé et présent qui se finissent par se mélanger. Et c’est passionnant de constater progressivement que comprendre le présent permet aussi de comprendre ce passé tabou, qui plane constamment dans chaque conscience, dont personne n’ose briser le sceau, comme si cela allait libérer tous les démons enfouis de ce passé prohibé.

Le lecteur est attiré dans les failles et dorsales de cette Argentine aux traditions qui exercent une certaine fascination : alors que nous fêtons ici les morts, aux couleurs des chrysanthèmes, dans la grisaille et la mélancolie des cimetières, là-bas ils fêtent leurs morts dans la fête et les maquillages colorés. Les cent-cinquante pages de ce récit polyphonique se lisent aussi vite qu’une calavera literaria, ces poèmes moribonds. C’est un texte très moderne qui se partage entre narration classique, extraits de journal intime et mail, Une langue simple, clair, sobre, sans simagrée, qui peu à peu entraîne le lecteur dans les fêlures de familles, françaises et argentines, mêlées à celles du pays sud-américain, qui donnent à ce roman ses lettres de noblesses.

L’auteur a réussi à faire de ces tragédies intimes et éminemment personnelles, une tragédie à dimension nationale et même internationale qui atteint les frontières françaises, et qui finit par largement dépasser le dépositaire du tatouage. Ce n’est pas un roman auquel on peut rester insensible, plus on s’y abîme, plus on devient happé par cette atmosphère particulière du Dia de Muertos, ou les morts sont partout, derrière chaque histoire, chaque mémoire. Encore une fois, c’est un beau roman d’un auteur français, Nicolas Defoe, qui n’hésite pas à s’emparer de l’histoire d’un territoire sud-américain pour bâtir une fiction soignée et aboutie, c’est un parti pris qui me plaît décidément beaucoup.  

J’ai appris par les tatoueurs du salon que le dessin était typique des maquillages de la Santa Muerte, « figure de culte d’un mouvement religieux mexicain », selon Wikipédia. « La Santa Muerte est adorée ou vénérée surtout par les personnes qui mettent quotidiennement leur vie en danger, mais les citadins l’invoquent aussi pour la protection et la récupération de la santé, d’articles volés, ou encore des membres séquestrés de la famille. » Le culte était d’origine mexicaine et se pratiquait aussi en Uruguay. C’était un tatouage classique, voire banal, assez répandu aux Etats-Unis. Selon tous les avis, le mien révélait une technique parfaite et une réalisation impeccable.

D’après les ouvrages illustrés sur le sujet, il y avait en réalité deux grandes références: la Sainte Mort, parfois appelée Dona Sebastiana, figure cryptoreligieuse, et la Cavalera Catrina – cavalera signifiait Tête de mort -, une création du caricaturiste mexicain José Guadalupe Posada, en 1912, pour se moquer des femmes élégantes et parvenues de l’époque. Calavera ou Santa Muerte, les visages des femmes maquillées pour la fête des Morts ressemblaient au mien, mais aucun n’était aussi beau.

Ma fille, à qui on avait promis une surprise pour son retour de Berlin, a eu une réaction plutôt inattendue. La main devant la bouche, le regard éberlué, Rose a été prise d’un fou rire.

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