Les trois vies de Josef Klein

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Josef Klein vit à New-York depuis quelques années déjà après avoir quitté l’Allemagne lorsque la guerre éclate en 1939. Là-bas, même si sa nationalité allemande est vue d’un mauvais œil par beaucoup d’Américains, il trouve rapidement un travail dans une imprimerie. Radio amateur, il monte peu à peu un émetteur qui lui permet de communiquer avec d’autres amateurs du monde entier. Il est bientôt contacté par d’autres concitoyens exilés qui lui demandent de transmettre certains messages codés.

En juin 1949, il rentre définitivement à Neuss chez son frère Carl, sa femme et leurs deux enfants. La cohabitation est plutôt malaisante pour tout le monde car Josef ne travaille pas. Se rendant compte qu’il n’avait aucun avenir en Allemagne divisée, et qui a bien du mal à se remettre de la guerre, il se prépare alors à partir en Amérique du Sud, rejoindre les sympathisants nazis qui ont fui le pays et Nuremberg.

Ulla Lenz

248 p.

Editions J.C. Lattès

Der Empfänger, 2020

Ma Note

Note : 3.5 sur 5.

La seconde guerre mondiale, la drôle de guerre, la Grande Guerre Patriotique. Il me semble que c’est l’un de ces sujets inépuisables en Littérature, un Sisyphe qui roulera son rocher éternellement, il y aura toujours des choses à écrire, et à lire, tant qu’il y en aura à dire. Ulla Lenz, l’auteure, a choisi d’inscrire sa fiction selon une perspective allemande. Et d’outre-Atlantique, du haut de ses interminables tours new-yorkaises. À partir du regard de Josef Klein, exilé allemand dans le nouveau monde, à peine visible, qui ne fait que l’observer, de très loin, ce monde. Du conflit mondial nous n’aurons que de très distants échos, au gré des quelques bruits finissent bien malgré tout par arriver aux oreilles de Josef, qui ne s’embarrasse pas du moindre remord : il est aussi loin que l’on puise l’être du conflit, tant sur la distance que sur son engagement. Josef n’est pas un homme que l’on remarque, c’est peut-être bien ce qui va lui permettre de traverser ses trois vies sur la pointe des pieds.

Ce bien curieux personnage, insaisissable et hors du temps, constamment tenaillé par une ambivalence existentielle, jalonne ce récit à trois temps et a provoqué chez moi pas mal d’interrogations, c’est un individu au prime abord sans grande consistance qui a fui son pays dès qu’il a pu pour rejoindre celui de l’oncle Sam, exilé parmi d’autres. On touche là un point de l’histoire, dont on a peu eu conscience, et concerne ces quelques Allemands qui sont allés s’installer par delà l’Atlantique, là où il est réputé plus facile qu’ailleurs de se bâtir une situation, sinon de faire fortune, ce pays de toutes les libertés. Josef est un drôle de petit homme solitaire, qui aime les échecs, et tâte de la radio, qui va se faire embrigader dans les réseaux clandestins allemands à défaut d’intégrer la Wehrmacht. C’est avec grand intérêt que l’on apprend ainsi, à travers ce roman, que les réseaux nazis sont arrivés jusqu’aux Etats-Unis. Il est vrai que l’histoire a principalement retenu les méfaits de la dictature sur le vieux continent, à raison. Il n’en reste pas moins très instructif, au moins qu’aussi intéressant, de constater comment l’auteure allemande reconstitue la montée du nazisme à travers le témoignage de cette grande démocratie.

Entre patriotisme et fidélité au pays originel, la frontière est poreuse pour ce Josef américanisé en Joe, lequel se trahit par son accent germanique, et considéré d’un œil torve par ces Américains, qui ont le recul nécessaire pour prendre conscience de l’ampleur du danger qui guette l’Europe. La montée du nazisme est ainsi mal vécue aux Etats-Unis, même s’il se trouve certains irréductibles indéboulonnables de la race blanche, Ulla Lenz parvient à rendre ce frisson d’horreur qui parcourt l’échine de la population américaine pressentant mieux que tous les autres la menace allemande qui s’alourdit de jour en jour. Est-ce qu’être allemand revenait à être nazi, c’est un peu l’enjeu de ce récit qui s’appuie sur la figure centrale de cet européen, totalement épris de la vie américaine, dont l’incapacité à prendre position et à se distancer de sa nationalité, va l’amener tout droit à être mêlé dans des plans qui le dépassent. En conférant à cet homme aussi peu de caractère, l’auteure illustre d’une certaine façon l’inertie qui s’est emparée des Allemands ou autres à la merci d’une force bien plus grande qu’eux. Le rôle d’agent secret, si tant est qu’on puisse lui appliquer ce qualificatif, est un costume taillé bien trop grand pour Joe Klein, qui comme les chats sait rebondir pour s’en aller vivre ses autres vies.

Ils avaient beau aller souvent au bureau du Parti nazi américain, l’adresse semblait chaque fois décalée de quelques maisons. Il porta son regard alentour. Sams’s Famous Pizzeria. Barber Shop. Smoke Shop. Et enfin le Nancy’s Beauty Parlor, un salon de coiffure spécialisé dans le lissage des cheveux. Dans l’entrée ça sentait la nourriture. La coiffeuse noire leur fit signe d’aller derrière. Sans un mot, il toucha du doigt le bord de son chapeau. Ils montent des escaliers. Un tas de mégots par terre leur indiqua quelle était la bonne porte. Pas la moindre plaque. Le parti travaillait en secret.

Il frappa quatre fois, c’était le signe convenu avec Stahrenberg. La porte s’ouvrit, Stahrenberg tendis le bras pour faire le signe hitlérien. Josef aperçut tout de suite l’épingle de cravate: une croix gammée en métal.

L’Allemagne n’est pas sa vie, il n’y a rien construit, tout juste un transit pour cet homme qui a toujours vécu entre deux vies, aux Etats-Unis, entre américains et allemands exilés, à Ellis Island, en Allemagne chez son frère, en toute clandestinité. Un Allemand, un nazi, un exilé, un clandestin, encore plus un apatride, c’est un home perdu, qui navigue d’un océan à l’autre, mais fatalement rattaché par sa nationalité allemande, Josef devient José en Amérique du Sud. En Argentine, là où Perón a fait un pont d’or aux nazis allemands, c’est peut-être une réponse qu’il trouvera loin de son pays. 

C’est un premier roman qui a reçu quelques prix en Allemagne, qui chatouille encore le souvenir lancinant de l’Allemagne nazie à travers un personnage, qui a priori n’avait rien à y voir, si ce n’est sa nationalité, qui plus qu’une conviction personnelle profonde, a provoqué une condamnation presque immédiate du pays qui l’a accueilli. Une malédiction qui, à force de garder obstinément la tête dans le sable, finit par lui nuire, un homme ordinaire qui a tout sauf l’étoffe d’un héros perdu dans des mondes qui ne seront peut-être jamais les siens. C’est une anguille qui se faufile entre les rochers, entre les rochers, un fuyard qui déserte dès que le vent tourne, qui n’a même pas pour lui ses convictions, puisqu’il ne sert rien d’autre que ses propres intérêts. C’est un homme lâche très certainement, détaché de toute apologie. Est-ce que ce désengagement du monde caractérisé par cette lâcheté apparente fait de lui un être condamnable ? Du fond de mon confort, c’est une question que je serais mal avisée de répondre par une réponse affirmative nette et concise. C’est un roman qui remet sur le devant de la scène cette question qui n’a aucune réponse de savoir ce qu’à titre personnel, citoyen allemand ou français à cette époque, de quelle façon on aurait agit.

La vie de Josef Klein est hachée, divisée, clivée comme l’individu l’est lui-même, aspiré par cette soif de liberté ultime que lui a offert les Etats-Unis, sa nationalité, qui même reste le seul lien à sa famille, il porte comme un fardeau, et son incapacité à affronter le monde, et somme toute, ce récit est fidèle à son image.

Les cris de Carl. Cela fait vingt-cinq ans qu’il n’a plus entendu la voix de son frère. Et maintenant, elle a les inflexions de leur père.

Quand ils se sont quittés, il y a vingt-cinq ans, il avait encore cette blessure toute récente. C’était après l’accident du travail. Il avait vite fallu enlever l’œil. Impossible à l’époque d’en apprendre plus sur cet accident. Carl restait mutique. D’abord un cri, puis des hurlements à n’en plus finir, c’est ce qu’avaient rapporté plus tard les autres soudeurs, les collègues de Carl. Quant à Carl, il se taisait sur son lit d’hôpital. Il y avait un reproche muet dans ce silence, et ce reproche était adressé à la vie ou peut-être aux lois sur l’immigration en Amérique. La première chose que signifiait la perte de cet œil, c’était la perte de son autorisation d’entrer sur le territoire américain. Ils avaient appris l ‘anglais ensemble, mais Carl allait se retrouver à Ellis Island avec une croix tracée à la craie blanche sur son épaule et il serait aussitôt renvoyé d’où il venait.

Dans ses premières lettres, Josef se contentait de dire à quel point la vie d’un immigrant était dure, à quel point les Allemands étaient mal aimés, à quel point la situation du travail était difficile et les loyers élevés. Et c’était effectivement le cas.

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