GrandMèreDixNeuf et le secret du Soviétique

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Luanda, capitale de l’Angola. Le jeune narrateur nous emmène dans la banlieue de la ville angolaise, implantée au bord de l’océan Atlantique, auprès de Grand-mère Agnette et de ses amis. Des Soviétiques ont été dépêchés sur place pour bâtir le mausolée dédié à l’ancien président Agostinho Neto. Le narrateur et ses amis surprennent les plans de la municipalité, qui compte raser les habitations du quartier pour en faire des logements flambants neufs. Quant à elle, Grand-mère Agnette a, contre toute-attente, noué des liens d’amitié avec l’un des officiers qui travaille dans le chantier.

Ondjaki

143 p.

Éditions Métailié

AvóDezanove e o segredo do Soviético, 2008

Ma Note

Note : 3 sur 5.

Quelque part, en lisière de la capitale de l’Angola, Luanda. Pays d’Afrique australe, l’une des anciennes colonies portugaises du continent, grandit notre jeune narrateur. Je vous emmène dans une histoire tout à fait, qui n’a rien de très remarquable, avec un titre qui est à la fois très succinct et, ma foi, assez terre-à-terre Je suis un peu dépassée par ce roman un brin inclassable, sans début véritable, avec une fin plutôt détonante. La littérature demande de faire des choix, et j’avoue très peu m’accorder l’occasion de lire les œuvres des auteurs des pays du continent africain, finalement. Choisir ce titre me donne l’occasion de casser un peu mes habitudes de lecture en m’ouvrant à d’autres horizons inconnus. D’autant qu’Ondjaki, Ndalu de Almeida de son nom, semble être l’un des noms à retenir dans le domaine de la littérature africaine, Wikipédia nous liste la liste longue comme le jour des prix qu’il a reçus ces dernières années.

Le titre quelque peu farfelu laisse deviner deux des personnages importants de l’histoire, cette GrandMèreDixNeuf du jeune narrateur, cette personne solaire, cette présence rassurante, chaleureuse, aimante à défaut de toute autre forme de parents, Et cet homme soviétique, cet officier, qui sous ses couches d’uniforme s’adapte à Luanda aussi mal qu’un homme du froid peut le faire sous des latitudes chaudes et ensoleillées. Un homme qui tente bien de ne pas fondre sous le soleil angolais, qui visite quelquefois cette grand-mère avec laquelle il a lié une amitié et une complicité impromptues. Au milieu de tout cela, j’ai parfois été prise de doutes, quant au véritable lieu qui abrite ce tableau. Entre la langue portugaise, issue de la colonisation passée, l’influence de Cuba qui s’est impliquée dans la guerre civile passée, ainsi que celle de feue l’URSS, aux côtés du MPLA, il y a bien des moments où je me suis demandée si j’étais dans la péninsule ibérique, sur le continent sud-américain. Un mélange improbable et détonant de langues de cultures très hétérogène. J’ai apprécié ce mélange qui m’a fait perdre des repères, j’ai découvert, sinon un pays, du moins une capitale marquée par les dernières traces de colonie portugaise, du communisme de Cuba et de son allié soviétique, qui ont largement soutenu la gouvernance d’après-guerre.

On entre, en un sursaut, dans la vie du jeune narrateur comme un cheveu tombe dans la soupe, au milieu d’une vie faite de jeux, de courses, parfois d’école, de siestes auprès de la grand-mère, de gouters improvisés au moyen de mangues pas tout à fait mures saupoudrées de gros sel, de la joie, de l’amitié, mais surtout beaucoup de pauvreté, ou l’électricité est un luxe envié et les quelques officiers soviétiques venus bâtir un mausolée à l’ancien président soigneusement momifié détonnent au moins autant que le crocodile de compagnie d’un des personnages. Ce décalage que représente ces soldats venus de cet est glacial sur fond de chaleur assommante prête souvent à sourire, d’autant que l’espèce de jargon russo-portugais qu’ils tentent de parler est bien souvent douteux, que leur nom aux consonnes, aux voyelles dures, sonne étrangement aux oreilles des enfants angolais aux noms chantants. On se gausse bien souvent face aux moqueries des jeunes qui tordent et détournent les noms russes dans tous les sens, on apprécie et on savoure cette joie de vie, cette énergie contagieuse, qui émane de ceux, qui évoluent pourtant dans un environnement peu favorisé économiquement. On hausse le sourcil lorsque on lit les conditions d’hygiène, de soin. On aspire et on imprègne ses poumons de la légèreté qui les entoure, qui empreigne les âmes, les vies, les rires, chaque moment de vie, jusqu’à l’écriture même de l’auteur lusophone. Jusqu’à ce que nous surprenne le son du détonateur de l’AK47. Derrière la lumière et l’eau, c’est aussi les signes immuables d’une guerre qui s’entêtent à resurgir, un mausolée qui vérole la sérénité plage pour abriter les restes d’AgostinhoNeto.

TroisQuatorze m’a jeté un regard de pitié. A PraiaDoBispo beaucoup de gens avaient pitié d’EcumeDeMer, je n’ai jamais bien compris pourquoi, pitié pourquoi?, quelqu’un qui va se baigner tous les jours en riant, en disant que l’écume est la chevelure blanche de la mer, quelqu’un qui parle cubain et sait tout des étoiles dans le ciel et des mathématiques de la valeur de Pi et même, qui sait, quelqu’un qui a un crocodile dans la niche du chien est probablement quelqu’un d’heureux et il n’y a que lui pour le savoir.

Le tout au milieu de la poussière en constante suspension, qui parsème ce coin de banlieue de Luanda, où l’azure océane et céleste et le soleil, la douceur du vent, la pluie rédemptrice se disputent l’attention de ses habitants, entaché des cerfs-volants colorés des enfants : on voit, on respire, on sent, c’est un roman qui se vit, la plume d’Ondjaki est démiurgique, on ne se lasse pas de sentir les effluves iodés de la mer environnante, des fruits exotiques qui foisonnent, des cris animales, de l’élan vital de ces enfants qui se moquent aussi joyeusement qu’ouvertement du soviétique et cette amitié invraisemblable avec cette grand-mère.

C’est un roman qui m’a fait sortir de mon paysage littéraire habituel, il m’a fallu quelques pages pour m’adapter au style d’Ondjaki, néanmoins c’est avec plaisir que je me suis laissée entrainée par le doux écho de l’océan et par l’énergie entrainante des rires des jeunes angolais et à l’envie de croquer dans cette mangue, pas tout à fait mûre, saupoudrée de sel.

C’était la façon du CamaradeBotardov, trois coups, un peu allongés.

-GrandMèreGnette, pouvoir ouvrir, c’est moi, Bilhardov. Pleuvoir beaucoup dehors.

-Dix ans qu’il est là et il n’a toujours pas appris le portugais d’Angola. Ces Soviétiques sont la honte du socialisme linguistique, a dit GrandMèreCatarina.

Tandis qu’il entrait ruisselant de pluie et serrait la main de GrandMèreAgnette, nous nous sommes assis sur les marches de l’escalier comme pour assister à une séance de cinéma.

-Botard, minine.

-Botard, comrad, l’avons-nous imité, sous le regard courroucé de GrandMère.

Là-bas, dans le pays du CamaradeBotardov, il doit vraiment faire très froid parce qu’il avait la mauvaise habitude de ne jamais quitter une grosse veste épaisse qui accentuait son odeur de sueur aigre, au point que si le vent soufflait dans notre direction, on savait que Botardov allait arriver.

-Enlevez-moi cette veste, on dirait un ours. Il ne vous manque plus que des griffes et un poisson cru entre les dents, rigolait GrandMèreCatarina.

Le CamaradeBotardov riait bêtement. Et regardait GrandMèreAgnette qui ne savait pas bien ou regarder. Nous ne partions pas de là, nous aimions assister à ces scènes comme si c’était un feuilleton en vrai.

-Pas boisson chaude?

-Un thé? a demandé GrandMèreAgnette.

-Ce qu’il veut, c’est un alcool. Dis-lui qu’ici ce n’est pas le bard de SenhorTuarles.

-Descolpe?

-Le portugais angolais de CamaradeBotardov était vraiment très drôle, mais nous avions réussi à le décoder. Il disait « descolpe » pour dire « desculpa » (pardon) quand il n’avait pas compris quelque chose, « minine » c’était « meninos » (enfants), et il aimait dire « botard », ce qui faisait partie des choses qu’il faisait ou utilisait.

Pour aller plus loin

Une source d’eau douce, ou une fuite intarissable, s’est ouverte au premier étage d’un vieil immeuble du centre de Luanda. Les habitants s’y retrouvent pour un moment de conversation et de repos. Ce sont des gens simples qui partagent leurs vies et leurs souvenirs, ce sont des personnages surprenants et complexes qui ont des désirs, des rêves, des peines. Ils racontent leurs histoires, la guerre, et pensent à l’avenir. Il y a Odonato qui a la nostalgie de la Luanda d’autrefois, il a cessé de manger pour laisser la nourriture à ses enfants et est en train de devenir transparent. Il y a Amarelinha sa fille, la brodeuse de perles, qu’aimerait approcher le jeune MarchandDeCoquillages, toujours accompagné du bruit de son sac de marchandise et de l’Aveugle qui le suit. Il y a MariaComForça, qui vend du  poisson grillé, et son mari le débrouillard qui monte une salle de cinéma sur le toit de l’immeuble. Le Facteur qui distribue ses lettres de protestation et réclame une mobylette à tous les représentants d’une autorité quelconque. Et Paizinho, le jeune garçon qui cherche à la télévision sa mère dont il a été séparé par la guerre. L’immeuble abrite aussi des journalistes, des chercheurs, des contrôleurs, tous intéressés par les richesses naturelles du pays et le développement de la grande ville africaine : pétrole ou eau potable, corruption ou bien public. Toutes ces histoires tissent la toile de fond d’une Angola en cours de transition brutale entre sa culture traditionnelle et la modernité. L’écriture d’Ondjaki, entre ironie tranquille et  critique intelligente, imagination poétique et habileté narrative, emporte le lecteur séduit dans cette aventure.

Dans un récit autobiographique plein d’espièglerie, Ondjaki évoque dans une langue alerte et savoureuse l’univers rocambolesque de l’Angola postcolonial. Le regard d’un enfant sur une réalité tragi-comique.

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