Le mal des ruines

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À l’occasion d’un retour sur les terres de sa famille en Corse, à Sainte-Lucie dans la Casa Zucarelli, le narrateur se remémore toutes ses années, tous ses étés, passés au sein du clan à profiter de la joie de vivre et de la sérénité que lui ont offert sa famille et la maison. Les bons comme les mauvais souvenirs lui reviennent à l’esprit, et le hantent, tandis qu’il retrace le fil de l’histoire de l’île et de ses traditions, de sa réputation et de ses habitants.

Claude Arnaud

126 p.

Editions Grasset

Ma Note

Note : 4 sur 5.

On délaisse les grands espaces Sibériens pour partir en Corse, au cœur de sa flore luxuriante. Si Proust avait la nostalgie de Combray, l’auteur évoque dans ce récit gorgé de soleil et d’amours – perdus – son île de beauté. Sa madeleine personnelle a seulement des dimensions un peu plus imposantes que le gâteau de Proust puisqu’il s’agit de la demeure familiale, le toit qui réunit autrefois toutes les branches de sa famille maternelle. C’est un musée dont les pièces sont soigneusement conservées par le socle de la mémoire de Claude Arnaud. Il y d’abord une vision idyllique et bucolique du pays corse, quasiment antique, et sûrement paradisiaque de ses paysages, de ses perspectives, de ses ruines, de ses vestiges, une île d’une beauté à couper le souffle, avec des descriptions qui sont à la hauteur.

Un bâteau de pêcheurs me mena jusqu’à un archipel de granit rose, en lisière des eaux sardes. Les Lavezzi, ces écueils qui rendent si périlleuse la navigation dans les bouches de Bonifacio, n’abritaient plus que les tombes des marins de la Sémillante et la carrière que les Romains exploitaient, sur l’île de San Baïzo. Des colonnes monolithes restaient entassées sur le rivage, attendant encore d’être saisies par les galères convoyant les marbres destinés aux villas du mont Palatin. La vie s’était brusquement arrêtée à la mort d’Auguste, mais je pouvais encore m’imaginer le vaisseau emportant l’ultime colonne, vingt siècles plus tôt.

Ce n’est pas seulement cette Corse de carte postale du touriste lambda qui se dévoile, ce n’est pas non celle de la vie quotidienne de l’habitant à temps plein, c’est l’Île de celui qui vient rafraîchir ses racines, chaque année, dont l’esprit, la personnalité sont fortement ancrées là-bas. Je n’ai jamais mis le pied en Corse mais j’en ai visité une autre, j’y ai passé du temps en famille, dont l’âme insulaire est aussi vivace et tenace qu’elle, la Sicile. J’ai ainsi laissé mes a-prioris de côté pour profiter pleinement de cette méthodique exploration aussi personnelle qu’historique et me suis laissée guidée par le regard plein de tendresse et d’affection de son hôte à demi-pension mais aussi critique et parfois, sans concession envers les comportements des insulaires.

Ce récit mélange ainsi les souvenirs personnels aux constatations plus prosaïques sur l’état et l’évolution de l’ile au fil du temps, il en profite pour démonter certaines idées préconçues, d’ailleurs il y a ce passage sur la Vendetta qui m’a beaucoup parlé, puisque c’est par la nouvelle éponyme de Maupassant sur la Vendetta que j’ai eu une première vision de la Corse. En parlant de clan, l’une des choses qui est particulièrement frappante, et qui ne fait pas mentir le cliché consacré, c’est cette vision du clan profondément ancrée dans l’identité de l’île, qui de par sa nature, favorise ce mode de fonctionnement. C’est aussi cet esprit de famille de la Casa Zucarelli à Sainte-Lucie, chaleureux, d’une convivialité effrénée, ou règne un esprit de fête, de partage et d’entraide, dans lequel s’est longtemps couvert l’auteur, qui fait toute l’âme de ce récit.

Les vendette n’ont plus cours depuis longtemps et le dernier bandit a été tué en 1934 alors qu’ils étaient encore une cinquantaine à tenir le maquis, dix ans plus tôt. Cacou a autopsié lui-même Castelli, qui se vengeait de quiquonque osait le dénoncer, après avoir tué un cousin lors d’une partie de cartes dans le couvent d’Alesani, et qui terrorisait depuis la Castagniccia voisine – une vrai machine à tuer, disait-on.

Ce qui m’a plu, c’est le caractère de cet auteur qui vogue entre anonymat parisien, que lui confère également la neutralité de ce nom de famille qui lui vient donc de son père, le calme neurasthénique de son quartier face à l’animation enjouée de la vie clanique en Corse. C’est une ambivalence, cette double-nationalité, qui peut-être permet à l’auteur de prendre le recul nécessaire pour parler de son île à travers ses attaches à Paris. Ce mélange d’influences qui est le sien, et qui ne fait donc pas de lui un Corse à part entière, lui permet d’écrire ce récit qui n’aurait eu aucun sens et sans doute aucun caractère sans cette dualité, qui est la sienne.

Ce Français insulaire, à quelle éspece appartient-il? Parisien en Corse et Corse douteux à Paris, il éprouve un imperceptible sentiment d’imposture.

S’agissant d’un récit à tendance autobiographique, c’est la vie ponctuée de drames d’un homme à la sensibilité exacerbée que nous entrevoyons aussi à travers ses souvenirs bien souvent heureux, mais quelquefois profondément tragiques et désespérés. Chaque famille a ses drames, et ceux de Claude Arnaud sont indissolublement liés à cette île, qui a vécu à certains moments de son histoire la tragédie comme un quotidien et porte son deuil en étendard. C’est un homme que l’on a bien envie de découvrir plus avant à travers ses récits autobiographiques Qu’as-tu fait de tes frères ?, Je ne voulais pas être moi ou encore Brèves saisons au paradis, tous publiés par la maison d’édition Grasset.

C’est en définitive un beau moment que l’on passe qui s’apparente à la fois à un album de photos que l’on feuillette, à un livre d’histoire que l’on bouquine, un journal que l’on compulse, un journal intime que l’on déchiffre, à un guide du routard chevronné dont on s’est équipé pour découvrir le pays corse. L’auteur donne les clefs à ceux, beaucoup d’entre nous j’imagine, qui ne les ont pas forcément pour comprendre cette ile dotée d’un fort esprit traditionaliste, qui ne s’ouvre pas forcément facilement aux continentaux. En tout cas, cela m’a permis de comprendre un peu mieux les traits de cette île au caractère indomptable et de ses habitants.

J’ai beau arborer des boucles brunes qui feront de moi son sosie jusqu’à l’âge de vingt-deux ans, je suis le moins corse de la fratrie, d’apparence. Enfin je l’étais jusqu’à l’arrivée du petit Jérôme, doté je ne sais comment de magnifiques cheveux blonds : Pierre a la tignasse drue et noire des Zuccarelli, leur air sombre et contrarié qui soudain s’éclaire, et Philippe affiche une allure de fakir. Mais les échanges que les frères de mon grand-père mènent en corse, dans le village voisin de Sermano, avec un accent à couper au couteau, s’impriment profond en moi. Les Zuccarelli n’usant à Sainte-Lucie que du français, ils me confirment l’existence d’une autre façon de penser, à la fois proche et inaccessible, le corse ne s’apprenant que par imprégnation. Leur langue auréole d’une authenticité mystérieuse ces patriarches à la voix rauque ; ils semblent habiter une géographie plus intègre encore que la nôtre, plus ancienne aussi, quand je les entends dire d’un de nos voisins : « U so cuginu carnale hà u figliolu di a nostra zia Catalina… » (Son cousin germain est le fils de notre tante Catherine). Ils accueillent mes questions sur le sens du mot carnale avec une pointe d’ironie affectueuse, comme si je débarquais d’un îlot lointain et abordais enfin le vrai Continent: mes remarques de rat des villes les amusent par leur candeur. Je me fais un peu plus insulaire que je ne le suis pour me rehausser, mais je dois m’avouer vaincu quand ils me demandent, l’air faussement benoît et avec une assurance à toute épreuve : Tu ne t’ennuies pas trop, à Paris?

Pour aller plus loin

Genève, années soixante-dix. Un jeune homme, Paul Niemans, va consulter une autorité en gastro-entérologie, le professeur Zahner. Le diagnostic : manque du sens de la réalité, immaturité, flottement de l’être. Le médecin propose à son patient une cure à Tirana, Albanie, où il se rend régulièrement au chevet d’Enver Hodja, le dictateur du dernier des pays communistes. Nous voici dans la fable. Nous voici en Albanie en 1976, lors du Congrès international des partis communistes. L’Albanie : un concentré de névroses, un minuscule bout de terre qui se fâchera avec l’URSS et la Chine, où l’on n’a le droit ni de prier, ni de parler, ni de croire. L’Albanie sera pour Paul Niemans une Suisse à l’envers. Chacun des personnages sortira changé de cette valse en costume kaki, à la fois comique et effrayante, comme si au pays de toutes les interdictions ils avaient entrevu la liberté ; et l’auteur de ce premier roman tente de nous faire rire avec l’histoire de nos erreurs.

Il avait passé sa vie à vouloir être d’autres, à emprunter l’identité de ses frères puis de ceux qu’il aimait. Ayant surmonté la mort de sa mère et le suicide de son aîné, vécu avec un homme puis un autre, il  pensait s’être trouvé. Mais son monde vole en éclats lorsqu’un deuxième frère disparaît en mer et que son père meurt. À tout juste quarante ans, Claude Arnaud devient le patriarche d’une famille de fantômes.
La découverte d’Haïti et l’amour retrouvé, auprès d’une femme, lui permettront de reprendre goût à la vie et d’ordonner enfin, par l’écriture, les morceaux de son existence.
L’histoire de cette renaissance est universelle : elle interroge ce qui, en chacun de nous, subsiste quand tout s’effondre.

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