Pureté

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Sofia, Bulgarie. Le narrateur enseigne à l’American College et pendant son temps libre se promène dans la capitale. Il entretient des relations, certaines uniquement sexuelles, d’autres amoureuses, notamment avec R. un étudiant portugais, ou d’autres hommes rencontrés au gré de ses errements sur Internet. Il y fréquente aussi à l’occasion ses élèves, auxquels il enseigne la littérature américaine, dans des bars.

Garth Greenwell

288 p.

Editions Grasset

Cleanness, 2020

Ma Note

Note : 3 sur 5.

Pureté, c’est bien un titre que je n’aurais donné à un roman tel que celui-là. Garth Greenwell, l’auteur américain, s’est visiblement inspiré de sa vie personnelle, puis il a lui-même passé quelque temps à Sofia, en Bulgarie, pour ce que l’on nomme dans un franglais indolent, une masterclass d’écriture, il y a également enseigné, tout comme son double littéraire, à l’American College of Sofia, réputée pour être la plus ancienne institution américaine d’enseignement au-delà des frontières de l’oncle Sam. Qu’on se le dise franchement, cette histoire de professeur américain enseignant dans un pays qui m’intrigue, la Bulgarie, m’a immédiatement transmis l’envie de lire ce roman, ce n’est pas si souvent que cette capitale soit au cœur du souffle créateur des auteurs américains, européens ou d’ailleurs.

Pureté est vraiment un roman particulier et dans lequel je suis rentrée avec difficulté : le livre se divise en chapitres, de longueur inégale, et le premier est à mon sens le plus laborieux. Le narrateur évoque ainsi quelques mois de sa vie à Sofia, sa vie de professeure, mais également sa vie intime et sa vie très intime, entendez par là, sa vie sexuelle, dans les moindres détails, totalement superflus. Car le deuxième chapitre se veut totalement différent du premier, le narrateur nous octroie le privilège d’assister à la relation purement sexuelle, qu’il entretient le temps de quelques heures avec un inconnu rencontré sur le world wide web. Cette relation dont l’auteur prend soin de nous détailler toutes les perspectives de leurs corps, de leur moindre tressaillement, et dans un souci d’exhaustivité, s’étend littéralement des pages. De longues pages, ou l’on apprend que notre homme apprécie les jeux à tendance masochiste, et plus si affinité. Des passages érotiques, on en trouve plein les romans, des séquences plus ou moins bien composées et amenées. Ici, je n’ai trouvé absolument aucune beauté dans ces descriptions disséquées de l’acte, ou peut-être que justement la poésie se cache dans cette brutalité, cette violence, cette absence d’agrément, rendant la férocité de cette sexualité musclée encore plus rude. Certes la sexualité n’est pas faite pour être belle, nous sommes d’accord, mais l’auteur aborde ici des points particulièrement dérangeant, notamment sur l’humiliation subie par celui qui est molesté dans cette relation SM. J’imagine, et j’accorde, que cela puisse plaire ou même provoquer une forme de désir chez autrui, je n’ai quant à moi pas été sensible à ces scènes, qui n’en finissent pas.

En revanche, le narrateur, déambulant dans les rues de Sofia, nous montre une ville fascinante à la lumière de son regard d’étranger, il y dépeint un portrait tout en contrastes en allant chercher le cœur de la réalité sofiote et bulgare, en y débusquant les traces encore imposantes de son passé, en allant recueillir la pensée de ceux qui l’habitent au quotidien. Une ville pleine de lumière, de joie de vivre, dans un pays qui reste encore dans les mains d’un gouvernement, largement perverti par les clans mafieux hérités du communisme, et enclavé dans un esprit traditionnaliste encore très marqué. J’ai eu l’impression de pénétrer dans cette Bulgarie mystérieuse, bien souvent délaissée des itinéraires touristiques, mais que le narrateur a choisi, d’ailleurs la remarque lui ait faite sans qu’il n’y apporte vraiment de réponse claire, hélas. Au-delà de ça, j’ai apprécié les retranscriptions des témoignages désabusés sur ce qu’est devenu le pays après sa libération du joug soviétique en 1989. Car même s’il y a eu des pays qui sont parvenus à aller de l’avant, la Bulgarie fait partie de ceux, et ils sont quelques-uns, qui sont restés bloqués dans un simulacre de démocratie, gangrénée par le népotisme et le clientélisme.

Vizh, fit-il, regardez, je les comprends, c’est impossible de vivre une vie normale en Bulgarie, je veux dire, si vous voulez obéir aux lois, payer vos impots, vous pouvez pas survivre ici en étant honnête, il y a que les criminels qui survivent.

Sans parler de cette nostalgie du communisme. La Bulgarie n’est pas que cela, car l’auteur amène également à travers la voix de ce professeur américain et surtout à travers celles de ses élèves bulgares la question de son identité actuelle ; Il y a ce passage éloquent ou l’une se plaint de n’être dans un pays invisibilisé aux yeux du monde, confiné entre plusieurs grandes puissances, et que tous les symboles forts qui justement constituait son identité commencent à être vieillissants. Et j’ai sans aucun doute apprécié qu’il livre à son lecteur cette vision unique et spirituelle du pays que sans lui, nous serions passés à côté : Bulgaria na tri moreta, cette Bulgarie des trois mers, l’époque ou le pays englobait la Thrace. Enfin, puisqu’il n’y a personne de mieux placé que le narrateur pour en parler, le mouvement lgbt encore bien en marge de la société, et ce n’est pas la paire de drapeaux arc-en-ciel qui flottent au milieu des autres manifestants qui va arranger cela. Cet obscurantisme me fait penser par bien des égards à la situation des lgbt en Russie, pire en Géorgie, ou ils sont pourchassés et tués.

Le dernier reproche que je ferai au roman, avant d’en finir, c’est ce manque de cohésion entre les chapitres, qui ne sont pas vraiment reliés entre eux, une transition aurait été la bienvenue pour que l’ensemble ne se transforme pas en un corps de texte confus. Je suis donc très partagée sur ce roman qui contient parallèlement de bien jolis moments à travers les rues de la capitale bulgare et des pages ou l’auteur s’est perdu dans les dédales de scènes salaces interminables et franchement pas indispensables. C’est finalement un roman qui me laissera assez tiraillée, mais Garth Greenwell a su donner un avant-goût si suave de la Bulgarie qu’il compense largement certaines lourdeurs.

Mais c’est pas sérieux, dit-il, esquissant un geste de la main en direction du grondement de la circulation sur le boulevard qui conduisait au centre, bien sûr que c’est pas sérieux, si ça l’était, on participerait, nie shofyorite, nous les chauffeurs de taxi, voulait-il dire, on bloquerait les rues comme on l’a fait à l’époque des Changement, dit-il, sous-entendu en 1989, quand le communisme est tombé, on était fiers, on était organisés. J’étais jeune à l’époque, c’était une période merveilleuse. J’aurais pu partir, dit-il, j’aurais pu aller n’importe ou, Europe, Amérique, mais je voulais pas partir, je voulais rester ici. On trouvait que c’était l’endroit le plus excitant, on pensait qu’on ferait quelque chose de notre pays, on avait tant d’espoir, vous comprenez, on sentait tout cet espoir parce que, enfin, on était libres. Libres, dit-il, puis il tira fort sur sa cigarette, se tourna vers la fenêtre pour souffler la fumée loin de moi, on pensait qu’on ferait quelque chose de nouveau mais on n’a rien fait. Ce sont les mêmes enfoirés, dit-il – le mot qu’il utilisa était neshtastnisi, le sens littéral est quelque chose comme malheureux ou malchanceux, les fâcheux – c’est les mêmes enfoirés qui ont pris la relève.

Pour aller plus loin

Deux hommes se rencontrent. L’un est un intellectuel américain, professeur en exil à Sofia ; l’autre, Mitko, est un jeune Bulgare insaisissable. Leur relation se place immédiatement sous le signe du désir. Du décalage de culture et de classe, aussi. Le narrateur évoque les fragments d’amour de son existence : du lien brisé avec le père au troublant Mitko. Dans un style époustouflant qui rappelle Hervé Guibert, Garth Greenwell révèle les errances du protocole passionnel, dans une quête absolue de vérité et de précision. L’histoire d’un amour se double alors d’une réflexion sur l’identité, sur ce qu’il nous appartient d’oublier ou de regarder en face.

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