Migrations

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Nous voilà dans un monde où tous les animaux sont sur le point de disparaître, où le hareng est pratiquement épuisé, où les singes n’existent plus à l’état sauvage. Franny Stone s’est rendue au Groenland, elle cherche un bateau dans lequel elle pourra s’embarquer afin de suivre la migration des trois sternes arctiques, qu’elle vient juste de baguer, vers l’Antarctique. Elle réussit à convaincre le capitaine du Saghani, Ennis Malone. Au fur et à mesure de leur progression, le lecteur découvre le passé tumultueux de Franny, Après une escale forcée à Terre-Neuve, au cours de laquelle l’équipage apprend que la pêche professionnelle est désormais devenue interdite, Franny repart seule avec le capitaine pour reprendre sa quête des sternes.

Charlotte McConaghy

271 p.

Editions J.C. Lattes

Migrations, 2020

Ma Note

Note : 4 sur 5.

Voilà un roman qui tranche agréablement avec toutes mes lectures actuelles et qui m’a apporté un vent de renouveau rafraîchissant aux odeurs d’embrun, aux clameurs des goélands et d’un océan déchaîné qui se brise sur la coque du chalutier. Pas seulement. Il y a aussi de ces nausées terribles provoquées par le bouillonnement des vagues, de la raideur de la collision avec ces icebergs. C’est un premier roman choc de l’auteure australienne Charlotte McConaghy, qui met au premier plan son attachement au monde animal, cette menace d’extinction qui pèse de plus en plus sur lui, ainsi que cette peur de tout voir basculer et disparaître irrémédiablement, tout en explorant le thème fort de l’ancrage familial à travers celui du voyage.

C’est un roman qui sonne comme un avertissement terrible avant que l’irréparable n’arrive, puisque l’auteure en a presque fait une dystopie : Nous sommes dans un monde ou presque tous les animaux sont sur le point de disparaître, le loup gris, par exemple, n’y est représenté que par un dernier individu miraculeusement découvert, les poissons ont été péchés massivement et ne sont guère visibles qu’à travers de rares bancs. C’est un monde, pas si dystopique au fond, qui s’apprête dangereusement à être le nôtre si nous continuons aveuglément dans la voie que nous avons prise. Charlotte McConaghy construit une histoire d’amour, celle de Franny et de son mari Niall, avec ses drames, les responsabilités de chacun au sein de ce monde en mauvaise posture. Et surtout, l’auteure australienne reconstitue une Franny, issue d’une famille déchirée entre Australie et Irlande, qui recherche désespérément des survivants, ce qui lui rester encore, car tous comme les oiseaux qu’elle va suivre, elle semble être la dernière représentante d’une famille anéantie par la vie et l’homme.

Tout le monde est au courant de l’extinction de masse. Cela fait des années que les programmes d’informations font l’inventaire des habitats irrémédiablement détruits et des espèces déclarées en danger, puis éteintes pour de bon; Il ne subsiste plus de singes à l’état sauvage, ni chimpanzés ni gorilles ni orangs-outans ni aucun des animaux qui vivaient jadis dans les forêts tropicales. Personne n’a vu de félins dans la savane depuis des années, ni aucun autre des créatures exotiques qu’on pouvait autrefois apercevoir en safari.

L’histoire de Franny est totalement liée à ces animaux qui disparaissent, mais encore plus aux oiseaux, car c’est à travers eux qu’elle a fait la connaissance de celui qui sera son mari, ornithologue de renom. Lui est un homme bien planté sur sa terre, sa nature à elle au contraire est semblable à ces oiseaux migrateurs, il faut qu’elle se déplace pour survivre, qu’elle voyage d’un bout à l’autre du monde, elle ne peut pas se fixer. Peut-être est-ce dû à son identité qu’elle partage entre ses ancêtres irlandais et cette Australie où elle a grandi, peut-être à l’éclatement de sa famille, Franny après la mort de sa mère est partie migrée à l’autre bout de la planète, peut-être est-ce sa nature profonde aussi. Comme ces Sternes arctiques qu’elle va poursuivre jusqu’en Antarctique.

C’est à rebours que nous prenons connaissance du drame de Franny, alors même qu’elle s’est mise en tête de poursuivre les déplacements migratoires des oiseaux, qu’elle a bagués en Arctique, au fur et à mesure de son périple en mer dans un bateau de pêche, ou elle a fini par se laisser accepter. Parmi les meilleures pages, on compte celles ou elle apprend à faire connaissance avec l’équipage de marins du Saghani, où elle s’initie à leur activité journalière sur le bateau, à nouer des relations presque intimes avec eux, à comprendre cet attachement avec la mer qui peut les pousser à prendre la semaine pendant de si longues semaines, et surtout elle qui combat contre l’extinction des animaux, ce qui les pousse eux à dépeupler les océans de ses derniers océans. Malgré une inimitié réciproque, Franny devient part entière de cet équipage en s’intégrant peu à peu dans cette drôle de vie de famille, l’intimité n’existe plus, ce qui pour une déracinée comme elle, est une nouvelle expérience.

Franny qui aime par-dessus tout bourlinguer, c’est un voyage initiatique qu’elle accomplit là, autant sur le plan physique que psychologique, s’initiant à une vie nouvelle. Celle qui prend la mer totalement éteinte est devenue une autre femme, assumant ses erreurs, en choisissant une direction dans sa vie, qui l’amène bien au-delà de ce qu’elle pensait arriver. En plus de vivre et respirer sur le pont du navire avec elle, nous nous prenons au jeu de cette course après les sternes arctiques, ou après cette pêche en or à laquelle rêve le Capitaine, qui portent finalement l’espoir d’un avenir encore possible pour le monde animal, pour l’humanité ou pour leur propre avenir.

Ce roman m’a apporté une bouffée d’oxygène salutaire, depuis ce Groenland glacial aux mers déchainées et solitaires, même si c’était là était tout sauf une croisière de plaisance qu’a effectué là la jeune femme irlandaise, qui a passé le filtre des tempêtes, icebergs et autres obstacles naturels, J’ai profité avec plaisir de ces paysages, de ces grands espaces, qu’a su décrire l’auteure, en même temps que j’ai appris à connaître Franny ainsi que les raisons profondes de sa propre migration. Même si les animaux sont en voie de disparition dans ce roman, tout n’est pas entièrement noir, et l’auteur nous laisse, ainsi que ses personnages, avec un dernier espoir, surement faible, néanmoins bien présent et tangible.

Mais bien sûr, il n’y aura plus de voyage pour moi après celui-ci, plus aucune exploration possible. C’est peut-être la raison pour laquelle je me sens soudain si sereine. Toute ma vie n’aura été qu’une longue migration sans destination, autant dire une migration qui n’avait aucun sens. Je pars toujours sans raison, juste pour être constamment en mouvement, et cela me brise le cœur en mille, dix mille morceaux. Quel soulagement d’avoir enfin un but. Je me demande comment je me sentirai quand le moment viendra. Je me demande ou on va quand on part, et si quelque chose vient avec nous. Mon idée, c’est plutôt qu’on ne va nulle part et qu’on ne devient rien. Cela ne serait pas si triste si cela ne signifiait pas que plus jamais je ne reverrais Niall. On nous donne tous si peu de temps à partager ensemble qu’on pourrait se demander à quoi bon, mais en même temps, le peu qu’on a est précieux, et peut-être même juste assez. C’est une bonne chose que notre corps se fonde ensuite avec la Terre, histoire de lui rendre l’énergie qu’elle nous a donnée en nourrissant les insectes et en fertilisant le sol. Ce n’est peut-être pas un mal que notre esprit soit enfin au repos. Du moins, cette idée m’apaise.

Quand je serai partie, il ne restera plus rien de moi. Pas d’enfant pour transmettre mon génome, pas d’œuvre d’art pour rappeler mon nom au monde, aucun écrit, aucun grand accomplissement. Rien que du silence, et l’achèvement d’une petitesse telle que ce sera comme être invisible. Comme un point Nemo humain, à jamais loin de tout, éternellement inexploré.

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