Léonid doit mourir

#blog-littéraire #chronique-littéraire #littérature-russe #leonid-doit-mourir #agullo-editions #dmitri-lipskerov

1964. Léonid, encore blastocyste dans le ventre de sa mère Ioulia Lartséva, se met à raisonner comme un adulte et commence à experimenter la vie à travers cette grossesse. Mais Ioulia meurt alors que Léonid nait, et du fait de l’absence de père, il est envoyé en orphelinat. Il s’y échappe à l’adolescence, épouse une autre orpheline et commence une vie d’aventurier.

2005. Angela, 82 ans, ancienne snipper, qui a vécu une vie exemplaire, souhaite retrouver sa jeunesse ainsi que sa beauté et se décide à consulter un médecin, qui mène des experiences quelques peu illégales dans le domaine, depuis quelques années.

Rien ne devait mener à ce que les deux personnages se rencontrent. Mais tout peut arriver chez Dmitri Lipskerov.

Dmitri Lipskerov

448 p.

Agullo Editions

Леонид обязательно умрёт, 2006

Ma Note

Note : 4 sur 5.

Retour en littérature russe avec la découverte, me concernant, de l’auteur Dmitri Lipskerov à travers ce titre Léonid doit mourir. Ce roman est tout bonnement un petit bijou d’excentricité et d’absurdité, d’ironie grinçante, sur fond de désillusion. Merci encore à Agullo Editions de m’avoir transmis de ce titre, publié en janvier dernier. Dmitri Lipskerov est lauréat du prix des Imaginales 2019, consacré à la littérature fantasy, et incarne selon Le Matricule des Anges « une imagination toujours débridée au service d’une satire féroce »..

Un fœtus qui a la capacité d’échafauder une réflexion, s’exprimer et se fâcher contre sa mère, une mamie de 82 ans sniper qui carbure au tir, Lipskerov a à l’évidence choisit de prendre quelques libertés avec la réalité, et ce fut, ma foi, une idée réussie quoique loufoque. Leonid et Angelina, leur destin, très différent, vont brièvement se croiser, qui seront, mais finiront bien par se rejoindre. C’est un long fil biographique qui va amener le lecteur à comprendre l’originalité des êtres qu’ils sont et deviennent par la force des choses. Depuis la grande guerre patriotique jusqu’à nos années de ce XXIe siècle ou une partie non négligeable de la médecine est dévolue à la conservation de la jeunesse à tout-prix. Autant dire que l’on traverse une grande partie de l’empire soviétique puis de la Russie à travers les vies insensées de ces deux phénomènes.

Dmitiri Lipskerov est de ces écrivains qui a recours au grotesque, au fantastique pour se détacher d’une réalité sombre et peu joyeuse, pour en mieux dénoncer l’absurdité. J’ai pris un réel plaisir à suivre l’évolution de cet embryon pensant et virulent dès le début, limite hargneux, coincé dans le ventre de sa mère, qui deviendra Léonid: ce sera un enfant autant qu’un homme hors-du-commun. Cette absurdité, qui prête à rire, contrebalance en effet une réalité infiniment glauque, d’un enfant a priori bien mal parti dans la vie, qui va passer ses premières années à l’orphelinat du coin. Mais Léonid n’est que le reflet d’une société soviétique totalement déconnectée, ou chacun n’est plus que le membre désincarné d’une armée qui l’est autant: désormais plus capable de comprendre les besoins basiques et primordiaux des siens, même pas les pleurs d’un bébé en recherche de la chaleur maternelle. Marche ou crève: Léonid est bien heureusement doté d’une force peu commune, surhumaine, qui lui permet de traverser le semblant de vie en totale exclusion du système. Mais il faut être un Léonid pour oser affronter en toute impunité les rouages du système russe aussi bien que soviétique: lui seul survole tout, mais la chute est bien rude. Car Léonid possède cette âme de dictateur que les russes connaissent si bien, il décide, choisit, prend, vole, sans se soucier du consentement de son prochain. A l’opposé de Léonid se pose Angelina, qui a tout pour se poser en parfait modèle soviétique, d’ailleurs elle en est recouverte de médaille, la seule reconnaissance que le pays peut bien lui décerner. Aussi vite qu’il peut lui enlever, à la moindre erreur.

Tout cela se prêterait à rire si derrière cette façade ne se cachait pas une vérité cruelle : celle de régime écrasant et destructeur, qui a laissé les orphelins pourrir dans des immeubles immondes, où toute forme de chaleur et d’empathie humaine fait défaut. Un système qui laisse et oublie ses enfants derrière des murs, qui ne veut que des braves soldats, qui réagissent comme tel, sans sentiment, sans pitié, des machines, à tirer, à tuer, à agir – sans laisser de place à la réflexion. Mais ce n’est pas Léonid, Léonid vit hors-système, Léonid vit pour lui, en aucun cas pour l’URSS, pas pour la Russie, Léonid doit mourir. Angelina incarne ce soldat parfait, le meilleur tireur d’élite que le pays ait connu, mais Angelina vieillit et elle ne devient plus qu’une femme parmi tant d’autres.

L’auteur russe a choisi ainsi deux personnages extrêmes dans ce qu’ils sont, un modèle, un anti-modèle à travers une histoire abracadabrantesque qui tranche avec son fond profondément réaliste. Celui d’une république socialiste, puis d’une nation, qui contraint ses individus à rentrer et vivre dans le moule qu’elle a préfabriqué, celui du brave camarade soviétique, prêt à se sacrifier pour sa patrie. Si l’on apprend bien une chose à travers le destin de nos deux personnages, c’est quoi que vous puissiez faire pour la mère patrie Russie, la moindre erreur se paie très cher.

J’ai effectivement ri quelquefois, je crois que lire les grognements intempestifs d’un fœtus est une expérience tout à fait inédite pour moi. Mais aussi parce qu’on retrouve toute une galerie de personnages qui s’inscrivent dans la lignée des plus grands portraits russes, des caricatures, que l’on retrouve forcément lorsqu’on s’aventure dans un roman russe : le vieil ingénieur célibataire frustré, fier de son rang, mais qui vit en solitaire farouche. Les gradés violents et autoritaires qui n’hésitent pas à y aller de leur dénonciation, faire condamner leur collègue. Le revanchard. La matrone gradée. On retrouve dans le monde de Lipskerov un savant mélange des maux de cette Russie moderne – ou la jeunesse est devenu le rêve ultime et de cette Russie – ponctués de repères et de valeurs, qui au fond, ne valent rien dès lors qu’on sort des sentiers battus soviétiques.

Quant à l’embryon, qui avait déjà pris ses aises dans l’organisme maternel, il se fichait éperdument de son géniteur fusillé : un nul à la vie, disparu comme il méritait dans le néant. Les cellules du fœtus continuaient de se diviser à une vitesse folle ; son système nerveux se formait déjà, tandis que sa matière grise atteignait le volume d’une cervelle de poisson. Sa mère lui causait de fréquents agacements, surtout quand elle s’évertuait à dialoguer avec lui.

On sourit plutôt que de pleurer, car derrière ces dessous grinçants se cache une violence inouïe qui a atteint les individus et qui ne s’en rendent même plus compte, dépassés comme ils le sont par la société dont les repères ne cesse d’évoluer, de changer ou les mérites d’hier sont esquissés par le temps. Lipskerov a écrit là un roman parfois déroutant – le fantastique ne facilite pas clairement le sens du roman – mais captivant, car sa plume possède ce charme, après, cocasse russe qui nous fait tant aimer la littérature russe. Et comme il le dit si bien dans une interview, tout ne peut pas être toujours rentré dans une case, et c’est bien pour cela que j’ai apprécié Angela et Leonid.

« On passe son temps à me comparer à des tas de célébrités historiques. Au jour d’aujourd’hui, ça m’en fait environ 70. … on essaie de fourrer ce que je fais dans je ne sais quelles grilles… (mais) j’écris parce que je ne peux pas faire autrement. » Dmitri Lipskerov, Extrait du site Etonnants Voyageurs

Leonid Pavlovitch Sévertsev passa les sept premiers mois de sa vie dans un orphelinat, et l’on ne saurait dire que ce laps de temps permit au nourrisson de se familiariser heureusement avec le fait d’être un enfant.

Pour commencer, lorsqu’on l’installa dans la chambrée ou quinze orphelins nouveau-nés braillaient sans cesse, exécraient par automatisme et réclamaient à manger vingt-quatre heures sur vingt-quatre, Léonid n’eut pas moyen d’éprouver autre chose qu’une irritation inhumaine. Après le silence relatif du sein maternel, après avoir pu gouverner l’organisme de sa mère et – c’était là le plus important – méditer sur le caractère éphémère de l’existence chaque fois qu’il en avait envie, le nourrisson avait perdu tous ses privilèges en une heure, pour devenir membre d’un collectif, obligé bon gré mal gré d’exister selon les lois communes.

Comme les autres mioches, le petit Léonid excrétait malgré lui, souffrait d’une faim permanente et hurlait à pleins poumons, faute de réussir à s’en empêcher malgré tous les efforts de sa volonté.

Au cours de ses rares instants de contentement physiologique, Léonid réfléchissait: Pourquoi je hurle ? Parce que c’est complètement ignoble de ne pas pouvoir retenir ses matières fécales ou son urine. Cela me détraque les nerfs et je ne peux pas retenir non plus mes cris hystériques.

Pour aller plus loin

Ilyassov le Tatare est un vieux vendeur de poissons solitaire et mutique, dont les seuls confidents sont ses chers silures. Il vit dans le souvenir de la belle Aïza, son unique amour, qui s’est jadis noyée sous ses yeux. Or par une nuit d’hiver, Ilya se transforme en poisson, première d’une série de métamorphoses qui lui rendront brièvement sa bien-aimée.


De son côté, l’inspecteur Sinitchkine est chargé d’enquêter sur la disparition d’Ilya. Mais il est bien plus préoccupé par ses cuisses qui enflent, enflent, enflent… comme si elles s’apprêtaient à enfanter.


Entre onirisme et farce grotesque, le destin croisé de ces deux hommes unis par un étrange lien magique fait surgir une ronde fantasque de multiples personnages, tantôt tragiques, tantôt cocasses, parfois les deux.

Un beau matin, l’honorable Arseni Andréiévitch Iratov, célèbre architecte de cinquante ans dont le parcours rappelle celui d’un Rastignac soviétique, se réveille pour découvrir qu’il n’a plus de sexe. L’outil le plus essentiel de son anatomie a tout simplement disparu, ne laissant qu’une fente sur un bas-ventre désormais lisse. L’organe perdu réapparaît dans un petit village, où vivent une gamine de treize ans et sa grand-mère alcoolique. Le pénis a pris l’apparence d’un gnome, qui se transforme rapidement en beau jeune homme au visage angélique. La jeune fille décide de le garder comme animal domestique, avant d’en tomber amoureuse, de lui donner un nom français (Eugène) et de l’aider à réaliser son rêve: retrouver son propriétaire Iratov.

Avec L’Outil et les Papillons, Dmitri Lipskerov entraîne le lecteur dans un carnaval fantastique échevelé, démoniaque et absurde, une variation hilarante sur Le Nez de Gogol.

Laisser un commentaire

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑