Rien pour elle

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Rien pour elle est l’histoire d’une femme qui traverse la vie en se battant comme une gladiatrice. Depuis les années de guerre et les bombardements qui s’abattent sur Rome, jusqu’aux mutations des années 1990, en passant par les années de plomb, Rome est le décor dans lequel évolue Tullia, une de ces invisibles héroïnes du quotidien, figure modeste et forte à la fois d’un sous-prolétariat urbain. Élevée par une mère mal-aimante qui fait travailler ses enfants comme des esclaves dès leur plus jeune âge, Tullia prend un jour son destin en main en quittant ce milieu familial tyrannisé par la mère. Mais quel destin !

Amoureuse des mots, animée par une volonté farouche de survivre et de s’en sortir, Tullia endurera les épreuves d’une vie de misère et de labeur au milieu de luttes syndicales et de révolutions culturelles qui l’effleurent à peine. Le courage, la force, la dignité de Tullia en font un témoin curieux et passionné de la vie de la capitale à travers cinquante ans. Lire Rien pour elle, c’est comme regarder l’histoire défiler par la fenêtre : impossible de ne pas y voir un reflet trouble de nous-mêmes.

Laura Mancini

278 p.

Agullo Editions

Niente per lei, 2019

Ma Note

Note : 3 sur 5.

Si d’aucuns excellent à truffer leur récit de rebondissements en tout genre, du plus attendu au plus invraisemblable, sur une trame historique riche et variée, il reste encore des romans qui au contraire ne s’appuient guère que sur quelques éléments donnés, mais amplement exploités, pour avoir une réelle consistance. Vous l’aurez deviné, c’est le cas de Rien pour elle, premier roman de l’auteure italienne Laura Mancini, publiée par Agullo Éditions. À l’opposé du titre, le récit est entièrement dévoyé à la protagoniste principale, Tullia, point central de la focalisation.

Chaque chapitre correspond à une année de la vie de Tullia, dont l’existence commence six années avant le début du roman, en 1937 donc. On trouve parfois deux chapitres dévolus à la même année ; la vie n’est pas vraiment simple pour cette fille aînée d’une famille pauvre de plusieurs enfants dont la mère la prend volontiers, et assez méchamment, à parti régulièrement. Envoyée au turbin dès l’âge de dix ans, arpentant sans fin les rues interminables de la capitale italienne pour vendre ses accessoires de coiffure aux artisans postés dans leur échoppe. Car le monde n’aura jamais assez de bigoudis pour entretenir ses têtes permanentées. La peau cuirassée, le caractère forgé par une enfance dans la rue, endurci par les sautes d’humeur et la versatilité hargneuse d’une mère froide et indifférente, qui a vite fait de se désolidariser de toute attitude maternelle envers elle, c’est par elle-même que Tullia part construire sa vie. Dans les ménages, le blanchissage, l’échine courbée, l’honneur droit. Loin de ce qui lui servait de cerce familial. Mais toujours à Rome, cette ville même ou l’on peut vivre mille et une vies. C’est ce que les notables romains qualifieraient de petite vie, dans un petit immeuble, n’ayant guère plus devant elle que les trois sous qui lui servent à s’acheter de quoi sustenter sa fille d’abord et elle-même ensuite. Parce que c’est une fille-mère dans un pays et une époque très traditionalistes, la version de chaire et d’os du Dieu catholique ne résidant après tout qu’à quelques kilomètres d’elle, et où le meilleur rôle est encore dévolu à cet autre père, celui de sa fille, qui ne souhaite pas assumer le fruit de ses ébats.

Dès le début, c’est-à-dire dès les six ans de la fillette, on comprend de quel bois est fait son caractère, sa force, sa stabilité, sa volonté, sa résistance, irréductibles. C’est une herbe folle qui a grandi hors des clous et que la mère ne saura pas emporter dans sa folie : cette conscience des défiances du monde qui l’entoure, elle l’acquiert très tôt, et cette maturité trop juvénile est annonciatrice du rôle de pilier qu’elle jouera toute sa vie. À la mort de son père, elle rapporte les ressources financières principales du foyer, endossant par la même le costume de son père, de chef de famille, c’est un rôle qui ne la quittera jamais vraiment. Homme et femme, mère et père, c’est la tête la première qu’elle va traverser sa vie, avec le travail comme prison et comme moyen d’émancipation principal, elle endosse les sacrifices des autres comme les siens propres. C’est un roman qui démontre, encore une fois, à quel point le rôle de l’homme peut se révéler bien secondaire et que la femme dispose des mêmes ressources si tant est qu’on lui en laisse la possibilité – le nœud du problème se trouvant justement ici. Certes, c’est une femme forte, mais c’est surtout une succession de sacrifices qui font de sa vie, une existence passée au service de son entourage. Une vie de labeur pour tous, en de rares moments pour elle-même, et cette narration, divisée en une sorte de semblant de récapitulatifs annuels, met en exergue cette absence de vie personnelle qui égraine son existence, la seule satisfaction étant de pourvoir aux besoins de sa fille sans l’aide de personne. 

Dans Rien pour elle, la narratrice se tue à la tâche des différents métiers qu’elle exerce, mais elle sait pour elle fait, et si j’ai été prise de compassion pour la jeune fille qu’elle était, j’ai été ensuite pleine d’une admiration pour cette mère, absolument seule, qui a choisi d’assumer entièrement l’enfant qu’elle a eu très jeune. Travailler pour deux, assumer pour deux, on la sent peu à peu s’émanciper de sa vie de bagnarde pour devenir, enfin, à quarante ans ce que d’autres sont plus tôt ou ne seront jamais : une femme libre, indépendante, fière d’elle-même, de sa fille et de son petit-fils, sereine, une femme à même de profiter des petits plaisirs qu’elle peut s’offrir seule désormais à l’aube d’une nouvelle période de sa vie, indépendamment de l’avis d’autrui.

Aurora, la dernière. Je me rendais compte seulement maintenant que je ne l’avais jamais écoutée,prise comme je l’étais par mes ennuis. De nous tous, c’était celle qui avait la peau la plus dure, je l’avais compris en la voyant qui souriait tout le temps, petite, même quand il n’y avait pas de quoi rire. Une part de moi l’avait punie en me désintéressant d’elle, parce qu’elle ne s’était pas crevée dans la rue, comme nous autres. Maintenant je comprenais tout à coup que nos histoires, différentes mais parallèles, nous avaient amenées au même point.

Autant claire qu’obscure, dans les moments les plus lumineux que sombres de l’existence de Tullia, j’ai aimé cette langue élégante, qui est celui d’une fille qui n’a jamais eu l’occasion de s’instruire à l’école, mais par elle-même, qui s’est ensuite abreuvée et saoulée de mots. Cette langue porteuse d’un regard très clairvoyant sur les personnes qui traversent sa vie sans qu’elle ne tombe jamais dans de bas-côtés mélodramatique. On la soutient, mais on ne la prend jamais en pitié. On la respecte. On respecte son acuité de pensée et de l’observation qui rendent son jugement incisif, tranchant, tout comme elle l’est. Et sa capacité à prendre de la hauteur, à se détacher de la folie de sa mère, de l’absence de son père, de la place démesurée que ses frères et sœur ont pris à ses dépends, cette capacité innée à s’en sortir, puisqu’elle n’a jamais rien eu à elle. Sauf ce qu’elle s’est construit.

Je parvenais à entendre la respiration de ma mère qui s’essoufflait de plus en plus, mais je ne comprenais pas si c’était le poids d’Elio Secondo ou bien cette haine qui la rendait si nerveuse. Elle ne serait jamais heureuse nulle part, c’est pour cela qu’elle enrageait. Elle fuyait la guerre, mais elle l’emportait avec elle : une vie en première ligne sans raison aucune.

Laisse-moi y faire, un point c’est tout, et Giuseppe coupa court, puis se rapprocha du groupe et mit ainsi fin à leur conversation.

Notre père était un homme bon et intelligent, c’est lui qui nous indiquait la direction à prendre, la durée, la méthode, les risques et les solutions. Tout le monde s’en remettait à sa vision lucide des choses. Tout le monde sauf ma mère : à partir de ce jour-là, elle adopta un air de condamnée. A la maison, elle lui tournait toujours le dos, secouait les matelas comme si des pestiférés y avaient dormi, déplaçait les tables de chevet d’un côté, de l’autre, les traînant bruyamment, en proie à une irritation sans mesure. Pendant toute la durée de notre séjour à Capistrello, Rosa se montra hostile au moindre rapport avec les femmes du village. Si sa sœur n’avait pas déployé toute son énergie, elle serait sans doute arrivée à nous isoler tous de cette petite communauté montagnarde.

Pour aller plus loin avec Agullo Editions

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