Iochka

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Au cœur d’une vallée sauvage des Carpates, Iochka fabrique du charbon de bois. Quasi centenaire, il aime se taire, boire sec et dévaler ivre les routes sinueuses des montagnes au volant de sa vieille Trabant bleue. Mais le plus souvent, il demeure assis sur le banc cloué à l’extérieur de sa petite maison, se remémorant son existence hors norme. La guerre, les camps soviétiques, Ceaușescu, puis la camaraderie du chantier quand il est affecté à la construction d’une voie ferrée qui ne mène nulle part. Là, loin du tumulte de l’Histoire, il expérimente l’harmonie sexuelle auprès d’Ilona, l’amour lumineux de sa vie, et partage l’amitié indéfectible du contremaître, du docteur et du pope, tous trois aussi alcooliques et excentriques que lui. Avec eux, il approche le secret du temps et du bonheur.

Cristian Fulaş

568 p.

La Peuplade

Ioşca, 2021

Une traduction de Florica et Jean-Louis Courriol

Ma Note

Note : 4 sur 5.

Un paradis d’avant et d’après le désastre qu’est toujours la civilisation, un lieu oublié et pour cette même raison inoubliable, immortel et vivant dans la mesure seule où le vivant, dans ce qu’il y a de plus essentiel, échappera toujours à la compréhension humaine.

Le seul roman de littérature roumaine de cette rentrée littéraire a été publié par une maison d’édition canadienne, La Peuplade, que je ne connaissais pas encore. Cette photo en première de couverture exprime à elle seule la nature du personnage éponyme m’avait tapé dans l’œil depuis l’annonce des titres de la rentrée. Et puis, il y a des noms de traductrices et traducteurs qui naturellement prédisent une belle lecture. On a peu de choses en français sur Cristian Fulaş, l’auteur roumain, le rabat nous livre tout juste qu’il est également éditeur et traducteur. Près de six cents pages sur un taiseux, Iochka, sur un coin de montagne, sur un bout de vie et un pan d’histoire roumaine. Ce n’est pas une mince affaire que nous présente là Cristian Fulaş, si Molnar Iochka prononce à peine dix lignes à tout casser, ce roman regorge de détails et d’histoires, petites ou grandes, individuelles ou universelles, un long discours, un long bavardage qui prend le silence de Iochka à contre-pied.

Il y a d’abord le contexte, il a la vie de Iochka, jeune garçon, jeune homme, et il y a la vie sur ce bout de montagne, les vies de ceux qui ne savent plus parler, n’en ont plus trop envie et ceux qui créent un lien d’une autre manière. Il y a un long monologue sur le silence. On appréhende très vite que Iochka est un drôle d’oiseau difficile à cerner. Et s’il y a bien une image qu’il faut retenir de lui, mise à part celle de son visage buriné par son passé de soldat, ce sont les mains. Noires de suie, huileuses de la graisse qu’il mange, écorchées des travaux manuels, rugueuses, solides et pourtant délicates et sensuelles pour l’élue. Des mains bien plus bavardes que l’homme à qui elles appartiennent. C’est l’un de ces hommes qui semble toujours avoir été là, dans ces bois, dans un temps sans début ni fin, à ramasser le bois, le brûler, le vendre. Sur un pan des Carpates. Iochka a pourtant une histoire, qui se mêle à celle de son pays, surtout à ses débuts. Plus qu’un homme, c’est une âme, un esprit gravé dans la forêt.

L’écriture, dans un savant de jeu de flash-backs ou de sauts en avant, nous ramène doucement dans le passé de Iochka, ou chaque détail de cette forêt est susceptible de réveiller en lui des souvenirs, pas les meilleurs, d’une jeunesse passée à la guerre, d’une première partie de vie qui a sûrement pris fin sous la bâche d’une carriole, entre les confettis de corps décomposés qui voletaient autour de lui. La deuxième partie de sa vie qui elle aussi s’achève dans la douleur. 560 pages pour Iochka, qui a peu l’occasion de parler, pages qui sont bien plus descriptives que narratives, mais telles qu’elles sont faites, donnent l’impression de n’être qu’une seule et grande, longue description : il n’y a pas d’interligne au début de chaque chapitre, tout semble être un seul et même bloc, les dialogues fondus dans la description, comme s’ils n’avaient pas d’importance, et après tout, il semblerait que ce soit le cas, puisque le discours indirect rapporte bien souvent ces dialogues.

La vie isolée dans cette vallée des Carpates n’occulte pas le pays dans sa globalité et les maux dont il est atteint, en premier lieu par la présence de cet « asile », où sont parqués les anormaux, les hors-systèmes, une mise à l’écart dans un coin perdu d’où ils ne reviendront jamais. L’auteur ne cesse de raconter sur justement cette impossibilité à communiquer pour les personnages, Iochka, le pope ou ce docteur, qui officie à l’asile, cette privation volontaire et personnelle de la parole qui renvoie en un sens à la terreur que fait régner la Securitate, et dont chaque opposant fait les frais. Tandis que non loin, presque à côté, il y a ces « Hurleurs » qui hantent la vallée. 

Ce genre de discussions avait lieu sinon tous les jours du moins tous les deux jours. Entre péché et ironie, ils ne savaient que préférer, eux deux ne se posaient jamais la question. Ce qui est certain c’est que les gens de l’autre côté qui venaient dans leur vallée leur offraient de nombreux sujets de conversation qui leur faisaient passer le temps. Car dans la vallée le temps paraissait long, infiniment long depuis toujours. On aurait dit qu’il s’était dilaté depuis les débuts du monde, et qu’il restait ainsi, telle une bande élastique étirée au-delà de toute mesure, qui refusait de se casser et continuait à s’étirer, contre nature.

On ne peut pas rester insensible à cette écriture majestueuse, qui semble être sortie d’un trait de l’esprit créateur de son auteur, brute, et charnue, aussi pleine que Iochka est avare en paroles et en expressions, à force de tournoyer dans cette forêt, il en est devenu une bouche dure et imperméable, immuable au milieu de ces arbres qui étaient là avant lui, qui le seront après. En plein milieu d’un silence, qui n’est pas seulement le sien, un silence d’état, une institution. Finalement, cette forêt n’est pas si loin d’être cette Roumanie, un microcosme à lui seul, on y vit, on y meurt. Avant que ce coin de paradis, parce qu’isolé de la civilisation, ne disparaisse.

Le pope s’est approché sans mot dire, on ne l’entendait pas marcher, son corps semblait ne pas déplacer d’air quand il traversait la cour, il s’est assis à côté de lui sur le banc pour regarder la vallée du même point. Peut-être disait-il une prière pour la disparue, peut-être qu’il le faisait lui aussi chaque jour mais sans prononcer le moindre mot, il ne parlait pas à Iochka, il se contentait de rester assis sur le banc à ses côtés et de contempler la vallée, de se taire comme se taisent toutes les bonnes choses de ce monde. Ils se taisaient tous les deux depuis longtemps, depuis plus de vingt ans peut-être, assis sur le même banc, chaque jour à la même heure. Et dans ce silence, la prière du prêtre, cette pensée généreuse, s’élevait au ciel avec une force double. Deux hommes silencieux qui restaient assis ensemble sur un même banc à regarder les mêmes choses. ils taisaient leur mutisme bien mieux que tout autre, ils se taisaient leur mutisme bien mieux que tout autre, ils se taisaient et regardaient, et quelque part dans l’espace créé par leur silence s’inscrivait dans le monde qu’ils habitaient depuis toute une vie ; dans leurs yeux logeaient la vallée, tous leurs souvenirs, peu nombreux, souvenirs de gens simples et silencieux. Silence contre silence, ils n’étaient que deux silences, qui ne parlaient de rien parce qu’ils s’étaient tout dit en l’absence des mots, justement. À quoi bon les mots, s’ils se tenaient sous le grand chêne et si le temps était, et la terre aussi, et le feu et l’eau et l’air, et Dieu, si tout était comme il pouvait l’être dans leur monde, le plus simple des mondes possibles ? Le silence seul, le rien de ce silence, l’absence du murmure du ruisseau, le bruissement des feuilles, tout ce qui comptait c’était cela. Et l’amour, gage de toutes ces choses-là, se disait le pope en regardant les paumes usées de ce vieil homme, ces paumes qui reposaient paisiblement sur ses genoux comme dans les icônes, ces paumes sales et calleuses mais tournées, et pas par hasard, vers le bleu du ciel. 

La rentrée littéraire La Peuplade, c’est aussi

Strega est un village dans la montagne que borde un lac noir. Neuf femmes de dix-neuf ans empruntent le téléphérique qui rejoint l’Hôtel Olympic. Filles de mères travailleuses et de pères invisibles, elles ont été envoyées là par leurs parents pour apprendre à devenir des femmes au foyer, en se formant au service de clients qui ne viennent jamais. Le temps s’étire, une sororité résistante s’installe comme un rêve dans le luxe des salles vides. Liqueurs et cigarettes accompagnent l’indolence de ces jeunes rebelles qui vivent dans la lumière brillante du grand parc de l’hôtel. Puis l’une d’elle disparaît. Elle a été assassinée, toutes le pressentent, car depuis l’enfance, elles le savent, la vie d’une femme peut se transformer à tout moment en scène de crime.

Danaé Berrubé-Portanguen dite Poussin possède le rare don de savoir nager. Orpheline, tour à tour sauveuse et naufrageuse, elle vit au milieu de l’Atlantique, sur l’île d’Ys, berceau d’un peuple obsédé par l’honneur et le courage. Une île où même les terriens se vantent d’être marins, où seuls les plus braves ont le privilège de vivre dans la cité fortifiée à l’abri des grandes marées d’équinoxe. Suivant le destin des riverains qui doivent se partager plages et marges, Danaé Poussin se soumettra aux cycles qui animent les mouvements de la mer comme à ceux qui régissent le cœur des hommes.

Les marins ne savent pas nager s’adresse à celles et ceux qui, un jour, se sont demandé si c’était la montée des eaux qui les faisait pleurer ou leurs larmes qui faisaient monter les eaux. Dominique Scali signe un roman d’aventures maritimes époustouflant campé dans un XVIIIe siècle alternatif salé par l’embrun et rempli de la cruauté du vent.

4 commentaires sur “Iochka

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  1. C’est gentil, merci 🙂 J’avoue n’avoir lu que des retours très positifs. Je crois que l’écriture de Cristian Fulas a marqué les esprits. Et, je me répète, c’est une belle œuvre de traduction, chaque page est d’une telle densité que j’en suis admirative !

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