Ukrainiens

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Il est temps de ramener les Ukrainiens au centre du récit.
Les Ukrainiens, qui sont-ils ?… Peuple des  » confins  » ou au  » centre  » des terres selon les étymologies… Pendant longtemps la puissance du maelström géopolitique a poussé les Ukrainiens  » aux confins  » de notre perception de l’Europe.
Si l’Ukraine fait la Une, les Ukrainiens, eux, plus rarement : un reportage à chaud, produit dans l’instant, offre rarement la possibilité de saisir l’esprit d’une nation, résultat d’un passé complexe et lointain.
C’est l’objectif de ce livre : offrir une connaissance des Ukrainiens malgré les crises et les drames que connaissent le pays. Il permet de découvrir ce peuple  » du sud « , chaleureux, aimant faire la fête, vivant sur un territoire malmené par l’histoire et les guerres, qui a longtemps souffert de fractures identitaires, sociales et géographiques mais qui trouve une certaine unité dans l’adversité.

Sophie Lambroschini

182 p.

Ateliers Henry Dougier

Ma Note

Note : 5 sur 5.
Quand je serai mort, mettez-moi
Dans le tertre qui sert de tombe
Au milieu de la plaine immense,
Dans mon Ukraine bien-aimée,
Pour que je voie les champs sans fin,
Le Dniepr et ses rives abruptes,
Et que je l'entende mugir. 
(...)
Pereïaslav, le 25 décembre 1845
Taras Chevtchenko, Notre âme ne peut pas mourir, Editions Seghers, 2022.

Pour cette ultime Masse Critique de l’année, j’ai choisi l’un des titres évoqué dans l’un de mes posts précédents Sur l’Ukraine ici, il s’agit des Ukrainiens de Sophie Lambrischini publié chez Ateliers Henry Dougier. Le titre appartient à la collection au nom évocateur, Lignes de vie d’un peuple. L’auteure, Sophie Lambroschini, fut journaliste, a travaillé longtemps en Russie et en Ukraine, elle est aujourd’hui chercheuse en histoire à Berlin. On apprend aussi au détour d’un paragraphe qu’elle a vécu en Ukraine. Si cette collection ne manque pas d’évoquer les célèbres atlas des Éditions Autrement, c’est peut-être parce que le fondateur de la maison d’Éditions, Henri Dougier, fut également le fondateur des éditions Autrement, qu’il a cédées en 2011. C’est d’ailleurs par la publication de cette collection que la maison d’édition qui porte son nom a débuté.

En tout premier lieu, il me semble important de le préciser, il n’y a pas de chapitre consacré à cette partie de la guerre russo-ukrainienne, celle qui a commencé ce funeste 24 février : l’auteure le précise en introduction, le texte été rédigé avant que Poutine ne se décide à lancer cette invasion en début d’année. Quatre grands chapitres composent ce livre : le premier sur l’histoire du pays, le deuxième sur la diversité des origines de la population ukrainienne et de sa mixité, le troisième sur l’esprit entrepreneurial des Ukrainiens, le quatrième sur les femmes ukrainiennes et le cinquième et ultime chapitre sur la guerre au Donbass. Le livre est également doté d’une belle carte détaillée et en couleur – l’indispensable pour un pays qui nous est inconnu – ainsi que d’annexes très complètes sur des ouvrages à lire pour approfondir sa lecture sur le sujet et une chronologie rappelant les dates importantes du pays. Si vous avez peur d’être noyé sous un tas d’informations très formelles, il n’en ait rien, l’exposé de l’auteure n’a rien de rébarbatif, ce n’est pas du tout une lecture fastidieuse, comme certains ouvrages historiques peuvent l’être. Au contraire Sophie Lambroschini a fait en sorte de rédiger un texte clair et agréable à lire, ventilé par un découpage régulier en paragraphes, jugulant ainsi le nombre d’informations qu’elle nous distribue tout en prenant le temps d’exploiter au mieux chaque précision qu’elle choisit de nous livrer.

J’ai littéralement dévoré ce livre. C’est dire à quel point Sophie Lambroschini ne se perd pas dans des explications sans fin. Si effectivement, il ne parle guère de l’attaque des Russes du 24 février dernier, en revanche, il met en lumière tous les événements antérieurs, les relations conflictuelles avec ce voisin trop expansif, qui ont amené la Russie à attaquer l’Ukraine, et en premier lieu, l’annexion de la Crimée en 2014. Il s’agit d’apprendre à connaître ce peuple, à appréhender leur identité, apprendre leur racine, leur histoire, leur culture. Et qui dit histoire et culture, dit exposer les principales étapes qui ont forgé ce pays tout neuf dans cette unicité qui est la sienne aujourd’hui, des mouvements migratoires, et les personnalités qui constituent les grandes figures de ce peuple ukrainien : et en premier lieu le poète Taras Chevtchenko, qu’elle désigne comme « principal personnage consolidateur » du pays, auteur du recueil de poèmes Kobzar.

La « question des origines » de la nation ukrainienne évoque immanquablement celle de la notion de la « Rus’ de Kiev » : cette métaphore est employée pour décrire le proto-Etat réunissant les Slaves de l’Est, et a eu une influence immense sur l’histoire des Biélorusses, des Russes et des Ukrainiens. La « Rus’ de Kiev » a existé du IXe au XIIIe siècle, soumise vers la fin à l’Empire mongol de Gengis Khan. Mais il ne faut en aucun cas confondre cette entité avec un Etat moderne ! En raison de l’importance de Kiev, on parle souvent de cette ville comme de la « mère de toutes les villes russes ». Mais il faut savoir que « russe » ou « rus' » n’est pas « russe » au sens contemporain, et ne renvoie pas à la Russie, de même que ces « Rus' » ne sont pas non plus ukrainiens. Ils sont… Rus’ !

Ce livre m’a permis de relier entre eux les différents événements que sont la fin de l’URSS, la révolution orange, la révolution de Maïdan, l’annexion de la Crimée, la guerre au Donbass et finalement la bataille actuelle d’une guerre qui a commencé à l’indépendance du pays. Et de mieux comprendre cette coexistence de la langue ukrainienne, et de la langue russe, utilisée par beaucoup d’auteurs à commencer par Andreï Kourkov, qui sont pourtant de fervents patriotes. J’ai particulièrement apprécié les passages consacrés aux femmes et hommes de lettres, dont les œuvres ne nous sont malheureusement pas encore parvenues en France. Si ce livre est réussi, c’est enfin parce qu’il est ponctué d’anecdotes personnelles, de personnes envers lesquelles l’auteure est allée à la rencontre et dont elle prend soin de nous relater, détail par détail. Je pense ici notamment à ce couple, Ivan et Svetlana Plachkov, à la tête de Kolonist, leur entreprise vinicole, à Valentin, qui travaille au noir dans une mine au Donbass. Mais ce qui participe aussi à l’exhaustivité du récit de l’historienne, c’est son recours, à chaque chapitre correspondant, à des spécialistes de la question, qui nous donne une vision pointue sur la situation des Ukrainiens. Je ne suis pas partie pour finir de chanter les louanges de ce titre. En effet, Sophie Lambroschini a choisit de dévoyer un chapitre entier aux femmes ukrainiennes, ce qui ma foi est une excellente chose dans la mesure où ce sont aussi elles qui font marcher le pays, toujours dans l’ombre.

L’auteure nous parle des problématiques sociales du pays, dont ce phénomène qu’évoquait Artem Chapaye dans son roman Loin d’ici, près de nulle part, ces mères qui partent travailler dans des pays plus riches et qui sont demandeurs de main d’œuvre peu qualifiée et bon marché : ces mères qui laissent derrière elles ces « orphelins » sociaux ». Un seul reproche que je ferais, c’est le fait de ne pas avoir évoqué le recours massif, intensif, donc abusif à la PMA et à la GPA, comme le montre Sofi Oksanen dans son roman Le parc à chiens, qui est devenu malheureusement une manne économique non négligeable pour certaines Ukrainiennes. Ce que la guerre a d’ailleurs mis en lumière à travers ces bébés bloqués dans le pays avec leur mère porteuse. 

Vous l’aurez compris, j’ai aimé ce titre de la première à la dernière ligne, l’auteure a su trouver un ton juste et pédagogue pour ne pas transformer ses chapitres en leçons poussiéreuses d’histoire, de géographie ou géopolitique. Bien au contraire, en reliant son texte à l’actualité et au présent, elle effectue un rapprochement entre le lecteur et le pays, dont nous connaissons désormais les couleurs du drapeau par cœur. Et, encore une fois, rien ne vaut, les différents témoignages dont elle se fait l’entremetrice. J’envisage de me procurer d’autres ouvrages de la même collection, notamment ceux que je cite ci-dessous ou encore le numéro consacré à la Roumanie.

Notre-Dame d’Ukraine : la femme gardienne de la mémoire

Pani Oksana, « Madame Oksana », la forme de politesse traditionnelle en Ukraine, est l’une des figures les plus marquantes de la littérature ukrainienne contemporaine, originale, passionnée, et féministe.

Dans le hall voûté de l’Arsenal à Kiev, salle d’exposition grandiose accueillant une fois par an le Salon du livre ukrainien, Oksana Zabouzhko a mis en scène la présentation de son dernier livre sous des auspices féminins : deux soeurs sopranistes chantent ses poèmes, accompagnées d’un trio de violoncelles. L’harmonie de la mélodie ronde un peu chuintante de la langue ukrainienne, mêlée aux sons vibrants et graves des cordes, émeut visiblement le public qui se lève spontanément. Ovation pour les trois femmes. « Dans mes romans, je parle de l’être humain, et il se trouve que le plus souvent cet être humain, chez moi, est de la gent féminine. »

Vive, les mains en mouvement, Pani Oksana rappelle un colibri, mais littéraire. Lors de ses conférences, plusieurs par mois, elle est prête à parler de tout, ou presque. « Dans une société comme la nôtre, ou toutes les institutions traditionnelles se sont discréditées, on en revient toujours à se fier aux représentants de l’intelligentsia pour dire « comment vivre » plutôt que « comment exister ». »

De toute évidence, elle aime ce rôle, un peu prof, un peu mentor. Sans doute les semestres passés à Harvard à enseigner la littérature y sont pour quelque chose. Ses lecteurs, souvent jeunes et ukrainophiles, elle les accroche par la parole.

Pourtant, ses romans et ses essais sont complexes, déroulant un fil rouge, celui de la femme, de sa « voix historique », de sa place dans la société ukrainienne. D’ailleurs, au-delà de son public privilégié, Pani Oksana fait l’inimitié plutôt que l’unanimité. On lui reproche son « féminisme », qu’on entend surtout par une sexualité assumée. Son premier roman à succès, L’Enquête de terrain sur le sexe en Ukraine, s’inspire de son expérience personnelle à Penn State (Pennsylvanie) en 1992, quand à 30 ans elle découvre l’Occident. Elle y décrit les aventures d’une jeune intellectuelle ukrainienne accueillie dans une université américaine – voyage initiatique à la découverte de son corps, des hommes, de son identité.

Pour aller plus loin avec les Ateliers Henry Dougier

Pris dans la tourmente d’une histoire qui les a sacrément malmenés, capables de s’affirmer en tant que nation depuis un temps relativement court, les Lettons ont dû jusqu’à aujourd’hui jurer loyauté envers des souverains et des saints très changeants. Mais ils ont bien fait preuve d’une fidélité sans faille à tous les éléments constitutifs de leur identité pour être en mesure, tout à la fois, de les préserver, de se reconnaître en eux et, aujourd’hui, de les porter, avec fierté. Mais fidèle ne signifie pas figé !
Ils ont bougé, ces Lettons globe-trotters qui, de bon ou de mauvais gré, ont parcouru la planète en tous sens et continuent de le faire. Leur amour indéfectible de la nature leur a sans doute permis de s’ancrer malgré tout et de se rappeler que racines il y a. Aux avant-gardes plus souvent qu’à leur tour, ils ont depuis longtemps réservé une place de choix à l’écologie, aux femmes et aux minorités. Tolérance oblige, fidèle ne signifie pas non plus univoque : les Lettons entretiennent des mémoires à la fois contradictoires et très présentes, notamment dans leur rapport à la part russe de leur histoire.

Les Lituaniens, petit peuple des confins de l’Europe, sont largement méconnus. Dynamiques et ouverts, tout aussi persévérants et obstinés, ils vont de l’avant et veulent aujourd’hui mieux se faire connaitre du reste des Européens, en dépassant les nombreux clichés qui les poursuivent.
Marqués par une histoire riche et tragique, de l’âge d’or du grand-duché de Lituanie aux occupations nazie et soviétiques, facteur déterminant de leur identité, les Lituaniens estiment avoir leur pierre à apporter à l’édifice commun. Membres de l’Union européenne depuis 2004, ils sont entrés, tête la première, dans la mondialisation, sans pour autant délaisser ce qui fait leur originalité, un attachement à leurs racines et la fierté d’être toujours présent sur la carte du monde en dépit des vicissitudes de l’histoire.

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