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Le XXIe siècle commençait, elle sortait de l’adolescence, une tresse savante posée sur l’épaule gauche. Je rencontrai Yana dans une rue en chantier du sud de la Russie. Nous devînmes alliés séance tenante ; quelque chose que je ne saurais nommer l’exigeait. Nos chemins se séparèrent puis se croisèrent de nouveau des années plus tard, dans une prison sibérienne.
Ensemble, nous partîmes en cavale.
Ne lui dites pas qu’elle est romanesque. Yana vous toiserait, répondrait qu’elle aura toujours plus d’imagination qu’un malheureux personnage de fiction. À tout prendre, elle préfère se reconnaître dans un tableau peint par Ilya Répine à l’époque des tsars. J’ai voulu pour elle faire sonner les tambours d’un livre-cérémonie. Et que naissent des portraits capables d’abriter dans leurs fêlures toutes les Yana.
Yoann Barbereau
180 p.
Stock
Ma Note
Je ne m’apprête pas à conter ma cavale. J’en ai fini avec les tribulations odysséennes. Je prépare ma toile, je commence un portrait.
Yoann Barbereau, ce nom vous dit peut-être quelque chose. C’est cet ancien directeur de l’Alliance française basée à Irkoutsk, qui a été victime d’un Kompromat des autorités russes il y a neuf ans de cela (Selon la définition de Wikipédia, il s’agit terme russe désignant des documents compromettants, authentiques ou fabriqués (c’est le cas le plus courant) qui sont utilisés pour nuire à une personnalité politique, un journaliste, un homme d’affaires ou toute autre figure publique et qui s’est retrouvé en prison.) Vous avez peut-être lu Dans les geôles de Sibérie (Stock,2020) , le livre dans lequel il revient sur les rocambolesques et incroyables circonstances de sa fuite hors de la fédération de Russie, ce qui n’est pas vraiment une mince affaire. Un film éponyme a d’ailleurs été tourné relatant son histoire, Kompromat, avec Gilles Lellouche qui endosse sa vie sous le nom de Mathieu Roussel, et que j’ai pu voir à Morges en septembre dernier. En passant, je n’ai pas d’affinité particulière avec l’acteur, bien au contraire, pourtant, il incarne parfaitement le rôle, il faut le reconnaître. On y apprend le rôle qu’a joué cette anonyme russe, sa complice de fuite, qui l’a aidé à fuir vers la frontière estonienne, celle qui a eu l’audace de prendre les risques que l’ambassade française s’est courageusement refusée à prendre. Celle dont il protège résolument l’identité et qui se prénomme ici Yana dans ce récit-hommage qu’il lui rend et publié chez Stock.
C’est donc un hommage qu’il rend et qu’il met en scène à travers l’histoire de cette amie et confidente, complice et compagne de fuite, Yana, dont il retrace la vie parallèlement avec l’existence et les œuvres du peintre Ilya Répine, dont j’avais lu la correspondance avec Tolstoï, et donné mon avis ici. Nous voilà face à trente-neuf chapitres, simplement précédés d’une dédicace À toutes les Yanas, sans autre forme d’introduction, ni de remerciements divers comme il est de plus en plus usage de faire. Le premier chapitre ou plutôt ce qu’il appelle Prélude, nous ramène au XIXe siècle, au beau milieu d’un dialogue entre les deux artistes russes, Ilya Répine et Léon Tolstoï. Et, puis, soudainement, le narrateur retrouve la focalisation du récit, on se retrouve au chapitre deux dans ce qui fut sa geôle sibérienne à ses côtés, en l’an 2015, puis, après son périlleux retour en France.
Ce passage sans distinction d’une temporalité à l’autre, de personnages historiques à une narration sous focalisation interne est assez déroutant : l’auteur présume de notre connaissance de ses aventures russes qu’il injecte dans l’histoire de ce narrateur double troublant de lui-même. C’est intéressant, car si je n’ai pas lu son récit Dans les geôles de Sibérie, je l’ai dit plus haut, j’en ai vu l’adaptation cinématographique et cela complète ce que j’y ai appris. Lire, ou relire si c’est votre cas, les lignes qui ressassent l’histoire de Yoann Barbereau donne le sentiment, justifié ou non, que l’auteur n’en a pas fini d’exorciser ses mois passés en prison, et les machinations qui ont été très près de le broyer définitivement, lui le Frantsous, Yoanntchik.
Le tableau de Répine bricole les intraduisibles. Les pigments sorciers saisissent Ivan le Terrible, ses ombres, ses semblables, et on entend bruire sous les larmes du fils les larmes de toutes les Yana, les miennes et peut-être les vôtres.
J’ai apprécié lire toutes les références à Ilia Répine qui a insipiré Yoann Barbereau pour écrire sur sa Yana, le fond reste tout de même quelquefois confus dans le manque de lien entre les anecdotes, et retours en arrière sur l’ère Répine et la narration sur sa Yana, qui semble avoir vécu mille vies, entre la Russie et Paris, donnant naissance à son garçon. Le mélange du passé et présent est si déstabilisant que l’on ne sait plus trop dans quel monde imaginaire Yoann Barbereau nous a emporté, une sorte de monde intemporel où se rencontrent les artistes russes du XIXe siècle et la vie de cette jeune russe, amie de l’auteur. On se demande, bien sur, ce qui peut bien relier Yana à Ilya Répine dont l’œuvre Ivan le Terrible et son fils Ivan orne son mur sous le format d’une carte postale. Le fait, entre autre, que Yana s’identifie à ce tsar Ivan qui porte bien sa qualification de terrible, ou davantage qu’elle y identifie la mère tyrannique qui fut la sienne. Pour rendre compte de la personnalité d’une trempe hors du commun, doté d’un caractère tel qu’il est comparable aux œuvres picturales de Répine, gravé dans le temps, les toiles, la mémoire et l’histoire russe. Cette reconnaissance pour celle qui l’a aidée, il la transcende en lui fabriquant sa propre mythologie à travers la vie et l’œuvre d’Ilya Répine.
L’auteur a ces mots dans l’un de ses derniers chapitres « Peindre un livre en parole. Quel livre ? » : celui d’une guerrière, telle qu’il la décrit au troisième chapitre, fille improvisée d’Ivan le Terrible maternel, essayiste sur l’ancien Premier ministre Piotr Stolypine, un bourreau au service du tsar Nicolas II, sœur d’âme d’Ilya Répine, ou d’un Garchine, de l’archéologue Gimbutas, fille du Dniepr et du Don, les portraits laissent à chaque fois découvrir une nouvelle facette de Yana, même si l’on ressent que cette Yana-là est, au fond, insaisissable. L’hommage est beau, de la dimension de la grandeur d’âme de celle qui a pris le risque de sa vie pour sauver son ami français, cette toute dernière chance pour Yoann Barbereau d’échapper à l’injustice russe.
Elle a seize ans. À trop additionner les ombres, elle remonte jusqu’à d’étranges questions, un soir de septembre, dans l’orphelinat ou elle habite depuis quelques années. Elle veut percer les mystères qui sommeillent au plus profond des signes ; elle cille sous leur aveuglante clarté ; elle ressent une brûlure ; c’est trop tard. On la retrouve tremblante, à demi-nue, assise sur son lit. Elle est sortie de sa vêture existentielle. Quelque chose dans le cerveau s’est bloqué, c’est une vision qui gronde, une impression insistante, quelque chose de cruellement comique, quelque chose d’acide et de grinçant ; elle constate soudain que les mouvements du corps sont désordonnés, elle ne décide plus, elle panique en gestes clownesques. Puis, c’est la prostration. Des voix en elle tiennent des colloques interminables, mais plus rien ne peut être prononcé pour le dehors. Elle est là, puis elle n’est plus là. Elle n’est qu’un souffle. Le temps et l’espace ne sont plus son affaire. C’est une crise catatonique, imaginent les soignants, un début de schizophrénie, sinon un trouble bipolaire ou un syndrome post-traumatique. C’est autre chose, me dit Yana. Ce que peut la douleur du fond du ventre. As-tu déjà une seule fois regardé le monde en te disant : c’est le cadavre en moi qui observe ? As-tu senti un jour la femme morte installée à l’intérieur de tes yeux ?
Ce qu’elle vit dans pigments sorciers de Répine comme sous les mots chamanes de Garchine, c’est un frère d’arme. Elle était sœur de l’homme qui avait écrit cette phrase à la fin de La Fleur rouge :
« Les étoiles scintillaient amicalement et l’irradiaient jusqu’au coeur. »
Yana la prononce très haut, elle détache chaque syllabe. Elle dépose sur la tombe trois coquelicots.
Prochainement chez Stock
Août 1577. Installé depuis dix ans à Amsterdam où il tient une auberge, Beer vit avec sa fille adoptive Marie qui supporte de plus en plus mal son mutisme et sa mélancolie. Ces derniers soirs, comme chaque année au mois d’août, il s’isole dans sa chambre pour se remémorer sa vie passée à Anvers, ses trois épouses mortes en couches et son dernier amour, la Femme Sauvage, décédée durant leur fuite vers le nord.
Il replonge dans la ville bruissante d’Anvers au XVIe siècle aux côtés des intellectuels éclairés de l’époque – cartographes, imprimeurs, commerçants, astrologues, peintres, etc. – qui fréquentent son auberge et y tiennent les réunions secrètes de leur confrérie, baptisée la Famille de l’Amour.
Au retour d’une expédition maritime, des explorateurs lui demandent d’héberger une « femme sauvage » et sa petite fille, toutes deux vêtues de peaux de phoque. Pour ne pas déplaire à ces hommes qu’il admire, Beer accepte à contrecœur. Il les enferme dans une chambre qu’il munit de barreaux et commence à faire payer les curieux qui veulent découvrir « les créatures ». Ce comportement obtus et barbare lui aliène progressivement la sympathie de ses proches, à commencer par Margreet, la sage-femme qui vit avec lui, et son fils Ward, qui prend ses distances en lisant des livres ésotériques interdits par la censure.
Alors que le pays est en proie aux luttes religieuses et aux révoltes ourdies contre l’occupant espagnol, que les exécutions publiques, les tortures, les destructions d’églises, les incendies et les massacres se multiplient, un félon du nom de Jan Grauwels tente de manipuler Beer pour infiltrer la Famille de l’Amour
« Ici je vous entends : ne le raconte pas, ne le dis pas, laisse-nous en paix avec ces histoires dégueulasses, tais-toi ! Et j’entends aussi celui qui parmi vous salive, veut les détails, tous les détails, et des images si c’était possible. Celui-là je ne le comprends pas. Il n’est pas forcément pire que moi, ne lèverait peut-être pas la main sur un oiseau. Alors ? Je ne sais pas. Je m’oblige à vous initier aux charmes de l’enfance et je vous aguerris. Ce faisant je m’aguerris. Tu respires ou bien tu es déçu, Lecteur, mon frère loup ? »
Qu’ils soient en fuite, marginalisés ou seulement de passage, les personnages des neuf nouvelles qui composent ce recueil sont confrontés aux fractures du réel.
En révélant nos vulnérabilités contemporaines, avec une écriture charnelle et poétique, Belinda Cannone rend un hommage lumineux à ceux qui peinent à trouver leur place.
Une histoire vraie qui a l’air passionnante tout comme Yana dont je suis curieuse de découvrir le courage.
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Il faut que tu commences par Les geôles de Sibérie, tu verras c’est tellement rocambolesque que l’on croirait cela créé de toutes pièces, et pourtant, tout est vrai!
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