La rose des vents

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Tandis qu’aux États-Unis la conquête de l’Ouest se poursuit inexorablement, les Empires russe et britannique se livrent une « guerre froide » en Extrême-Orient. Guennadi Nevelskoï, navigateur obstiné, poussé par une ambition effrénée, obtient l’autorisation officieuse du tsar de lancer une expédition dans cette région. Son but est de trouver une voie navigable sur la côte pacifique, à l’embouchure du fleuve Amour, face à l’île de Sakhaline.

De cette histoire épique et méconnue, Andreï Guelassimov tire un scénario rocambolesque et savoureux. Sans dissimuler une certaine jubilation littéraire, il fait appel tour à tour à des intrigues invraisemblables, des espions écervelés, des bandits ou des mouchards qui s’affrontent dans un suspens où la satire et l’ironie frôlent souvent le lyrisme. Plongé au cœur de ces nombreuses péripéties, le lecteur a le sentiment de toucher du doigt ce qu’il faut d’efforts, d’ingéniosité, d’intrigues et de hasards pour parvenir à une décision politique et humaine capable d’influencer l’histoire du monde.

Andreï Guelassimov

432 p.

Editions des Syrtes

Роза ветров, 2018

Ma Note

Note : 3.5 sur 5.

Si l’on voit fleurir en haut des unes de tous les médias possibles les top 10, 20 ou que sais-je d’autre des romans de la rentrée littéraire à lire absolument – sur les 521 titres proposés, c’est franchement ambitieux de prétendre présenter une sélection objective – j’ai envie de présenter ma propre sélection totalement impartiale puisque choisie selon des critères qui me sont propres à la fan de littérature russe que je suis. Il y a des titres de certaines maisons d’éditions qui sont, pour moi, incontournables, et ceux des Éditions des Syrtes en font partie. La rose des vents fait partie de la sélection des explorateurs du site lecteur.com, qui lui a attribué de jolies notes. Ma curiosité et mon envie de lire le roman ont été exacerbées en voyant celles-ci, et en lisant les commentaires de mes collègues explorateurs.

J’ai eu le plaisir d’avoir un premier aperçu de l’écriture d’Andreï Guelassimov à travers L’année du mensonge, dont j’ai posté mon avis il y a deux ou trois ans de cela. Celui-ci est d’un registre totalement différent de La rose des vents, seul le ton teinté d’humour un peu railleur de l’auteur russe est commun aux deux titres, puisque L’année du mensonge s’inscrit à la fin des années quatre-vingt-dix, peu avant que le Poutine s’installe au pouvoir. La quatrième de couverture donne une parfaite vue d’ensemble des aventures de celui qui nous guide dans les eaux troubles de l’histoire russe : il a repris la trames des romans d’aventure et historiques pour modeler son histoire, qui a de grands airs de chasse au trésor. Incarné par ces territoires d’Extrême-Orient, ces territoires inconnus et sauvages, des passages navigables, qui ne demandent qu’à être annexés, dont la fameuse île de Sakhaline. Si au XXe siècle, les bagnards russes auraient tout donner pour la quitter, elle était au XIXe siècle un eldorado qui accordait aux navigateurs une économie de temps, et d’effort.

Au centre de La Rose des Vents, à mi-chemin entre est et ouest, il y a Guennadi Ivanovitch Nevelskoï, officier dans la Marine russe, affronte bien des tempêtes, et pas seulement marines. Il est celui qui mène le récit d’un bout à l’autre de la Russie, qui côtoie Konstantin, le fils cadet du Tsar Nicolas Ier, aussi bien que les bagnards de tout bord, sur terre et sur mer. Ce récit d’aventures réunit tous les thèmes du genre, le déclassement social, le voyage, la conquête coloniale, l’amitié, la solidarité, il est long de 432 pages, ravira les amateurs de, spécialement ceux qui apprécient les équipées marines, aussi bien que ceux de la littérature russe, qui verront l’occasion de comprendre comment Sakhaline est devenue russe, et qui auront l’occasion d’entrevoir les coulisses du pouvoir et ses complots. Les romans d’aventure, ce n’est pas vraiment le type de roman que j’ai pour habitude de lire (et d’aimer), mais dès lors qu’il s’agit de littérature russe, je suis clairement plus ouverte à la découverte. J’ai connu pas mal de remous, lors de cette lecture, qui demande une lecture attentive, parfois. Si le retour de Nevelskoï vers la Russie, qui constitue la première partie du livre, est somme toutes sans complexité, il ne s’y passe pas l’essentiel, il s’agit à mon sens davantage une mise en situation, un avant-goût de la suite, comme une préparation au véritable voyage qui se prépare. Celui qui mènera Nevelskoï et son et son équipage vers Sakhaline, là ou les véritables choses sérieuses commencent. Mon Cap Horn à moi, ça a été lors de la mise au point de l’équipée, cette paire de chapitres ou les principaux instigateurs se sont retrouvés à préparer le plan. Je me suis laissée noyée par les informations, il a fallu pour que reprenne pied, refasse une seconde lecture, salutaire, des chapitres en question. Guelassimov nous immerge dans les conflits géopolitiques de l’époque entre le Lion Anglais et le Dragon Chinois, ce qui est ma foi assez instructif dès lors qu’on a cartographié le coin en question, point sensible entre plusieurs puissances. Si l’on retrouve cette inimitié presque originelle avec les Américains, Guelassinov revient sur cette concurrence qui pose la Russe face à l’Europe, l’Angleterre plus particulièrement, qui possédait des comptoirs en Chine. Mais les conflits géopolitiques sont évidemment liés aux richesses de ces terres exotiques, avec au milieu les différentes tribus caucasiennes, embrigadées par les anglais, et c’est tout l’intérêt de ce voyage.

– Et ce ne serait rien s’ils s’étaient cantonnés au Caucase et à l’Asie centrale, dit-il. Il leur faut la Chine, maintenant. Et ensuite, c’est une évidence, nos territoires occidentaux. Ils ont la bougeotte sur leur île, ces pique-assiette. Comme à gauche, sur le planisphère, ils ne peuvent rien soustraire à la Russie, ils se sont faufilés à droite. On dirait que leur Compagnie britannique des Indes orientales, ils l’ont créée uniquement dans ce but : nous encercler de tous côtés. Et surtout, jusqu’à présent, ni la Chine ni nous n’avions la moindre prétention envers ces Anglais.

Je me suis fait plaisir à la lecture du voyage même de Nevelskoï, et même si j’oublie obstinément à quel côté correspondent bâbord et tribord, et ne fait pas la différence une ancre d’une autre, ce fut comme une plongée en arrière dans ces films de pirates – sans pirate – à la conquête de l’est, d’un fleuve et d’une île, d’un de ses avantages stratégiques géographiques, qui contribuera à la puissance russe. Mais ce récit ne s’arrête pas là, Guelassimov prend assez de distance pour tourner bien souvent ses personnages en dérision : cette facétie s’accentue au fur et à mesure du récit, peut-être y étais-je moins sensible au début mais c’est devenu de plus en plus cœur, au point ou j’ai fini par en rire. Parce que Guelassimov malgré tout se garde bien de verser dans un excès de gravité ou même de légèreté, racontant l’histoire de la Marine de son pays, l’écart des années lui permet d’éviter à ce que son roman devienne un manuel d’histoire. J’ai d’ailleurs particulièrement apprécié l’ultime phrase de l’auteur qui sonne comme un soupire de lassitude face à la complexité justement de cette histoire. Au milieu de tout cela, on appréciera la figure du poète russe, qui finalement n’a sa place nulle part et qui vogue au fil des vents qui vont en sa faveur : dans ce récit finalement très ancré dans la terre, il apparaît comme une figure d’apparat, omniprésente mais utile à personne. Guelassimov, à mon sens, a donné juste ce qu’il faut dans la satire pour ne pas réduire son roman à cela exclusivement.

Les editions des Syrtes ont présenté un roman russe qui détonne du reste mais finalement qui apporte une interlude épique . Guelassimov par son titre redonne un nouveau souffle à un genre un peu oublié, d’autant qu’il conclut toutes les circonvolutions de l’empire russe, dont on a parfois du mal à démêler les liens. Qu’il nous plaise ou non, c’est comme d’habitude un roman de caractère, qui ne verse pas dans la simplicité, que publient là les Editions des Syrtes, qui permet en passant d’approfondir sa culture générale car il offre beaucoup de matière à réflexion sur l’âme et l’histoire russe. A ce propos, j’ai découvert un podcast de France Culture intitulé Le grand jeu : l’Afghanistan au cœur des convoitises qui narre la rivalité anglo-russe, au XIXe siècle, pour conquérir les terres d’Asie Centrale.

Pour l’heure, M. Semenov l’étonnait surtout par son ardeur. Il était imprévisible même sans cet emballement, bien entendu, cependant, tout étrange que fût ce constat, Nevelskoï avait déjà commencé à s’habituer à cette imprévisibilité et il s’attendait même sans plus trop s’émouvoir à quelque manifestation de ce type d’un instant à l’autre. Mais le tempérament de feu avec lequel son interlocuteur décrivait la géométrie des forces politiques et militaires mondiales aux confins orientaux de la Russie, il aurait bien été en peine de seulement le supposer jusqu’au moment présent. M. Semenov parlait du heurt des deux gigantesques empires avec le même feu que s’il était personnellement concerné, comme si ces empires étaient simplement deux personnes – non pas des essences étatiques abstraites, mais deux êtres vivants avec leur caractère, leurs manies, leurs faiblesses et ainsi de suite -, et que ces deux personnes, pour une raison inconnue, étaient parvenues juste devant le mur de sa maison pur y commettre un pogrom.

Au fil du voyage vers Londres, le courroux de M. Semenov s’accrut d’un penchant soudainement apparu pour la poésie, qui prit les traits d’un tropisme antique à l’égard de toute chose. Le corps expéditionnaire anglais, débarqué en Chine depuis l’Inde et composé de quatre régiments et de deux compagnies d’artillerie, ne fut bientôt plus désigné par lui que comme « le Lion britannique », et l’armée mandchoue de l’empire Qing, comme « Le Dragon chinois ». Dans son exposé, ces monstres mythiques acquéraient des dimensions incroyables, et, après avoir commencé la discussion par l’évocation du conflit entre deux personnes apparemment banales, M. Semenov finit par donner à son discours des accents véritablement homériques. Le Lion, qui avait taillé le Dragon en pièces, menaçait de poursuivre sa route vers le nord, auquel cas nos territoires orientaux risquaient de se retrouver menacés. Hong Kong, pris par le Lion, avait peu de chance de combler tous ses appétits.

La rentrée chez les Editions des Syrtes, c’est aussi

Publié en 1870, À couteaux tirés est un roman prémonitoire, « prologue d’un cataclysme inéluctable » incarné par les révolutions du siècle suivant. Entre roman policier et drame social, on y suit les nombreuses péripéties d’un groupe d’anciens nihilistes, devenus des êtres détestables cherchant à s’enrichir aux dépens des autres. Leskov dresse un portrait d’époque à travers une galerie de personnages hauts en couleurs : le propriétaire dépossédé pathétique et influençable, le nihiliste Gordanov reconverti en anarchiste manipulateur, la révolutionnaire idéaliste, l’usurier véreux, le pope bienveillant, le géant moujik à moitié fou, l’épouse de général machiavélique, vénale et cruelle, entourée de son escorte de ridicules admirateurs. Ce tourbillon de personnages liés par les affaires et les mesquineries sont propulsés dans de multiples épisodes.

Le livre du père Tikhon dresse un tableau vivant de l’univers méconnu et caché de la vie des moines en Russie dans la deuxième moitié du xxe siècle. C’est un éloge de la vie monastique, de ces humbles héros des temps modernes, dans leur lutte contre le mal et l’illusion. Il y a parmi eux des ascètes, des mystiques, des excentriques, des rusés… « Les hommes que j’évoque dans ce livre ne sont pas des saints et ne voudraient surtout pas être pris pour tels. Ils sont du monde sans être dans le monde. »
Servi par un style plein de spontanéité et de simplicité, ce livre fourmille ainsi de détails croqués sur le vif, décrits avec finesse et humour. Une oeuvre très personnelle, récit intime par les détails, et en même temps universelle par son message.

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