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À des siècles d’intervalle, cinq femmes évoluent chacune dans son monde et son histoire, des temps mythiques, pleins de superstition, à l’époque contemporaine, avec ses codes. Pourtant, leurs destins sont étroitement imbriqués grâce à une guitare d’exception. Personnage à part entière, elle rythme les chapitres, tel un leitmotiv.
Composé à l’instar d’une œuvre musicale, le roman La Guitare de palissandre évoque, dans une écriture ciselée et à travers de subtiles nuances d’interprétation, l’émancipation féminine et le rapport à l’art et à la nature.
Kristina Gavran
254 p.
Editions bleu & jaune
Gitara od palisandra, 2018
Une traduction de Chloé Billon
Ma Note

Le bois inscrit en lui tout ce qui se passe.
Au détour d’un rayon, voilà que j’ai eu la chance de tomber sur la dernière publication des Éditions Bleu & Jaune et issue de la collection Fiction Europe, dont j’ai déjà lu deux titres. L’auteure Kristina Gavran est croate et son titre a déjà été bien récompensé, à l’international par le Prix de littérature de l’Union européenne en 2020, et en Croatie, par deux prestigieux prix, le Prix T-Portal, et le Prix Mirko Kovač. Plongée depuis ses études dans le monde du théâtre, elle est déjà l’auteure d’une pièce à succès, elle est aussi l’auteure d’un recueil de nouvelles inédit en France. Nous la découvrons ainsi pour la première fois à travers ce roman très réussi que j’ai trouvé d’une beauté remarquable, autant par le fond de la narration, mais aussi par sa forme. Sa construction est très ingénieuse, on y trouve toute l’intelligence de ses talents de dramaturge, et sa sensibilité d’auteur, de créatrice, de femme, peut-être même de musicienne ou de mélomane.

Cinq femmes – Glissando, Ruza, l’Orpheline, Gabrijela, Petra – cinq vies différentes, cinq chapitres disséminés dans chacune des trois parties, Glissando, Pizzicanto, Vibranto : le la est donné. Cinq chapitres, de l’histoire d’une migration, d’un bûcheron accidenté et de sa femme, puis celle d’un luthier et de la fillette qu’il a adoptée, d’un compositeur en mal d’inspiration et de sa muse, et enfin, la cinquième, celle d’une musicienne. Devinez donc ce qu’elles ont en commun ? Graine, forêt, arbres, lambris, plancher, guitare, poutres, sous-pentes, anneaux, bûche, palissandre, épicéa, tout tourne autour du bois et du Bois. Le champ lexical y passe presque entièrement. Tout part d’une rencontre entre la texture, le bois sans age de palissandre et de la main de l’homme : abattre, couper, tailler, venir, monter, pincer. On s’immerge peu à peu dans les chapitres de cette première partie, sans vraiment comprendre, et peu à peu un élément se dégage, ce bois de Palissandre qui d’une graine sans distinction aucune deviendra une guitare unique et hors de prix. Cinq voix, cinq moments clef de l’histoire de l’instrument, depuis la conception de l’arbre qui en donnera le bois, et à travers ses stigmates, qui constituent cette fourmilière d’autres histoires de vie autour de cet arbre abattu, vendu, palpé, taillé et vernis pour devenir un instrument aussi original et unique que le son qu’il émet.
Plus je pénétrais l’intrigue de chaque chapitre, chaque morceau de vie de cette guitare, accompagnée dans cette tranche de vie par chacune des protagonistes, plus la magie de ce texte s’opérait : chaque chapitre, chaque partie retrouve un sens général, outre sa propre narration qui raconte la vie de ce bout de bois, du lien de la vie et de l’art, ou peut-être de leur continuité, dans le sens ou la musique prolonge la vie de cet arbre, d’abord planté, puis abattu et façonné, poli et manipulé, issu d’une graine de ce bois exotique, qui nous vient des Tropiques. Un bois aussi précieux, par une essence absente de la biosphère européenne, par ces vies dont il a été le témoin, ancrées dans les cercles de vie de son tronc, par les talents qui ont été amenés à le manipuler : le bûcheron, le luthier, le compositeur, la musicienne.
Vous l’aurez compris, ce roman est un coup de cœur à tous les égards : ces personnages dessinés avec caractère et cette guitare, quelle que soit sa forme, se servent les uns les autres : le don du luthier forme une guitare exceptionnelle, et plus tard la valeur de la guitare sera notamment reconnue par la renommée de celui qui l’a fabriquée. Kristina Gavran possède un sens sur de la narration, en plus de son talent pour la dramaturgie, qui fait que je me suis régalée d’un bout à l’autre de ce roman : ces chapitres et ces parties s’imbriquent tout naturellement comme le luthier enchevêtre savamment les propres pièces de cette guitare, on lit ici une auteure qui polit son texte exactement comme cet artisan du bois, avec une belle matière de départ, un bois exceptionnel. Et cette mise en scène parfaitement agencée, qui ne manque pas de surprendre le lecteur, avec ces liens qui finissent enfin par se nouer et qui font de ce récit, découpé en parties et nombreux chapitres, une œuvre finalement très homogène à la sonorité profonde de ce Souvenir de l’été de chacune de ces cinq femmes. Le résumé de la quatrième de couverture le souligne, l’histoire de cette guitare accompagne l’émancipation de Glissando, Ruza, l’Orpheline, Gabrijela, Petra.
Du dehors, la maison était en pierre de taille, mais l’intérieur était tapissé d’un lambris odorant. Le plancher grinçait sous ses pieds, les marches en bois gémissaient, et le poutres se courbaient comme si elles allaient céder sous le poids d’un instant à l’autre. Pourtant, elle se sentait en sécurité, autant que si elle vivait au cœur de la forêt.
C’est l’un des titres de cette fin d’année qui me laissera une impression d’avoir lu un titre exceptionnel, l’auteure a en tout cas touché une corde sensible. Kristina Gavran vient de publier son second roman cette année en Croatie traduit Between en anglais, je prie le saint patron des éditeurs pour qu’il soit publier en France !
« La guitare doit-elle toujours être si seule ? »
De fait, il ne s’était jamais demandé pourquoi la guitare dialoguait si rarement avec d’autres instruments. Elle avait la timidité discrète. Ce n’est que lorsqu’elle était seule sur scène qu’elle se révélait et montrait tout son faste. Parfois, elle se retrouvait en duo avec un violon ou un piano, mais, là encore, elle semblait n’être qu’une escorte effacée. Qu’est-ce que cela ferait de mettre la guitare au centre, tel un joyau sur une couronne, et de l’agrémenter d’autres instruments qui, sous forme d’orchestre, répondraient au thème principal ? Cette pensée le remplit d’élan, réveillant en lui une force sauvage. Il ne quittait plus son bureau, esquissait diverses variations de la forme musicale, élaborait les phrases et travaillait jusque tard dans la nuit. Il essayait des versions de la pièce avec des violons, ajoutait et retirait des instruments à vent, jouait et expérimentait. Il avait entouré la guitare de divers instruments, qui étaient tous en couple. Il avait combiné le hautbois et le basson, le saxophone et le cor d’harmonie, le marimba et la harpe, toute une section de violons ; seule la guitare restait seule.
Les idées se bousculaient en lui, tel un tourbillon, et trouvaient l’apaisement dans le son tendre des cordes frottées. Il noircissait des portées et chantonnait dans l’appartement, et, pendant les moments de plus en plus rares qu’il passait en famille à la maison, il était heureux et de bonne humeur. Tous avaient remarqué le changement à l’oeuvre chez lui, il était évident que quelque chose était en train de se passer.
Les Editions Bleu & Jaune, c’est aussi

Partir travailler à l’étranger ! Voilà une solution qui est censée améliorer la vie d’une famille ukrainienne moyenne, les Tkatchouk : Youriï, Olia et leurs deux enfants. Lui choisit les Etats-Unis d’où il rentre sans un sou. Elle devient badante, esclave des temps modernes, en Italie. Tous deux croient pourtant qu’ils sont très différents des autres travailleurs migrants et qu’une vie meilleure est encore possible…
Dans un style immédiat et direct, le roman Loin d’ici, près de nulle part cherche à répondre à la question : » Pourquoi tant d’hommes et de femmes dans le monde décident-ils de tout quitter – patrie, famille, amis – et de partir dans un pays lointain où tout est étranger, et où l’avenir est si inconnu et incertain ? »
Version 2.0 du genre épistolaire, ce roman est le dialogue par courriels de deux frères aux parcours opposés : le plus jeune est un dramaturge que la route du succès a mené aux États-Unis, son aîné est un chauffeur de camionnette resté en Serbie. Leurs échanges, en apparence ordinaires, mettent en lumière autant le conflit générationnel que la différence d’idéologies et de cultures, le contraste entre l’Est et l’Ouest que la confrontation entre l’ancien et le nouveau.

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