Des âmes vagabondes

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Ces quatorze « âmes vagabondes » constituent une anthologie des poètes symbolistes bulgares les plus emblématiques du début du XXe siècle et ne manqueront pas d’étonner le lecteur français tant leurs poèmes, fortement marqués par la philosophie de Schopenhauer et de Nietzsche, nourris d’influences russes, allemandes et polonaises, révèlent, tout en conservant une esthétique propre, des échos très vivants du symbolisme français… Un élan vers l’Absolu.

Anthologie de poètes symbolistes bulgares

260 p.

Editions Le Soupirail

Ma Note

Note : 4 sur 5.

L’année dernière, j’ai eu l’occasion d’évoquer les anthologies de poésie russe publiées par YMCA-Press. La Masse Critique de Babelio de ce mois de septembre m’a permis de découvrir des poètes bulgares, issus du mouvement symboliste, à travers une anthologie assez complète publiée par les Éditions du Soupirail. C’est dans l’inconnu que je m’embarque sans connaissance disons-le franchement de la poésie bulgare.

Je voudrais saluer le travail du traducteur Krassimir Kavaldjiev, traducteur depuis le français en bulgare de Albert Camus, André Makine, Tristan Todorov, Jacques Lacan ainsi que depuis le bulgare de Angel Wagenstein, Tsvetanka Elenkova, Georgi Grozdev, Tchavdar Moutafov : si le talent et l’inspiration des auteurs est indéniable, celui du traducteur qui doit à la fois trouver les mots adéquats en total respect du travail original, tout en restituant la métrique des vers et l’esthétique de la poésie, est à mon humble avis une œuvre titanesque. Le recueil est généreusement accompagné d’un avant-propos de Werner Lambersy, poète belge, et d’une postface de Yordan Eftimov, auteur et critique littéraire bulgare. À ce sujet, je me permets de transcrire un extrait de son texte, qui donne une première approche du symbolisme :

En Bulgarie comme en France, le symbolisme est impensable sans une rébellion contre le positivisme et le naturalisme, sans une prédilection pour la métaphysique et l’occultisme, sans une impulsion d’émancipation et d’autonomie de la littérature. C’est la première idéologie littéraire qui plaide pour un « marché » symbolique transnational.

La première notion évoquée en lien avec le symbolisme, c’est la musique, qui est l’apanage de Verlaine. La deuxième, c’est le silence, marque déposée de Maeterlinck mais présente aussi chez des poètes profondément bulgares tels que Liliev et Debelianov. Le troisième trait distinctif du symbolisme, c’est la théorie des correspondances*, indissociable de Baudelaire mais aussi de l’ésotérisme d’Helena Blavatsky et d’Edouard Schuré et conduisant à la réincarnation (la métempsychose)**. En ajoutant à la théorie des correspondances celle de la réincarnation, on n’est pas loin d’une conception de la Salvation qui, pendant la débâcle des guerres des Balkans de 1912-1913 et la Grande guerre, est très en vogue au sein de l’intelligentsia bulgare, en concurrence directe avec les utopies sociales non moins populaires à cette époque.

* la théorie des correspondances de Baudelaire, issue de son sonnet Correspondances, dans lequel il compare la nature à un temple, dont les symboles paraissent confus. Ou synesthésie, phénomène par lequel deux ou plusieurs sens sont associés.
** La métempsychose est le déplacement de l’âme, son passage, son transvasement dans un autre corps qu’elle va animer

Krassimir Kavaldjiev a fait le choix de présenter quatorze poètes : chacun d’entre eux est introduit par une courte biographie qui replace le contexte d’écriture. S’ensuit une petite sélection de poèmes de longueur inégale, certains assez longs, d’autres plus courts. Voici donc les quatorze auteurs : Pentcho Slaveykov, Ivan Andreytchine, Peyo Yavorov, Dimitar Boyadjiev, Teodor Trayanov, Sirak Skitnik, Ven Tin, Ekaterina Nentcheva, Nikolaï Liliev, Emanouïl Popdimitrov, Dora Gabé, Dimtcho Debelianov, Christo Yassenov, Christo Smirnenski. Je n’avais pas eu encore l’honneur de croiser leurs noms ni de près, ni de loin. La poésie reste encore un des domaines de la littérature difficile à explorer et à parler, et davantage encore lorsqu’elle provient d’un pays dont la littérature reste globalement un domaine assez confidentiel.

Parler de poésie oblige à parler versification, dans la limite de mes connaissances. On observe globalement un certain classicisme dans la forme : tout est versifié, quelques sonnets, beaucoup de quatrains, des odes (strophes en trois vers), beaucoup de huitains, on observe une métrique assez régulière. Si la forme reste globalement régulière, le fond reste beaucoup plus complexe. Je ne vais sûrement partir sur de l’exégèse poétique, je n’ai aucune prétention, certainement pas celle de vouloir décoder les intentions des poètes : même La quinzaine littéraire ne s’y aventure pas. Ce sont des poètes issus du symbolisme, les compagnons d’âme de nos Verlaine, Baudelaire, et autres illustres. Moi, j’y vois beaucoup de poèmes aux influences romantiques, Des âmes vagabondes, l’appel à la muse inspiratrice, l’ode à la nature, sa célébration à travers certains vers très lyriques – l’ode aux voyages, à la mort, au désespoir, à la souffrance.

J’ai eu une préférence pour les poèmes aux strophes courtes – de trois, quatre, cinq vers – mais aux vers très gutturaux une fois prononcés mentalement, ceux qui jouent des échos des assonances et allitérations. Ces poèmes qui insèrent de véritables coupures et laissent le temps au lecteur de réfléchir et s’approprier chaque strophe, l’une après l’autre. De même, peut-être poussée par une bouffée mélancolique, j’ai été davantage réceptive à ces vers où les poètes, qui finissent bien souvent mal – chute à cheval, suicide, mort à la guerre, mort inexpliquée, j’ai été surprise par la violence et la soudaineté de leur mort – par ailleurs, expriment leur détresse, un désespoir diffus qui bien souvent se propagent à leur environnement immédiat, qui endossent le mal-être des poètes. Je pense ici aux poèmes de Dimitar Boyadjiev, qui sont particulièrement sombres et funestes, pas de demi-mesure, la description de la ville éponyme Marseille est particulièrement sinistre et éprouvante, le mal-être indéniable de l’auteur est presque contagieux.

D’autres s’adonnent davantage dans la description, l’automne, qui est symboliquement la mort de la nature – de la sénescence des roses, des lys, des violettes – est un motif récurrent – tout comme ceux de la nuit, du déracinement, de la perte de soi et l’être aimé : les inspirations sont décidément d’ordre mélancolique, mais si on ne peut nier la beauté des vers entre l’accumulation de métaphores, de personnifications parfois difficilement déchiffrables, et des images aux dimensions démiurgiques qui dépassent la dimension humaine visiblement. La mort, la souffrance, le chagrin, et puis la guerre (des Balkans) transparait de ces lignes – notamment celles de Teodor Trayanov, à l’évidence marquées par son expérience et qu’il transpose en chants de souffrance, d’agonie.

À la lumière mes tentatives pour cerner le symbolisme à travers synesthésie et métempsychose, j’ai ressenti chez Ekaterina Nentcheva, dans le poème (Le soir dans le doux murmure) cette idée d’associer le bruit et la sensation du vent, sa mélodie, aux intonations du poème, aux allitérations ronronnantes des /s/ et des /r/, qui emporte cette voix dans l’inconnu et le silence des points de suspension et de la mort qui s’accroche aux /t/ durs de cette corde. Douceur et dureté s’opposent ici dans le chant et sa disparition, le silence, par l’expression doux murmure ou l’adjectif épithète s’oppose à son objet composé du doublement du morphème /mur: qui sonne durement, forcément :

[LE SOIR DANS LE DOUX MURMURE...]

Le soir, dans le doux murmure du zéphyr,
toujours ta voix argentine chuchote :
si elle touche mon cœur, il va mourir...
et en écho une triste corde tremblote

Le titre, il me semble, est une excellente synthèse entre synesthésie, le traducteur a su transmettre la musicalité de ces éléments de la nature auxquels les poètes vivent en communion, et la métempsychose qui laisse transparaître le déplacement continuel de ces âmes de poètes. Cette errance, cette transmutation, ou quel que soit le mot que l’on emploiera, chacun des auteurs s’emploie à sa manière à la mettre en mots, et surtout en images, en sonorités, en couleurs, en sensations audio et visuelles. Le choix de l’automne, en outre, comme saison de passage entre la vie estivale et la mort hivernale est finalement totalement cohérente.

OMBRES de Christo Smirnenski

II
L'oubli pèse sur un temple en ruine ;
une idole git près d'un chêne foudroyé ;
des murs envahis d'ivraie et d'épines ;
tout autour, la lande : désert et léthargie...
Dans l'âme en peine, sous le regard hébété,
vacille et s'éteint un souvenir chéri.

Tous ces poètes mériteraient chacun un développement beaucoup plus approfondi mais il faudrait œuvrer dur pour trouver des recueils complets traduits en français. Ce qui différencie ces poètes de nous autres, simples mortels, c’est cette capacité à percevoir dans la vie, la nature, des choses et des sentiments que l’on n’est pas capables de percevoir, ils sont les interprètes d’un monde, d’un langage, qui nous est inaccessible. Le traducteur Krassimir Kavaldjiev, a, dans le choix des poèmes traduits et réunis ici, façonné un recueil assez homogène, malgré la diversité des sensibilités de chacun, ou les poèmes sonnent souvent en écho entre eux, à travers leur thème et leur tonalité. Le titre de l’ouvrage Des âmes vagabondes transmet ainsi cet appel, cette célébration, cette personnification de la nature, cela aurait aussi bien pu être la lune, qui est une figure qui les hante tous, comme l’automne, je le disais plus haut. Mais l’association âmes-vague-vagabondes qui constitue ce beau titre est définitivement la meilleure définition qui soit du symbolisme.

Les journées du livre bulgare se tiendront ce week-end à Lyon, le 09 et 10 octobre, organisées par l’association culturelle Artavenir à La salle Sala, Lyon 2e. Seront présents les textes des Editions Le Soupirail traduits par Krassimir Kavaldjiev.

VAGUES SOURIANTES

Vagues souriantes près de côtes fleuries de joie -
un long tintement doux annonce le jour doré.
Des horizons secrets m'appelle une tendre voix...
- Que signifie ce rêve si étrangement embrumé ?

N'est-ce pas toi, ô mer des jours heureux,
apaisée dans la nuit après tes fous ébats,
et par des mots enflammés d'avenir lumineux
ô rêve bien-aimé, ne m'appelles-tu pas ?

La vigueur de jadis rejaillira-t-elle au fond de mon être,
les fleurs printanières lèveront-elles le front,
grandies dans le noir, fanées dans les ténèbres,
sous les ailes glacées de solitude et d'affliction ?

Croire ou non ?... Vagues près de côtes fleuries de joie,
un long tintement doux annonce le jour doré.
Des horizons secrets m'appelle une tendre voix....
- Que signifie ce rêve si étrangement embrumé ?

Dimtcho Debelianov

La littérature bulgare chez Les éditions le Soupirail, c’est aussi

Personnage excentrique par excellence, dandy pris dans les vertiges de l’acier et de la lumière urbaine, en quête de Nature, d’authenticité, le Dilettante parcourt la ville, vit l’expérience de la matière et de la modernité, sonde au fil des saisons sa propre intériorité et se frotte à la possibilité de se connaître, de se reconnaître en l’Autre, en l’Amour, en ce Temps qui le traverse. Personnage et antipersonnage ; place au pouvoir des mots, du style ; le Dilettante rend grâce à la puissance de l’imagination créatrice dans une langue tout à la fois surréaliste, baroque, romantique, un véritable bateau ivre…

Un roman sublime de modernité, qui n’a pas d’équivalent dans notre littérature et dont l’écriture s’apparente au courant grotesque dans l’expressionnisme bulgare, dans une sorte de libre création, aux influences littéraires multiples (Charles Baudelaire, Carl Einstein, Maurice Maeterlinck, Leopold Andrian…).

Drôles, poétiques et insolites, ces contes et nouvelles dévoilent un univers où l’on croise tour à tour une vendeuse de sang de taupe, Maria, la bibliothécaire à la bouche énorme vêtue d’amples robes de seconde main, Sean métamorphosé en granite attendant sa belle, le chien fidèle d’Anna aux pas de pluie et la truculente Boriana spécialiste des couleuvres grillées, quelque part, du côté de Pernik… Un monde souterrain, de l’autre côté du miroir, comme le revers du nôtre

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